Algérie

Esquisse d'une géographie littéraire du Sahara



.....l'obsession du Sud a hanté nos écrivains, comme elle a hanté nos explorateurs, nos soldats, nos missionnaires. Jadis, les peuples rivaux nous ont, dans le partage de l'Afrique, abandonné le Sahara en se riant du coq gaulois qui userait ses ergots sur les sables du désert. La France a puisé, dans ces terres, quelques-unes de ses plus riches ressources de talent et de méditation.,

Le Sahara, pour être, par excellence, le pays de l'aridité, a fait germer une abondante littérature: Nous ne voulons point, naturellement, parler des volumes consacrés à l'histoire, à la géographie, aux sciences du désert, ni même des récits de voyage, mais seulement des œuvres proprement littéraires. Celles-ci sont nombreuses : qu'il suffise de citer d'emblée Fromentin, Maupassant, Jean Aicard, Francis Jammes, André Gide, Ernest Psichari, Pierre Benoît, Joseph Peyré, bien d'autres encore, que nous évoquerons au cours de cette rapide étude.
Il s'agit, évidemment, d'une littérature récente, puisque le Sahara n'a commencé à s'entrouvrir aux Européens qu'au début du siècle dernier. C'est par l'Égypte, plus facilement accessible, que le désert s'est tout d'abord révélé. L'expédition d'Égypte et son cortège de savants touchèrent au Sahara, par le Nil, cinquante ans avant que les troupes de Bugeaud n'y abordassent par l'Algérie. Faut-il rappeler que c'est Bonaparte qui, en 1799, suscita la première grande exploration saharienne en accordant aide et protection au jeune Allemand Hornemann qui, partant du Caire, réussit à traverser le Sahara central et mourut non loin du lac Tchad ?
Les Romantiques ne tardèrent pas à s'emparer du désert. Le thème était favorable à leur recherche d'orientalisme. Faute de documents précis, ils fixèrent une suite de " clichés " conventionnels qui ont eu la vie dure. Ils meublèrent ainsi le désert d'animaux et de plantes qui n'existaient que dans leur imagination poétique.
C'est d'abord le fameux " lion des sables " ; le " roi des déserts ", qui hantera plus tard Tartarin et se trouve déjà chez Musset, dans Rolla
"Sur le rocher brûlant
" Les lions hérissés dorment en grommelant.
Ce rude animal se devait tout naturellement d'avoir sa place dans Les lions de la Légende des Siècles
" Malheur à qui tombait sous sa patte au poil rude
"Et c'était un lion des sables.
Mêmes licences poétiques, bien entendu - avec la géographie botanique. Dans Rolla, Musset parle froidement des " chameliers passant sous les platanes ". Il est vrai que la rime est bonne pour - caravanes ".
Quant au palmier, il n'est pas oublié. Le premier de nos poètes qui en ait parlé est sans doute Saint-Amant, l'écrivain du grand siècle qui ait le plus couru le monde. Au cours d'un voyage vers la côte d'Afrique, en 1626, il fit escale aux Canaries, et, dans son poème L'Automne aux Canaries, il a cette jolie notation :
" ...les nobles palmiers, sacrés à la victoire,
" Se courbent sous des fruits qu'au miel nous égalons.
Le romantisme, s'emparant du palmier, l'a accommodé de toutes manières. Victor Hugo parle des palmiers chevelus " et, ailleurs, les compare ,à des aigrettes. Musset, lui aussi, évoque leurs " longs cheveux ". Théophile Gautier les assimilera plus tard à des " crabes végétaux ".
Le désert ne disons même pas : le Sahara - demeurera ainsi purement conventionnel jusqu'à la seconde moitié du XIX'"" siècle. Mais toute la gamme des épithôtes, des adjectifs, des comparaisons se sera déjà épuisée sous la plume des romantiques. Pour Musset, le désert " roule les flots silencieux de son linceul mouvant " ; pour Vigny il est " profond " avec des " plaines torrides " et des " sables arides ; pour Châteaubriand " l'âme de la solitude y soupire " ; pour Hugo, il est " vaste. aride, infranchissable " ; c'est :
"... le noir chaos
" Toujours inépuisable
" En monstres, en fléaux.
Il restera à Flaubert d'évoquer dans Salambo " , la contrée des sables et des épouvantements" - et à Théophile Gautier de parler du désert " stérile, muet, infini "..

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Il n'est pas jusqu'à Balzac qui n'ait écrit sur le désert. Il s'agit d'un récit généralement peu connu daté de 1832, et intitulé : " Une passion dans le désert ". Balzac imagine qu'un soldat provençal, qui faisait partie de l'expédition entreprise par Desaix dans la Haute-Egypte, est tombé aux mains des Arabes, qui l'ont conduit dans les déserts. Ce soldat réussit à se sauver, mais il est perdu dans le Sahara il se met à l'ombre des palmiers et, note Balzac, " il regarda ces arbres solitaires et tressaillit. Ils lui rappelèrent les fûts élégants et couronnés de longues feuilles qui distinguent les colonnes sarrasines de la cathédrale d'Arles ". Une nuit, il se réveille : une énorme panthère est couchée près de lui ; ne pouvant la tuer, il la flatte, il la caresse et l'homme et la bête deviennent les meilleurs amis du monde. Mais, ajoute Balzac, cette passion finit " comme finissent toutes les grandes passions : par un malentendu " ; la panthère mord le soldat à la cuisse et celui-ci la poignarde.
Quand cet excellent soldat rentre dans son pays, il raconte son histoire.
J'ai fait depuis, dit-il, la guerre en Allemagne, en Espagne, en Russie, en France ; j'ai bien promené mon cadavre, je n'ai rien vu de semblable au désert... Ah ! c'est que cela est bien beau.
Qu'y sentiez-vous ? lui demande-t-on.
Oh ! cela ne se dit pas, répond-il. Dans le désert, voyez-vous, il y a tout et il n'y a rien.
Mais encore expliquez-vous ?
-Eh bien, répond-il, en laissant échapper un geste d'impatience, c'est Dieu sans les hommes.
Flaubert, de son côté, dans le voyage en Égypte qu'il fit avec Maxime du Camp en 1849-1850. aborda le désert et il s'extasia volontiers sur son imagerie. En voyant les palmiers avec leurs grappes de dattes, il évoque la comparaison de Sancho dans les Noces de Gamache : " O la belle fille qui s'avance avec ses pendants d'oreilles, comme un palmier de dattes ". Il contemple un chameau aux trois-quarts rongé sur le bord de la piste, vision classique du Sahara qui sera tant exploitée par les reporters, les amateurs de Kodak et les cinéastes. Un jour, il dresse sa tente non loin des Pyramides, s'endort dans sa pelisse en écoutant les Arabes chanter des chants monotones et note complaisamment :"Voilà la vie du désert ".
Mais ce ne sont là que des notations passagères, des fragments. En 1856, paraît le premier ouvrage inspiré par le Sahara. Récit de voyage, sans doute, mais qui prend place dans les grandes œuvres littéraires françaises. C'est " Un été dans le Sahara " de Fromentin.
Avant de parler de cet ouvrage capital, l'on s'en voudrait, en respectant l'ordre chronologique de ne pas dire - ne serait-ce qu'à titre de curiosité - un mot du musicien Félicien David et de son ode symphonique intitulée Le Désert, qui est sans doute la seule œuvre musicale qui ait été consacrée au Sahara.
Ce fut bien une curieuse figure que celle de Félicien David qui, à l'âge de 20 ans, s'enrôla sous la bannière du Saint-Simonisme et composa la musique des hymnes religieux du Père Enfantin.
Très jeune, il s'embarqua avec deux camarades saint-simoniens, se rendit à Constantinople, voyagea en Orient et séjourna au Caire, où Méhémet-Ali, le bon tyran d'Egypte, fut séduit par son talent. Félicien David toucha alors au Sahara égyptien. Il rapporta de ce contact avec ce désert une impression très forte et, en 1843, il écrivit la partition du Désert. Cette œuvre remporta un énorme succès, tant en France qu'à l'étranger. On peut sourire aujourd'hui de cette musique qui " date " singulièrement. C'est, en tous cas, de la belle musique descriptive, dont Borodine nous donnera, plus tard, une réplique pour les steppes de l'Asie centrale. Les principaux épisodes sont intitulés : " Marche de la caravane ", " La tempête au désert ", " La nuit ", " La liberté au désert ". " La rêverie du soir " Le leverr du soleil","Chant du Muezzin ", Départ de la caravane ".
La poésie est œuvre d'un certain Colin qui ne semble pas avoir laissé de trace dans les anthologies poétiques. Il faut avouer, il est vrai, que c'est la poésie de bazar oriental. L'auteur n'a cependant pas craint d'en enrichir exagérément l'œuvre de Félicien David, car il lui a fourni non seulement le texte de chants, mais également celui des parties parlées qui sont assez abondantes.
Mais revenons-en à Fromentin. Celui-ci avait trente-six ans quand il accomplit le voyage de Laghouat. Son métier n'était pas d'écrire ; ce peintre, qui commettra plus tard ce chef-d'œuvre qu'est Dominique, n'avait encore rien publié. Un été dans le Sahara est la juxtaposition de lettres familières écrites à un ami, Armand du Mesnil.

Laghouat, la première des oasis sahariennes au sud d'Alger, venait d'être prise d'assaut par les troupes françaises lorsque Fromentin y aborda ; il sera le premier à pouvoir livrer au grand public une image vraie du Sahara. On est frappé de l'honnêteté, de la sincérité du récit.
Au premier contact, il note : " ... Le Sahara, très simple et très beau, est peu propre à charmer... C'est une terre sans grâce, sans douceurs ". Mais, peu à peu, le ciel, la lumière, le silence éveillent en lui d'intenses émotions et il avoue : " L'impression qui résulte de ce tableau ardent et inanimé, composé de soleil, d'étendue et de solitude, est poignante et ne saurait être comparée à aucune autre ". Et, à la fin du volume, il s'écrie : " Il y a dans ce pays je ne sais quoi d'incomparable qui me le fait chérir ".
Un été dans le Sahara reste, on le sait, le classique du désert, tant par sa vérité et la richesse des descriptions que par l'élégance sobre du style. Grâce à Fromentin, le grand désert, à peine entr'ouvert a la France, entrait dans la littérature par un ouvrage magistral, qui, un siècle après, n'a rien perdu de sa force et de sa beauté. Certes, le Laghouat de Fromentin n'est plus. C'était alors une ville à moitié morte et de mort violente, un poste avancé du désert. Aujourd'hui elle a pris les allures d'une sous-préfecture, avec hôtels luxueux et tous les stigmates d'un modernisme avancé. On y arrive par une belle i route nationale et, dans les garages de la ville, s'alignent les cars confortables qui assurent le service de l'Extrême-Sud, du Hoggar, de l'Afrique Noire. Fromentin a suscité bien des vocations sahariennes ; à ce titre, il est responsable, pour une bonne part, de ce désert apprivoisé, humanisé et mécanisé, que son âme d'artiste n'eut sans doute point souhaité.
Cinq ans après le mémorable voyage de Fromentin à Laghouat, Alphonse Daudet se rendait en Algérie où il passa deux mois. De ce voyage qui fut cantonné à l'Algérie du Nord - Daudet rapporta les éléments de son Tartarin. Le Tarasconnais rêve du Sahara ; avant de s'embarquer pour l'Afrique, dans sa petite maison au baobab, il lit les récits de René Caillé et d'Henri Duveyrier. A Miliana, il réalise un de ses rêves les plus chers : il achôte ce chameau, à bord duquel, d'ailleurs, victime du tangage," il bafouera la France ", selon l'amusante et pudique expression de Daudet.
Tartarin, à la recherche du lion, pousse vers le Sud. Néanmoins, il ne quitte pas la vallée du Cheliff - ce qui n'empêchera pas le Tarasconnais, revenu dans sa bonne ville, de commencer le récit de ses grandes chasses par la fameuse phrase : " Figurez-vous qu'un certain soir, en plein Sahara...
A la fin du XIX'°" siècle, quelques écrivains viennent prendre leur baptême du désert dans des oasis proches du Nord, notamment Bou-Saâda et Biskra. C'est le cas, en particulier, de Guy de Maupassant, qui avait été envoyé comme reporter en Algérie en 1881, lors de l'insurrection de Bou-Amama et qui réunit plus tard ses chroniques en un recueil intitulé Au Soleil.
Certes, Au Soleil n'est pas un chef-d'œuvre du récit de voyage. C'est un bon reportage, c'est tout. Il nous promène à Alger, à Boghari, en Kabylie, à Constantine et, à la vérité, ne touche guère au désert qu'à Bou-Saâda ; c'est assez cependant pour permettre à Maupassant de parler des dangers des vipères à corne, de la flamme implacable qui incendie les dunes et des squelettes de chameaux qui jalonnent les pistes.
Maupassant évoquera volontiers, plus tard, dans quelques-unes de ses rouvres, ce Sahara qu'il avait cependant à peine abordé.
C'est ainsi que Bel-Ami, avant de gagner Paris où il réussira une carrière brillante et imprévue de journaliste et d'homme politique, a été sous-officier au Sahara ; il rappelle volontiers sa vie dans le désert et sa maîtresse, Mme de Marelle, convertie sans doute par ses chaleureuses évocations, lui murmure, dans un moment d'intime abandon, cette confidence : " Tu ne sais pas, mon chéri, j'ai rêvé de toi, j'ai rêvé que nous faisions un grand voyage, toux les deux, sur un chameau. Il avait deux bosses, nous étions à cheval chacun sur une bosse et nous traversions le désert. Nous avions emporté lies sandwiches dans un papier et du vin dans une bouteille et nous faisions la dînette sur nos bosses. " Mme de Marelle connaît peut-être l'amour, mais, en tout cas, moins bien ,la zoologie, car elle ignore que le chameau d'Afrique n'a pas deux bosses, mais bien une seule.
C'est au Sahara que Maupassant a emprunté le thème de deux de ses nouvelles les plus pathétiques. L'une, intitulée : La peur qui a été publiée dans le recueil Les Contes de la Bécasse, relate cet étrange phénomène que l'on appelle le tambour des sables l'autre, sous le titre L'horrible, a paru dans les Contes du jour et de la nuit. Quelques hommes, après un dîner, à l'approche d'une nuit tiède, évoquent des spectacles d'horreur. L'un d'eux, un officier, relate le massacre de la mission Flatters, les survivants s'entre-tuant pour se dévorer. Il y a là quelques pages puissantes, peut-être les plus vigoureusement condensées qui aient jamais été écrites sur ce grand drame au désert.

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Au lendemain de la catastrophe de la mission Flatters, le Sahara se replie sur lui-même. L'exploration du désert marque un point mort. Et la littéraire saharienne n'est guère alors représentée que par un recueil de Jean Aicard.
Celui-ci a touché au désert au cours d'un voyage en Algérie accompli en 1888. L'ouvrage, bien oublié aujourd'hui, qu'il en a rapporté et qui est dédié à Pierre Loti, a pour titre Au bord du désert. Il contient un nombre assez imposant de poèmes sur le Sahara. L'un d'eux n'est pas sans intérêt : il est intitulé : " Chant des explorateurs ". C'est une imprécation contre les Touareg qui ont massacré la mission Flatters. Les malheureux habitants du Hoggar sont plutôt malmenés : ils sont traités de
"chacals, de buveurs de sang, de pillards, de bandits, d'écumeurs ".
" Ils peuvent, ces Touareg à faces renégates,
-" Tatoués d'une croix au front, crier " Allah "
" Et se nourrir de sang lorsqu'il n'ont plus de dattes.
"Nous nettoierons le haut désert de ces pirates.
" Oui, les chacals fuiront, quand les chiens seront là.
Mais, soulagé par de telles explosions, Jean Aicard se laisse aller à des rêveries humanitaires qui sont plus paisibles. Il s'écrie
" Les dunes des déserts mêmes seront semées ;
" Le grain de notre amour lèvera sur le roc.
Pour l'auteur de Maurin des Maures, quand le désert sera pacifié, il sera une école de générosité, de grandeur. Dans sa dédicace à Pierre Loti, Jean Aicard souligne que le désert enseigne les mêmes choses que la mer : " La simplicité et la grandeur, le mépris,, l'oubli plutôt, des bassesses et des jalousies, la patience, l'acceptation de la vie et de la mort ".
Les poètes se suivent et ne se ressemblent pas... Voici que Francis Jammes aborde au Sahara en 1896 en compagnie d'André Gide, déjà saharien fervent, comme nous le verrons plus loin. Quittant son Béarn, Jammes a accompli un petit voyage touristique à l'orée du désert, à Biskra, dans l'oasis voisine de Chetrna et à Touggourt, glanant quelques impressions qui se trouvent transcrites dans Le Roman du Lièvre. L'auteur, on le sait, a réuni dans ce livre un certain nombre de contes et de récits c'est sous le titre de " Notes sur des oasis et sur Alger " qu'il a groupé les images littéraires rapportées du désert.
Francis Jammes fait du lyrisme à chaque ligne. Dans l'oasis de Chetrna, il a vu des " jeunes filles qui vivent en des jardins où règne- un éternel crépuscule " et des jeunes gens qui étaient " beaux et tristes " ; l'auteur ajoute, au sujet de ces derniers, cette image qui laisse assez perplexe :"ils ressemblent à des amphores de bronze et de neige dont la ligne ondulerait lentement ". Par surcroît, ils " évoquaient des Aladins mystérieux, des lampes d'or, des palais blancs ".
Au demeurant, ce contact du Sud provoque, chez Francis Jammes, une émotion sans égale, soulignée par un emploi méthodique de superlatifs et de comparaisons hardies. Les petites Arabes de Chetrna sont : "filles de l'immortelle beauté " ; les chameaux chargés de guenilles " s'enfuient vers l'infini ". Et. ajoute Francis Jammes, " nos âmes fleurissaient comme les magnolias d'un jardin de volupté ".
Piquant vers le Sud, vers Touggourt, Francis Jammes se persuade qu'il est entré dans le vrai Sahara : il sacrifie à la grandiloquence de quelques clichés, qu'il croit obligatoires. Il a, pour le désert, de mots accablants, qui donnent soif : " La mort était partout... Désolation des désolations... Désert implacable... Le terrible rien ". Et, forcément, il n'a pas tardé à voir un mirage : cela faisait sans doute partie du programme. Francis Jammes a vu tout un album d'images, une accumulation extraordinaire de paysages, dont la simple énumération est longue. Mais voici plutôt la dernière vision du mirage :" Des constructions s'élevèrent. Elles évoquaient des villes mortes, des villes de l'Indus abandon" nées des hommes, des palais de marbre où des singes adroits et mystérieux se seraient retirés pour y mener, loin des multitudes, une vie de volupté, pour se bercer, au soir, des grognements des crocodiles dans les réservoirs croupis tachés de poissons d'or. "
Et notez bien que le soleil était sans violence puisque Francis Jammes assure que " régnait un ciel d'une infinie douceur, pâle et bleu comme une tempe de vierge ". Qu'eût-ce été si le soleil avait été intense...
André Gide, lui-même semble avoir été frappé - et, qui sait ? peut-être importuné - par le lyrisme de Francis Jammes: car, dans les feuilles de route d'Amyntas. évoquant la plénitude d'une nuit sublime du Sud, il note " ...même Jammes se tait..."

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Mais après ces petits rôles, après ces écrivains dont 1'œuvre ne porte, malgré tout, du Sahara qu'une empreinte accessoire, on en arrive à trois grands cas " littéraires et psychologiques à la fois, à ce qu'on a pu appeler les trois " miraculés " du désert : Isabelle Eberhardt, Ernest Psichari et André Gide.
Isabelle Eberhardt était née en 1877 de parents russes ; sa mère était divorcée d'un général de l'armée impériale et son père était un nihiliste, ancien pope, qui vivait à Genève. Fille d'exilée, elle sera elle-même une déracinée, une errante. A vingt ans, elle s'installe à Bône avec sa mère, ne tarde pas à se convertir à l'Islam et commence une vie sans sagesse.



Il y a un " cas " Isabelle Eberhardt ; il est discuté ; on l'a expliqué de bien des manières. Les biographes se sont disputés. A la vérité, Isabelle Eberhardt présente l'image même de la complexité, de la contradiction. Raoul Stéphan, dans le solide ouvrage qu'il lui a consacré, a pu écrire : " Elle tient de l'enfant et du monstre... En elle cohabitent_ la vierge romanesque et la garçonne. " Elle est même androgyne ; cette fille, passionnée et sensuelle, aime à revêtir un costume masculin ; elle paraît en cavalier, quelquefois en matelot ; à un banquet organisé par la presse à Alger, en l'honneur du Président de la République Émile Loubet, elle cause un grand scandale en venant en costume arabe masculin.
A la mort de sa mère, Isabelle Eberhardt décide de partir dans le Sud. Déjà, Lady Stanhope, nièce de William Pitt, avait réalisé en Syrie le rêve de chevaucher en arabe dans le désert. Isabelle suivra son exemple. En 1899 - elle a vingt-deux ans - elle prend contact avec le Sahara. C'est une véritable révélation pour cette déracinée, inquiète et insatiable. Le miracle se produit à El-Oued, l'oasis aux palmeraies creusées dans les sables, aux incomparables petites maisons.blanches à coupoles surgissant au milieu de l'immense étendue de sable qui s'étend entre Touggourt et le Sud-Tunisien. Isabelle Eberhardt consignera plus tard :
" Tout d'abord El-Oued fut une révélation de beauté visuelle et de mystère profond, la prise de possession de mon être errant et inquiet par un aspect de la terre que je n'avais pas soupçonné... Il est, je crois, des heures prédestinées, des instants très mystérieusement privilégiés où certaines contrées, certains sites, nous révèlent la vision juste, unique, ineffaçable. Ainsi, ma première vision d'El-Oued fut une révélation complète, définitive de ce pays âpre et splendide, de sa beauté étrange et de son immense tristesse aussi. "
Par la suite, Isabelle Eberhardt touchera barre en Europe, mais, invinciblement, reviendra au Sahara. Elle se donne à un indigène, un sous-officier, de spahis, qu'elle épousera plus tard. Sans doute y at-il une attirance de communauté entre son âme assoiffée et cette terre déshéritée et ardente. C'est au désert, à Aïn-Séfra, dans le Sud-Oranais, qu'elle mourra tragiquement à l'âge de vingt-sept ans. Un violent orage fit déborder l'oued qui rompit ses rives et ravagea le village. Elle tenta de sauver son mari, mais la maison s'écroula sur elle et son corps fut noyé dans le torrent de boue. Le général Lyautey, qui commandait alors le Sud-Oranais, la fit inhumer dans le petit cimetière d'Aïn-Séfra, auprès de la dune et face au désert qu'elle avait tant aimé.
Quand elle mourut, Isabelle Eberhardt n'avait encore rien publié en librairie. Ses récits de voyage, ses nouvelles, étaient épars dans les revues et dans les journaux ; on retrouva des manuscrits dans les ruines de sa maison d'Aïn-Séfra. La matière ainsi réunie a fourni plusieurs volumes dont Notes de route, Pages d'Islam, Dans l'ombre chaude de l'islam et Mes journaliers prennent place, pour tout ou partie, dans la littérature saharienne. Il est remarquable de constater que cette femme russe maniait la langue française avec une sûreté et une habileté qui lui donnent une place honorable dans notre littérature. En tout cas, l'auteur dépasse et surpasse l'oeuvre. Isabelle Eberhardt est la Saharienne par excellence, sa sensibilité a trouvé son épanouissement au désert ; c'est là que son appétit insatiable a ou se satisfaire et que ses tourments ont pu s'apaiser
O Sahara, note-t-elle quelque part dans ses Journaliers, Sahara menaçant, cachant ta belle âme sombre en tes solitudes inhospitalières et mornes ! Oui, j'aime ce pays du sable et de la pierre, ce pays des chameaux et des hommes primitifs. "

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Nous ne retracerons pas ici la vie d'Ernest Psichari. On connaît au moins dans ses grandes lignes, :'existence, d'une brièveté tragique, de ce petit-fils de Renan qui, après sa licence de philosophie, s'engagea comme simple canonnier dans l'artillerie coloniale, trouva la foi sur la terre d'Afrique, partit à la guerre comme à une croisade et mourut noblement en août 1914 à l'âge de trente ans.
Dès son adolescence, il avait publié des vers subtils. En 1908, après son séjour au Congo avec la mission Lenfant, il écrivit Terres de Soleil et de Sommeil dont la prose est singulièrement fluide et harmonieuse.
Il s'attache tout de suite à l'Afrique, mais c'est le Sahara qui va marquer le sommet de sa vie. En 1909, il est affecté en Mauritanie où il demeurera jusqu'en 1912. Il y mènera la vie d'un officier colonial, faisant des reconnaissances, se heurtant à des rezzous, pacifiant. Dès son premier contact avec le désert, il écrit : " Voilà la vraie vie. Quand on a connu cela, on se dit qu'on peut mourir et que l'on a assez vécu ". On lui confie le commandement d'un goum de l'Adrar ; il note alors : " Quand on a connu l'inexplicable attirance du désert, on comprend mieux ce qu'il y a de doux et de mystérieux dans ce mot de Saharien. "
Plus tard, il consignera : " C'est si beau, le désert, et c'est une tentation si frénétique que d'y aller, que d'y vivre, que d'y faire d'enivrants parcours, ! Il y a des heures uniques dont je ne suis pas encore blasé après deux ans. Cette centaine d'hommes que je commande, qui sont à moi, que je peux mener au désastre si j'ai un mauvais guide, ou si je me trompe, et qui ne seraient rien sans moi et qui seraient proprement comme le bateau en mer privé de son capitaine, cette vie libre à la fois nonchalante et active, cette silencieuse vie dans le déroulement des sables, j'aime tant cela et tant d'autres choses que je ne peux dire. "
Le voyage du centurion, et Les voix qui crient dans le désert, dans lesquels Psichari a relaté le récit de sa conversion, sont deux livres d'exaltation saharienne. Nous n'aurons pas l'ambition d'évoquer les vertus et les certitudes que Psichari exigea du désert et obtint de lui. Dans Les Voix qui crient dans le désert, il avoue y avoir trouvé " le vrai, le bien, le beau et rien plus ". Au Sahara, il a réussi à se séparer du monde, et, tout en menant une vie rude, dans l'attente du danger, à méditer et, comme il le dit lui-même " à exalter ce qu'il y a de meilleur en lui ". Il y a plus : il a été séduit par le mysticisme des Maures ou, du moins, leur religiosité. Le spectacle de l'Islam a été, pour beaucoup, dans son ' adoption de la solution chrétienne. Le voyage au Maroc de Foucauld avait, vingt-cinq ans auparavant, marqué une semblable évolution religieuse de la part de celui qui devait finir en ermite au Hoggar.
Les Voix qui crient dans le désert ou Le voyage du centurion comptent parmi les grandes oeuvres qu'ait inspirées le Sahara. Et l'on ne doit pas oublier que ces livres furent écrits par un auteur de vingt-cinq ans, qui n'est point un' témoin passif du Sahara, un peintre à la manière d'un Fromentin, mais, au contraire, un homme, un soldat qui bouillonne, qui lutte, qui demande au désert plus que des sensations de rétine et des éblouissements visuels.
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Est-il besoin de rappeler la place que tient le Sahara dans l'œuvre d'André Gide ? Marceline et Michel de l'immoraliste sont inséparables de Biskra. Les notations du désert qui achèvent Les nourritures terrestres sont, d'autre part, longuement développées dans Amyntas. Gide est allé plusieurs fois au Sahara, mais son Sahara est bien délimité ; c'est celui de la province de Constantine. Il est allé à Biskra, la première fois en 1893 (il avait vingt-quatre ans). et il y est revenu fidèlement à plusieurs reprises ; il est allé aussi à Touggourt.
Comment Gide a-t-il été conduit vers l'Afrique ? Il en a fait la révélation dans un article de Fontaine. De bonne heure, Gide fut attiré par les voyages. Un de ses cousins, qui était naturaliste et qui cinglait vers l'Islande et Terre-Neuve pour étudier les mœurs des morues et les déplacements de leurs bancs, proposa de l'entraîner vers les mers nordiques. Gide hésita, mais l'attrait de l'Afrique l'emporta ; il assure que sa destinée fut aiguillée par une petite phrase de Rabelais dont, tout jeune, il avait lu la citation dans la correspondance de Flaubert : " L'Afrique apporte toujours quelque chose de rare " Nous nous demandons, d'ailleurs, si cette citation est exacte et si elle est bien de Rabelais ; ne s'agirait-il pas plutôt du mot de Jean Temporal, au milieu du XVI""' siècle : " Toujours Aphrique apporte cas nouveaux ". Peu importe au demeurant : Gide partit pour l'Afrique ; pendant cinquante ans, il n'allait cesser d'y revenir.
L'on a noté que Gide ne semblait guère avoir admis de ferveur stable que pour le Sahara. Il y trouve l'épanouissement de tous ses désirs. Dans l'Immoraliste Michel évoquant des promenades dans tous les jardins de Biskra, déclare : " J'oubliais ma fatigue et ma gêne. Je marchais dans une sorte d'extase, d'allégresse silencieuse, d'exaltation des sens, de la chair. "
Gide a des mots passionnés pour parler du désert ; il avoue dans l'Immoraliste : " Toute autre terre m'ennuie ", et dans Amyntas " Je sentais que j'aimais ce pays plus qu'aucun autre pays peut-être ". Dans Les nourritures terrestres, il s'écrie : "Âpre terre, terre sans bonté, sans douceur, terre de passion, de ferveur, terre aimée des prophôtes ah douloureux désert, désert de gloire, je t'ai passionnément aimé."
Et nous ne rappellerons pas cette litanie lyrique du désert qui s'égrène à la fin des Nourritures terrestres : " désert d'alfa... désert de pierre.... désert d'argile... désert de sable... ". Alain Fournier, après avoir lu ces pages, avouait dans une des ses Lettres au petit B. : " C'est à pleurer de désir d'y aller, d'y souffrir, d'y avoir soif. "
L'exotisme de Gide n'a aucune parenté avec les autres exotismes littéraires qui ont pris pour thème le Sahara. Pour Gide, le Sahara n'est pas un simple décor dans lequel il se meut en étranger ; il s'y intègre pleinement, il y vit de tout son coeur. Il passera des heures auprès des gardiens de chèvres et les écoute jouer de la flûte, il se repaît de la musique des nègres des oasis, il s'attarde aux campements des nomades. Il trouve, dans les étendues mortes du Sahara, aussi bien que dans la menue vie des oasis, les thèmes ou du moins les prétextes les plus parfaits de poétisation ; vent léger dans les palmes, jardins pleins de silences et de frémissements, buées des matins du désert. vides nuancés des immensités, sables bruissants au vent.
Mais, au delà de l'adhésion poétique, il y a les thèmes profonds que Gide a découverts dans le Sahara et que résume cette phrase écrite à Biskra : " Que viens-je encore chercher ici ? Peut-être ainsi qu'un corps brûlant trouve joie à se plonger nu dans l'eau froide, mon esprit dépouillé de tout, trempe dans le désert glacé sa ferveur. " Le dénuement purifiant du Sahara, Gide l'évoque constamment. Il parle des " propositions mortelles du désert ", de la " grandeur tragique des oasis" de " l'idée de la mort qui vous poursuit dans le désert ". Dans l'Immoraliste, il qualifie le désert de " pays de mortelle gloire et d'intolérable splendeur " . Dans Amyntas. il déclare : " Ce que j'aime de ce pays, je sens bien que c'est la hideur même, l'intempérie."

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Jusqu'à une date relativement récente, le Sahara et sa littérature restaient affaire d'initiés et n'étaient guère voués qu'à un public relativement restreint.
En 1920, paraissait l'Atlantide, qui allait donner une romanesque image du désert à des millions de lecteurs.
Il y a dans l'Atlantide de l'invraisemblable, du vraisemblable et du vrai. Il est facile de retrouveles sources de documentation de Pierre Benoît. L'existence du palais d'Antinéa sur une montagne du Hoggar est inspirée de la légende qui auréole la Garet-el-Djenoun, un des pics les plus ardus du Hoggar. au sommet duquel les Touareg situent une oasis mystérieuse. Cette montagne a été gravie pour la première fois en 1935 par l'expédition alpine du Hoggar, qui n'a point trouvé de palais ou d'oasis enchantés au sommet de la garet, mais, seulement, un mouflon qui défiait les alpinistes.
Pierre Benoît fait d'Antinéa la fille d'une grande coquette du second Empire et d'un chef touareg qui l'aurait connue à Paris, au cours d'un voyage officiel, et l'aurait emmenée au Hoggar. Cet épisode r un fond véridique : il est exact, en effet, qu'un grand personnage targui, le cheikh Othman, qui avait accueilli au Sahara l'explorateur allemand Barth et le voyageur français Duveyrier, vint à la cour de Napoléon III. Le séjour à Paris de cet homme voilé fit sensation. Le targui était un homme habile que la civilisation européenne n'effrayait point : la tradition rapporte qu'il avait ouvert un bal aux Tuileries, avec l'impératrice Eugénie. Par contre, rien ne permet d'affirmer qu'Othman ou les hommes rie sa suite aient été séduits par quelque Parisienne facile...
Pierre Benoît a fait de très larges emprunts aux Touareg du Nord de Duveyrier et il en a même transcrit quelques passages à peu près intégralement. L'inscription en tifinar, traduisant le nom d'Antinéa et que Morhange et Saint-Avit découvrent en plein Hoggar, est composée avec les lettres indiquées dans l'alphabet dressé par Duveyrier. Un spécialiste du tifinar, à qui nous avons soumis cette inscription, nous a donné, à son sujet, une docte consultation : si brève soit-elle, il y a découvert six fautes majeures. Au demeurant, le nom même d'Antinéa se prête mal à une graphie en tifinar, car il n'est pas conforme à la phonétique targuie. Peu importe, Pierre Benoît est un romancier, mais il n'a pas la prétention d'être un linguiste ou un ethnologue.
Peu de romans ont eu, nous l'avons dit, une telle vogue. Le nom d'Antinéa s'est perpétué dans le monde entier par des réclames publicitaires, par des chansons et par deux films, l'un tourné par Napiherkowska, l'autre par Brigite Helm. Le Sahara central, le désert si attirant du Hoggar et des Touareg devenait populaire sous une image qui est, certes, souvent fausse mais qui incontestablement a constitué une des plus formidables propagandes qui aient jamais pu être imaginées pour le désert.
En 1931. paraissait l'Escadron Blanc de Joseph Peyré. C'est une histoire vraie et même vécue. C'est,
on le sait, un récit très simple, très dépouillé. Une formation méhariste du poste d'Adrar est envoyée à la poursuite d'un rezzou beraber dans l'Ouest saharien.. Peyré nous décrit le cortège hallucinant de ces silhouettes blanches dressées sur les méhara, qui errent à travers les sables, les regs caillouteux ou les pierrailles, à la recherche des traces. Les jours passent, interminables ; un des deux officiers meurt, les bêtes épuisées chancellent et s'abattent. C'est la fatigue, c'est la soif. Au quarante-deuxième jour de la poursuite, l'escadron blanc rencontre enfin le rezzou et, dans un dernier sursaut, le met en déroute.
Il n'y a, dans le récit de Peyré, aucune grandiloquence, aucune recherche systématique de l'effet. Au dire même des Sahariens, nul mieux que cet écrivain n'a su rendre, par une déclaration dépouillée mais singulièrement évocatrice, les exigences du désert, ses pistes arides et mortelles et l'âpreté de ses jours monotones.
Après l'Escadron Blanc, Joseph Peyré a publié le Chef à l'étoile d'argent et Sous l'étendard vert qui évoquent également des épisodes de l'histoire saharienne. Ces deux récits se situent dans le cadre de la grande révolte qui secoua le Sahara lors de la grande guerre et dont un des moments les plus pathétiques fut le siège de l'oasis de Djanet défendue par une poignée de Français héroïques. Par la suite, Peyré devait nous donner encore d'autres romans ou récits sahariens : Coups durs, Croix du Sud, Proie des Ombres, Sahara éternel, ce dernier volume contenant une intéressante carte de géographie littéraire de l'oeuvre saharienne de Peyré.

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Depuis vingt-cinq ans, le Sahara s'est méthodiquement ouvert à l'automobile, a été jalonné d'hôtels ; il est devenu accueillant et s'est humanisé. Les académiciens eux-mêmes s'y aventurent. C'est la meilleure consécration... L'habit vert fleurit dans les solitudes arides et porte ses fruits en l'espèce quelques récit de voyages aimables et colorés.
C'est ainsi qu'André Chevrillon, en 1923, va à Ghardaïa, la célèbre cité mozabite, et tente d'en décrire la société cristallisée dans son ouvrage intitulé Les Puritains du désert.
Si André Chevrillon s'est arrêté à Ghardaïa, Charles le Goffic, lui, a poussé trois cents kilomètres plus au Sud, jusqu'à l'oasis d'El-Goléa. Ce voyage dont il a rapporté un ouvrage descriptif intitulé La rose des sables, il l'a accompli à l'occasion d'un " Congrès de la rose et de l'oranger ", qui s'est tenu à El-GOléa et où il se trouvait égaré parmi une équipes de botanistes et de techniciens.
Emile Henriot, de son côté, a fait, en 1934, un bref circuit touristique en Algérie et dans le Sahara algérien ; il en a rapporté son beau récit Vers l'Oasis qui évoque Touggourt, Ouargla, El-Oued et Ghardaïa.
Chevrillon,le Goffic, Emile Henriot et d'autres encore sont partis à la conquête du Sahara dans de confortables automobiles et leurs récits se ressentent évidemment de la rapidité de leur moyen de transport.
Il y a ainsi plusieurs ères littéraires au Sahara : celle du cheval ou du chameau, qu'illustre Fromentin ; celle de la patache qu'emprunte André Gide pour se rendre à Biskra et à Touggourt ; celle de l'auto qui, à partir de 1925 environ, conduit au désert une véritable ruée d'écrivains.
Mais une dernière époque s'est ouverte : celle du Sahara aéronautique. Et celle-là aussi a ses auteurs. On sait la véritable épopée qu'a constituée la création de la ligne aérienne Casablanca-Dakar par dessus le Sahara occidental insoumis ; elle fut marquée par de pathétiques aventures : aviateurs massacrés ou capturés par les Maures, bourlingués jusqu'au rachat. Mermoz et d'autres grands pionniers de l'aviation française furent de ceux-là.
Cette épopée proprement saharienne fut célébrée par Kessel notamment dans Vent de Sable et, surtout, par Saint-Exupéry, qui en fut à la fois l'acteur et l'historiographe. Nous ne retracerons pas ici la place immense et décisive qu'occupe le désert dans l'oeuvre de " Saint-Ex ". Elle mériterait une longue étude dont il serait prétentieux de donner même les simples contours.
La rapide esquisse que nous venons de tracer permet ainsi de juger de l'importance qu'occupe le Sahara dans notre littérature ; l'obsession du Sud a hanté nos écrivains, comme elle a hanté nos explorateurs, nos soldats, nos missionnaires. Jadis, les peuples rivaux nous ont, dans le partage de l'Afrique, abandonné le Sahara en se riant du coq gaulois qui userait ses ergots sur les sables du désert. La France a puisé, dans ces terres, quelques-unes de ses plus riches ressources de talent et de méditation.,

Henri-Paul EYDOUX.




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