Algérie

Erreur d'aiguillage



Qui pouvait imaginer, il y a à peine une trentaine d'années, que le mot djihad connaîtrait la vogue qui est la sienne aujourd'hui dans tout le monde occidental ' Eh bien, ce vocable, à la charge lourde de sens, et longtemps tenu à l'écart, aussi bien par des politiciens que certains puristes, a fini par décrocher sa place dans le grand dictionnaire Larousse de la langue française. C'est que les enjeux actuels de la politique et de la stratégie à la fois ont fait que les différentes connotations de ce vocable ne pouvaient plus continuer à être ignorées.Les mots, pour reprendre la définition de certains linguistes, ont des charges spécifiques, inattendues pour ainsi dire, en ceci qu'on se réveille le matin avec telle acception que l'on croirait définitive et qu'on se couche avec une autre qui vient à peine de prendre naissance dans les esprits. On a donc beau dresser des barrières ou exiger des sauf-conduits pour tel mot ou autre, les différentes connotations et dénotations prennent du volume au fur et à mesure et finissent par se faufiler dans le corps des langues, tel ce fameux Passe-muraille de l'écrivain Marcel Aymé.Ainsi, est-il possible de dire qu'il y a erreur d'aiguillage dans l'esprit de ceux qui ont une vision étriquée des langues et, bien sûr, de l'être humain tout court. N'apprend-on pas que c'est l'usage, à l'instar de la coutume, pour ce qui est du droit international public, qui conditionne la vie des langues et des peuples à la fois ' Dans les années trente du siècle dernier, certains puristes de la langue allemande, entendez les sbires du nazisme, avaient établi ce qu'on avait appelé alors un « fremdwörter », c'est-à-dire une liste des mots étrangers à la langue de Goethe et de Schiller, afin de les en extirper systématiquement ou d'en entreprendre l'impossible tentative.En France, le sinologue René Etiemble, luttant pour la pureté de la langue française, avait été à l'origine de tout un battage médiatique dans son fameux livre Parlez-vous franglais , avec pour seul but de mettre un terme à cette espèce de migration somme toute naturelle des mots anglais en direction de la langue française. On n'en est devenu depuis que plus ouvert aux différents anglicismes dans la langue française.Ce même problème avait donné du fil à retordre aux philologues de la langue arabe à l'ère classique. En effet, on s'était longtemps penché sur l'origine étrangère de certains mots du Saint Coran, comme si ces mots pouvaient un jour dénaturer le propre du message divin ou détourner les croyants de la vérité révélée. On apprend aujourd'hui, avec certains théoriciens de la traduction, que « les mots n'ont pas de sens mais seulement des emplois ». Pourtant, il n'est guère question, en ce domaine précis, d'aller à la découverte de nouveaux continents. Il s'agirait plutôt de laisser les continents linguistiques eux-mêmes opérer leur glissement naturel, un glissement somme toute salutaire comme on l'a toujours constaté à travers toute l'histoire de l'humanité.


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