Algérie

Erdogan réveille ses vieux démons



Même s'ils savent qu'aux Etats-Unis, plus ça change, et moins ça change, les commentateurs arabes continuent de poser encore l'inévitable question : que va faire le nouveau Président élu 'Le Premier ministre israélien, Nathanyahou, vient de leur répondre à sa manière en vantant l'amitié indéfectible qui existe entre son pays et le vainqueur du duel électoral Biden-Trump. Il aurait pu dire la même chose de Trump si celui-ci l'avait emporté sur Joe Biden, mais il aurait énoncé une évidence, puisque le Président sortant avait donné des gages en quatre ans. Nathanyahou rappelle juste au nouveau locataire de la Maison-Blanche que pour renforcer davantage cette amitié indissoluble, il faudra qu'il fasse quelques gestes, plus faciles encore. Car tout comme leur actuel ami et futur allié, les dirigeants arabes qui comptent (je ne parle pas de ceux qui comptent les points) ne s'interrogent plus sur les intentions des nouveaux élus. En revanche, tout ce beau monde, décideurs sur injonctions, ou chroniqueurs sevrés ou non de «casher», peuvent se triturer à loisir les méninges pour ce qui est des points de détails. Des détails qui peuvent s'additionner, mais sans bouleverser l'ordre préétabli. L'ordre naturel du monde pour les bons Américains.
Il en est ainsi des rêves de califat du Turc Erdogan qui peuvent lui paraître personnellement comme des univers fantasmagoriques, faits de conquêtes de harems enivrants, voire de houris. Pour l'armée de psys américains, en tous genres, affairés à suivre ses rêves, agités et bruyants, il s'agit juste de veiller à ce que toutes ces simagrées ne deviennent pas un cauchemar pour tous. Un point de détail, et qui ne compte que pour ceux qui calculent en termes de bénédiction pour l'au-delà, le rêve turc de s'amarrer à l'Europe, devenu ambition de subjuguer ce continent. Alors que les commentateurs arabes, les Egyptiens en tête, n'attendent que la fumée blanche, au-dessus de la maison de même couleur, Amir Taheri ravive quelques souvenirs. L'éditorialiste iranien du quotidien saoudien Al-Charq-Al-Awsat rappelle une déclaration de l'ancien homme d'Etat turc Mesut Yilmaz, dont le décès, vendredi 30 octobre, est passé inaperçu. C'était lors d'un des forums de Davos, dans les années quatre-vingt-dix, et il avait résumé les ambitions de la Turquie par cette formule : «Notre passé est en Asie, mais notre avenir est en Europe.» C'était paradoxal, venant du leader d'un parti, celui de «La Mère Patrie», qui avait accentué l'islamisation de la Turquie, et la libéralisation de l'économie, mais démontrait un certain réalisme.
La génération de Mesut Yilmaz apparaissant, selon le chroniqueur, comme celle qui devait parachever l'?uvre de construction d'un Etat moderne sur les décombres de l'Empire ottoman. C'était sans tenir compte des réalités persistantes, comme l'organisation rurale du pays et l'absence de culture démocratique, le choix des caractères latins n'ayant servi qu'à la religion.
Cette absence de culture démocratique a fait de la Turquie d'Erdogan, un Etat aspirant à entrer dans l'Europe et en être à l'avant-garde, un Etat réveillant de vieux démons et défiant l'Europe. Le premier des ces démons, c'est l'organisation monarchique du pouvoir qui a conduit Erdogan à prendre seul certaines décisions importantes, méprisant les institutions et même son parti. Il a ainsi recréé le système de décision que pratiquait le Sultan Selim, le plus controversé des dirigeants ottomans, et il s'est autorisé à décider seul, laissant dans l'ignorance ses propres ministres. Le deuxième démon qui aiguillonne la politique turque est celui de la légitimité religieuse et de la tendance à présenter Erdogan comme un conquérant (guerrier saint). Il s'agit aussi de montrer Erdogan comme le porteur du nouveau projet de califat ottoman et de désigner tous ceux qui s'opposent à lui comme des ennemis de la seule et unique vraie foi.
Le troisième démon a un gros appétit, note encore Amir Taheri, alors que les Ottomans prenaient toujours garde à ne mordre que ce qu'ils pouvaient mâcher, Erdodgan est insatiable. Il a entraîné la Turquie dans l'édification d'un empire dont elle ne veut pas et dont elle ne peut supporter la charge, en intervenant à Chypre, en Libye, dans les Balkans, et enfin dans le Caucase. En plus d'un risque de confrontation avec la Russie et l'Iran, le voilà engagé dans un conflit éventuel en mer Egée, en particulier avec la France, tout comme il a engagé une guerre des mots avec l'Europe. Ayant l'ambition de passer outre les traités internationaux qui lui interdisent l'exploration des gisements pétroliers et gaziers offshore, alors que l'Europe a les moyens et les débouchés. Et c'est ainsi qu'Erdogan conduit son pays vers l'inconnu, n'écoutant que ce que lui mumurent ses vieux démons à l'oreille et qui l'incitent à se lier plus encore avec les «Frères musulmans», d'Egypte. C'est d'ailleurs la question du retour des «Frères musulmans» dans le giron américain qu'appréhendent les Egyptiens qui pensent, à tort ou à raison, que Biden a des sympathies pour les islamistes. Le chroniqueur cairote Khaled Mountassar s'inscrit en faux contre cette éventualité et il affirmé que les «Frères musulmans», Dont désormais un corps étranger à l'Egypte, et à son peuple.
Il rappelle que les Egyptiens ont chassé les islamistes du pouvoir en juin 2013, en dépit du soutien dont ils jouissaient auprès du démocrate Obama, alors Président des Etats-Unis. Ce qui prouve, dit-il, que même une grande puissance, comme les Etats-Unis, ne peut s'opposer à la volonté des peuples, et leur imposer des dirigeants ou un mouvement qu'ils rejettent. Et Khaled Mountassar de rappeler les divers crimes commis par les terroristes islamistes aussi bien dans les rangs de l'armée égyptienne que dans ceux du peuple désarmé, dont des femmes et des enfants. Tout ce sang versé rend impossible le retour des «Frères musulmans» en Egypte, même avec des milliers de démocrates comme Biden, conclut le chroniqueur égyptien. Je suis tenté de lui répondre que les islamistes algériens ont commis dix fois plus de crimes de sang dans leur propre pays, mais tout le monde semble l'avoir oublié, au point de croire à un mauvais rêve. Au point de vouloir céder à la tentation de replonger dans le cauchemar.
A. H.


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