Algérie

"Erdogan joue le même jeu que Kadhafi"




Olivier Clochard est docteur en géographie. Il est enseignant-chercheur à l'université de Poitiers, également chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). À la veille du Sommet de l'Union européenne (UE) à Bruxelles, sur la crise des réfugiés, il livre un regard critique à l'égard des dirigeants des Etats membres. Il revient aussi sur la place de la Turquie dans le jeu géopolitique au Proche-Orient.Liberté : La crise des réfugiés et des migrants déchire l'Europe. L'Union européenne aura-t-elle, cette fois-ci, le courage politique de s'attaquer à ce problème en amont 'Olivier Clochard : À mon sens, c'est avant tout un problème pour les migrants et les personnes qui sont en quête d'une protection. Au vu des crispations des différents Etats de l'UE, je ne m'attends pas, malheureusement, à un sursaut des gouvernements européens au regard des différentes déclarations cyniques des différents responsables politiques, à l'image de celle du Premier ministre français Manuel Valls, à Munich, en février 2016, disant qu'"il ne pouvait pas accueillir plus de réfugiés". Et au niveau international, ce n'est guère mieux quand on entend Christine Lagarde dire que "la crise des migrants en Europe compromet la survie de l'espace Schengen".À mon sens, c'est surtout l'attitude de ces personnes politiques qui compromet le projet de l'Union européenne.Pourquoi l'UE a-t-elle du mal à convaincre la Turquie à accueillir les réfugiés, en contrepartie d'une aide financière conséquente 'Parce que la Turquie accueille à elle seule bien plus de réfugiés syriens - pour ne prendre que cette nationalité - que les 28 Etats membres de l'Union européenne, et en conséquence, le président turc, Recep Teyyip Erdogan, joue le même jeu que jouait Mouammar Kadhafi avant 2011 (année de sa chute, ndlr) avec l'Europe. Il demande de l'argent pour retenir une partie seulement des exilés, en sachant qu'une partie de ces financements n'iront pas aux premiers intéressés, à savoir les exilés provenant d'Afghanistan, d'Irak ou de Syrie.De nombreux responsables à la tête de la Turquie sont corrompus. Par ailleurs, selon plusieurs spécialistes du monde turc, le gouvernement actuel a une attitude terroriste vis-à-vis du peuple kurde, que plusieurs Etats occidentaux ont considéré, à plusieurs reprises, comme un les meilleurs remparts à la lutte contre l'islamisme. Enfin, selon ces mêmes spécialistes, le gouvernement peut être considéré comme complice du terrorisme (Front Al-Nosra, la branche syrienne Al-Qaïda, Daech). Alors si les Etats de l'Union européenne veulent continuer à demander que la Turquie accueille davantage de réfugiés, ils devraient se poser toutes ces questions.L'acharnement de la France à faire partir Bachar al-Assad du pouvoir ne travaille-t-il pas contre le règlement de cette crise des réfugiés, due, en grande partie, à la guerre civile en Syrie 'De toute manière si Bachar al-Assad reste au pouvoir, la crise des réfugiés ne sera pas pour autant résolue, car au vu des crimes de guerre, voire des crimes contre l'humanité que le président syrien et son équipe ont commis, de nombreux ressortissants syriens ne sont pas près de retourner dans ce pays s'il est encore gouverné par ce même dictateur. Les enjeux géopolitiques - comme beaucoup le savent - vont bien au-delà de la seule attitude du gouvernement français.Entretien réalisé par : Lyès Menacer




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