Rabah Saadane a
réussi là où Ahmed Ouyahia patine. Est-ce suffisant pour inciter le Premier
ministre à adopter le modèle de l'équipe nationale ?
Une question
piège : M. Ahmed Ouyahia est-il un fan de l'équipe nationale de football ?
Est-il fier des résultats réalisés par l'équipe de Rabah Saadane ? Pour M.
Ouyahia, qui veut incarner le nationalisme autoritaire, avec une pointe de
nostalgie pour les temps où personne ne bougeait dans les rangs, il ne saurait
évidemment être question d'une réponse négative. On est même un peu surpris de
ne pas l'avoir vu à Khartoum...
Le piège est précisément dans ce type de
réponse : si M. Ouyahia admire l'Equipe nationale de football, pourquoi ne
s'inspirerait-il pas de son modèle pour gouverner l'Algérie ? S'il est fier du
résultat, pourquoi rejetterait-il les méthodes auxquelles a eu recours l'Equipe
nationale de football pour réussir ? De manière plus générale, on pourrait élargir
la question et la poser en ces termes : le modèle qui a fait le succès de
l'équipe nationale pourrait-il être transposé à l'économie algérienne ?
Le modèle de l'équipe national mérite qu'on
s'y arrête. Y compris dans ses aspects les plus durs. Avec, en premier lieu,
cette évidence : le succès de l'équipe nationale est le fait de joueurs formés
en Europe, évoluant dans des championnats européens. Le choix de ces joueurs de
la part de Rabah Saadane constitue une reconnaissance de fait d'une situation
terrible pour l'Algérie : le système de compétition algérien ne produit plus de
footballeurs de haut niveau. Il est dans la même situation que l'économie, qui
ne produit pas d'entreprises compétitives, ou l'université, qui ne produit plus
de cadres de haut niveau.
L'admettre est un premier acte courageux.
Encore faut-il en tirer les conséquences. Rabah Saadane l'a fait. Il a accepté
de sous-traiter la formation et la gestion de l'élite sportive algérienne par
les clubs européens. Pour l'heure, il s'est cependant limité à faire appel à
ceux qui sont déjà compétitifs, parce que formés dans des systèmes de
compétition européens. Il lui reste à franchir le pas, et opérer comme le font
les Camerounais et les Nigérians : détecter les jeunes espoirs algériens, et s'organiser
de manière à les placer systématiquement dans de grandes écoles européennes de
football où ils pourront progresser.
Ceci serait-il possible dans le domaine de la
formation des autres élites ? Non. Pour une raison simple : les footballeurs
qui réussissent en Europe le doivent à leur talent. Si l'Algérie devait
aujourd'hui envoyer des étudiants en formation dans les grandes universités
occidentales, priorité serait donné non au talent, mais à l'argent et à
l'appartenance à la nomenklatura.
D'autre part, un footballeur professionnel
n'est pas appelé à vivre en Algérie, où il se rend occasionnellement. Il
choisit le plus souvent de faire sa vie en Europe, où la vie est plus facile.
Un chercheur de haut niveau agirait de même. Il ferait sa vie en Europe, car il
trouverait les conditions de s'épanouir, sur le plan professionnel comme dans
la vie. Qui accepterait un salaire de soixante mille dinars pour enseigner au
centre universitaire de Khemis-Miliana, et envoyer ses enfants dans une école
publique en grève depuis trois semaines, et ce après un doctorat obtenu aux
Etats-Unis ?
En économie, on retrouve le même schéma. Pour
construire une autoroute, on n'est pas allé par quatre chemins : tout a été
confié à des entreprises étrangères. Mais ce n'est pas l'incapacité des
entreprises algériennes à prendre en charge ces chantiers qui inquiète le plus.
C'est plutôt le fait qu'elles se sont installées dans une rente de situation
qui ne les oblige même plus à faire d'effort, ou, plus grave encore, le fait
qu'elles travaillent dans un système où la compétition est faussée par la
corruption, l'argent non déclaré et la tricherie. Exactement comme dans le
championnat de football.
Etudier la situation de l'équipe nationale
serait un excellent exercice pour M. Ouyahia. Au moins pour regarder la réalité
en face : un pays peut-il tout sous-traiter, tout importer, comme le choix en
avait été fait depuis des années ? Peut-il sous-traiter les joueurs de l'équipe
nationale et la construction d'une route ? Peut-il donner aux footballeurs des
primes dignes des grands pays européens et refuser au professeur d'université
le moyen d'échapper aux soucis premiers de la vie quotidienne ?
M. Ouyahia ne peut toutefois s'inspirer du
modèle de l'équipe nationale. Il a un handicap majeur qui l'en empêche : c'est
son rapport à la rue, au peuple, aux petites gens, à cette masse que les
régimes autoritaires n'admettent que comme un bloc manipulable, au service du
pouvoir. Pour réussir, Rabah Saadane a fait appel à l'appui de la rue, qui a montré
une disponibilité exceptionnelle. Mais Saadane sait qu'il y a un prix à payer
quand on demande l'appui du peuple. On ne peut pas le trahir, car la sanction
est très dure. Ceux qui portent Saadane aux nues aujourd'hui s'étaient attaqués
à sa famille par le passé, lorsqu'ils avaient estimé que l'entraineur n'avait
pas été à la hauteur.
M. Ouyahia, lui, ne semble pas encore prêt à
se soumettre à la sanction du peuple. Même s'il a raison quand il pense qu'il
n'appartient pas aux supporters de l'équipe nationale de définir la politique
étrangère de l'Algérie.
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Posté Le : 26/11/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com