Algérie

Epidémie de grippe H1N1: Un vaccin contre la rumeur



Pour affronter une épidémie, il faut disposer des vaccins, des médicaments et de la crédibilité. On peut acheter les deux premiers, mais la confiance des citoyens ne s'achète pas.

Faut-il se faire vacciner contre la grippe A(H1N1) ? Pendant que le ministère de la Santé s'échine à convaincre les Algériens de l'utilité du vaccin, et de la nécessité de se faire vacciner, particulièrement pour les populations vulnérables, la rumeur fait des ravages. Non seulement la rumeur enlève au vaccin toute vertu, mais elle lui attribue des pouvoirs destructeurs. Sur les lieux de travail, au café, dans le hall de l'immeuble, chacun a un proche, un ami, un voisin qui aurait été victime du vaccin. Sur Internet, c'est le branle-bas de combat. Ne vous vaccinez pas, vous prévient-on, en vous énumérant, pêle-mêle, tous les arguments nécessaires pour vous décourager. On vous cite la qualité du vaccin : celui importé par l'Algérie est de moindre qualité, avec des adjuvants dangereux. D'ailleurs, ce type de vaccin a été refusé au Canada, vous assure-t-on. Et c'est pour cela que l'institut Pasteur met tout ce temps pour autoriser son utilisation.

 En outre, vous assure-t-on, la vaccination n'est pas vraiment nécessaire car la grippe A(H1N1) n'est pas plus dangereuse que la grippe saisonnière. Ce qui est vrai. Mais cela ne signifie pas que le vaccin n'est pas utile, ce qu'on oublie évidemment de vous dire. Autre argument qui porte : une partie du personnel médical refuse de se faire vacciner. Si le vaccin était vraiment nécessaire, ceux qui sont du domaine, et qui sont le plus exposés au risque de contamination, devraient être les premiers à prendre cette précaution. Ils refusent de le faire parce qu'ils savent que ce n'est pas recommandé.

 Mais, au-delà de ces arguments, dont certains sont farfelus, d'autres approximatifs, on note d'abord cette vérité : la rumeur s'est, encore une fois, montrée plus forte que les spots publicitaires du ministère de la Santé, et plus convaincante que les discours des «doctours» qui passent dans des émissions maison pour inciter les Algériens à se faire vacciner. Ce qui pose, encore une fois, le problème de la crédibilité de tout ce qui est officiel. Particulièrement, quand l'enjeu est la santé des citoyens.

 Ceci ne semble guère être le souci du ministère de la Santé. Il l'a montré une première fois en annonçant l'arrivée imminente de vaccin importé, alors qu'il n'avait aucune maîtrise du dossier. Les premiers lots de vaccin importé sont arrivés avec plus de deux mois de retard sur la date annoncée. Et la vaccination n'a toujours pas commencé, au moment où certains pays ont déjà vacciné près de la moitié de leur population.

 La manipulation, ou la non maîtrise des statistiques, est encore plus grave. A la fin de la semaine dernière, les autorités annonçaient 32 morts, sur 553 cas recensés, ce qui donne un mort sur 20 personnes contaminés. C'est un chiffre effrayant car cela signifierait que le pourcentage de décès atteindrait 5 pour cent des personnes infectées par le virus. L'épidémie de la grippe espagnole, qui avait fait plus de vingt millions de morts en 1918, avait enregistré un pourcentage de décès deux fois moins élevé ! Si le taux de cinq pour cent était réel, la maladie aurait dû faire huit millions de morts aux Etats-Unis, où on a enregistré plus de quarante millions de malades ! En fait, on a enregistré un peu plus de 9.800 décès aux Etats-Unis. Et si l'épidémie devait se répandre en Algérie comme elle l'a fait dans la plupart des pays européens, elle ferait un million de morts.

 Les chiffres publiés par les autorités algériennes n'ont aucune valeur statistique, même si on commence à peine à corriger, en soulignant par exemple que les cas recensés sont les cas officiellement recensés. Et si les chiffres rendus publics sont farfelus, les organismes officiels qui les utilisent se disqualifient, car ils se mettent dans l'impossibilité de faire une bonne analyse et d'offrir des solutions viables.

 Le décalage entre ce qui est publié en Algérie et la réalité est immense. En Algérie, on compterait donc un décès pour 20 personnes contaminées selon les statistiques de la bureaucratie médicale. Un autre chiffre rendu public samedi fait état de 8.000 personnes contaminées, ce qui donnerait un décès pour 205 malades. En Grande-Bretagne, en France et aux Etats-Unis, on comptait, à la deuxième semaine de décembre, un décès pour un peu moins de 5.000 personnes infectées. En France, pour la seule première semaine de décembre, il y a eu 722.000 malades enregistrés, pour un total de 5,5 millions depuis juin.

 Dans ces pays, les statistiques ont pour objectif de suivre l'évolution de la maladie au plus près, pour mieux la maîtriser. Les modèles mathématiques utilisés à cet effet sont constamment adaptés, et confrontés à la réalité. On ne se contente plus des cas déclarés, on fait des projections, des simulations, et on arrive à des résultats probants. En Algérie, les statistiques sont d'une autre nature et ont visiblement un autre objectif. Elles proviennent d'une bureaucratie dont le premier souci est de remplir des cases et des canevas qu'il faut transmettre à la hiérarchie.

 Peut-être que ces chiffres sont aussi destinés à rassurer la population, ou à la convaincre que l'Algérie ne sera que marginalement touchée par la grippe A(H1N1). Après tout, le Premier ministre, le ministre des Finances et les banquiers «officiels» ont bien affirmé, il y a un an, que la crise économique ne toucherait pas l'Algérie. On sait ce qui s'est passé ensuite.

 Face à l'épidémie de grippe A, les responsables du secteur de la santé ont publié des chiffres totalement incohérents, et fait des promesses qu'ils se sont révélés incapables de tenir. La rumeur s'est ensuite emparée du dossier, enlevant à ces responsables toute crédibilité. Comment peuvent-ils dès lors être crédibles, quand ils veulent convaincre les Algériens de la nécessité de se vacciner ? Comment peuvent-ils convaincre que le vaccin importé est de bonne qualité ?




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