L'essor de la presse écrite au XIXe siècle et sa diffusion à grande échelle ont contribué à rapprocher les différents ailleurs. Les journaux et les revues consacrés aux voyages avaient alors atteint leur apogée.On peut rappeler à cet égard des périodiques très prisés et à fort tirages comme, Le Tour du monde, Le Journal des voyages et l'Illustration, pour ne citer que ces titres. Ainsi, l'écrit journalistique a rendu accessible par le texte des contrées dont la localisation sur les cartes était problématique et lointaine.Le journaliste était un professionnel de la plume mais il pouvait à l'époque être militaire, savant, explorateur, colon, écrivain, peintre ou chroniqueur occasionnel. Ces multiples incarnations ont permis de constituer un corpus important pour la connaissance de l'altérité. Cette mondialisation implicite s'est faite sous l'égide de la colonisation et par la conquête de nouveaux territoires par les grandes puissances. C'est dans cette perspective historique et littéraire que s'inscrit l'ouvrage collectif, Journalisme et mondialisation, les ailleurs de l'Europe dans la presse et le reportage littéraire*.Les contributeurs réunis autour des deux universitaires, Marie Astrid Charlier et Yvan Daniel, sont pour la plupart des spécialistes qui établissent des passerelles entre le journalisme et la littérature et travaillent par ailleurs sur les récits de voyage. L'ouvrage comprend trois parties dont la première est consacrée aux Amériques, la deuxième à l'Afrique et la dernière à l'Asie et l'Océanie. En un mot, ce livre est un véritable tour du monde.Le voyage commence par une halte au Canada pour voir comment des écrits journalistiques ont construit l'image d'un pays. Guillaume Pinson montre un Jules Verne, lecteur invétéré des encyclopédies et des Atlas, capable de produire des ouvrages de référence sur ce grand pays, sans bouger de Nantes. Un autre article s'intéresse aux Etats-Unis d'Amérique et la manière dont il est perçu par la presse de l'époque avec l'évocation des immigrants européens et leur installation, sans oublier les problèmes raciaux, omniprésents dans la presse. De son côté, Marie Astrid Charlier consacre une étude aux romans de Joseph Kessel qui, à travers son œuvre prolifique, montre qu'il reste très attaché dans son écriture au XIXe siècle. D'autres contributeurs, comme Alfred de Montesquieu, longtemps correspondant de l'agence Associated Press en Algérie, évoquent la vie passionnante de Kessel, ses aventures à travers le monde et la manière dont il recyclait le contenu de ses reportages pour nourrir ses romans d'aventure.Dans la deuxième partie consacrée à l'Afrique, Laure Demougin décortique la presse coloniale du XIXe siècle et sa propension à héroïser le colon et l'Européen qui se sont installés en Algérie et aux Antilles. Ces écrits négligeaient les autochtones considérés comme éléments d'un décor exotique. Cela concorde avec le phénomène de «l'invisibilisation» immortalisé par Gustave Courbet dans sa fresque de 1855, «L'atelier du peintre». Jean Marie Seillan dépouille lui aussi cette presse coloniale et étudie la manière dont elle rend compte de la guerre que livre la France au royaume du Dahomey (l'actuel Bénin). Il s'intéresse particulièrement à la temporalité du journal qui est imprimé loin du théâtre des opérations et montre comment travaillent les reporters et les illustrateurs pour rendre compte des choses vues. Cette guerre a dépassé le cadre journalistique pour contaminer la fiction et la photographie. Le voyage dans le Sahara algérien trouve sa place et le lecteur découvre comment, en cinquante ans d'évolution et dès la fin du XIXe siècle, il est devenu presque banal et sans préparation spéciale pour l'effectuer.Marie Eve Thérenty traite du journalisme embrigadé. Elle souligne que l'obsession des militaires à vouloir contrôler l'information journalistique n'est pas nouvelle. Elle donne à cet effet l'exemple en 1885 de la guerre du Tonkin, région du Vietnam. Une préfiguration de ce qui se passera durant la première guerre du Golfe en 1991 et l'invasion de l'Irak en 2003 avec des journalistes «embaded». Yvan Daniel, de son côté, s'intéresse à la Chine, à la découverte de ce pays par les Européens et la passion qu'il a suscitée. Il cite l'exemple d'Albert Londres et présente une étude exhaustive des différents types de reportages. Cela nous amène aux poétiques du reportage, avec un point de vue très pertinent développé par Serge Linkès qui travaille sur la génétique des textes.Dans cette contribution, le chercheur nous parle des transformations subies par le reportage pour accéder à la littérature. L'exemple de Joseph Kessel est emblématique par sa propension au recyclage littéraire de la matière journalistique. Le passage du reportage au roman permet aussi à l'auteur de contourner la censure. Il ne faut pas perdre de vue en effet que ces grands reporters étaient des humanistes et des libres penseurs. Ils ne supportaient pas les injonctions ou l'idéologie dominante. La littérature devenait pour eux le champ du possible et de l'expression libre. A travers cette histoire passionnante du journalisme, beaucoup de reporters ont toujours su garder une éthique à toute épreuve et une honnêteté intellectuelle infaillible.*M. A. Charlier et Y. Daniel, Journalisme et mondialisation, les ailleurs de l'Europe dans la presse et le reportage littéraires (XIXe-XXIe siècles). Presses universitaires de Rennes, 2017.
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Posté Le : 25/02/2017
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Slimane Aït Sidhoum
Source : www.elwatan.com