Noureddine Bahbouh a lancé, en 2012, son propre parti politique, l’Union des forces démocratiques et sociales. Il faut dire que, depuis 1999, celui qui était l’un des dirigeants les plus en vue du Rassemblement national démocratique, par ailleurs ancien ministre et chef du groupe parlementaire du parti majoritaire d’alors, est entré dans une opposition active et constante à l’égard du «candidat du consensus». Pour l’élection présidentielle d’avril 1999, il avait été directeur de campagne de l’ex-chef du gouvernement, Mokdad Sifi. Dans l’entretien qui suit, il revient sur tout cela, mais pas uniquement. Une certitude: son regard et son jugement sur l’actualité politique nationale sont d’une imperturbable lucidité.
- Le Soir d’Algérie : Nous vivons une situation politique inédite. Après plus de quatre mois d’une échéance politique majeure, la présidentielle, il n’y a aucune lisibilité, la classe politique est tétanisée, c’est le flou total!
Noureddine Bahbouh : D’abord, si on veut parler de la situation politique en Algérie, il faut souligner que, pour la première fois, nous sommes dans une totale opacité. Nous restons le seul pays au monde où, à cinq mois de la présidentielle, la classe politique se débat dans des problèmes organiques, dans des problèmes de leadership, dans des problèmes de défection de responsables et d’intronisation d’autres, alors qu’en principe, le débat devrait s’axer aujourd’hui autour des échéances politiques majeures qui sont proches. Je pense que l’Algérie n’a jamais vécu pareille situation, pas même du temps du parti unique. Ce qui signifie que nous sommes aujourd’hui dans une situation qui me paraît compliquée mais qui est aussi très inquiétante. Cette inquiétude est vécue par le citoyen, par les intellectuels, par les médias, et je pense que vous ne trouverez pas deux Algériens qui seraient en désaccord sur ce constat-là. Sans être alarmiste, je dirais que cette inquiétude n’a pas d’explication, et c’est là le gros problème que la société algérienne vit aujourd’hui.
Cette situation a une origine, il s’agit de la résultante d’une gestion que nous avons connue par le passé où tous les pouvoirs étaient concentrés entre les mains d’un seul homme, où toutes les décisions sont prises par un seul homme, où toutes les institutions du pays ne sont plus fonctionnelles et ne permettent donc pas la moindre lisibilité. Pis encore, ce pouvoir-là a même fini par tuer la politique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous, dans notre parti, nous prônons une refondation politique. Je n’ignore pas que c’est un combat qui reste très dur parce que la situation politique que nous vivons aujourd’hui n’est pas facilement «redressable» s’il n’y a pas une volonté nationale pour en finir avec le statu quo politique.
- La probable candidature de Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat n’est- elle pas la principale raison de ce statu quo qui frappe la scène politique nationale?
Quand on parle d’un quatrième mandat pour le président Bouteflika, il faut faire la distinction entre ce qui est prévu par la Constitution qui a été amendée à dessein d’ailleurs en 2008 pour supprimer le fameux verrou qui limitait le nombre de mandats à deux. Cela avait été fait dans une sorte de vente concomitante en réglant quelques petits problèmes ou en octroyant quelques petits avantages pour accomplir une démarche complètement inacceptable. Mais au-délà de l’aspect légal et constitutionnel que nous avons par ailleurs dénoncé en 2008, je pense que tout le dispositif mis en place actuellement est effectivement un dispositif qui s’oriente vers la candidature du président Bouteflika.
A moins que nous nous trompions, à moins que cela ne soit qu’une diversion politique entretenue par le pouvoir en place et je n’exclus pas cela non plus, car ce pouvoir nous a effectivement habitués à des diversions. On nous fait souvent sortir des débats qui occultent les vraies questions. La preuve? On nous parle de révision de la Constitution avant que des voix nous disent qu’elles sont contre et que cet amendement n’aura pas lieu. Ce qui est grave, c’est que cela n’a pas été fait par des canaux officiels, mais partisans! Tout cela indique que ce flou est entretenu pour tétaniser la classe politique ou faire en sorte que la candidature du président ne souffre d’aucune ambiguïté. Auquel cas, ce serait encore plus grave.
- Vous parlez d’une possible diversion. Mais ne pensez-vous pas que les temps nous séparant de la présidentielle sont assez courts pour que le pouvoir puisse se permettre ce genre de diversion? D’habitude, à pareille période, le pouvoir aura déjà tout réglé...
Bien sûr qu’il reste cette possibilité de diversion. La preuve, aujourd’hui, tous les débats s’orientent vers la vie organique des partis, essentiellement, sur les positionnements des hommes et des femmes à l’intérieur des partis. Le débat, aujourd’hui, se focalise sur qui est à la tête de tel ou tel autre parti. Je parle des partis du pouvoir. Le débat se focalise sur l’amendement de la Constitution, etc. Ceci, au moment où les vrais débats qui intéressent la société algérienne sont occultés par ces partis, et c’est la chose la plus grave. Avez-vous, par exemple, entendu qu’à l’intérieur d’un parti, comme le FLN, on ouvre un débat sur les problèmes du chômage, de l’université, de la santé, de l’adhésion de l’Algérie à l’OMC et j’en passe? Dès que vous entendez parler de la tenue d’un comité central ou d’un conseil national d’un parti, sachez que la seule préoccupation dominante est celle qui consiste à savoir qui mettre à quel poste, en remplacement de qui, etc. En somme, l’on ignore totalement les problèmes de la société, et c’est la raison qui fait que le citoyen honnit la politique et nous rejette intégralement et il n’a pas tort!
- Ceci pour les partis au pouvoir ou du pouvoir. Mais qu’en est-il en face, du côté de l’opposition?
Si on ouvre un débat sur cette question de l’opposition, d’abord, est-ce que le pouvoir a accepté à ce qu’il existe une opposition? Le pouvoir n’a même pas accepté qu’il ait une opposition institutionnelle! Même à l’intérieur des instances, des institutions comme l’Assemblée, il refuse l’ouverture du moindre débat. Comment voulez-vous qu’il accepte alors d’ouvrir un débat avec l’opposition en dehors des structures institutionnelles? Soyons francs: les canaux de communication sont fermés, les moyens de fonctionnement n’existent pas, les partis politiques eux-mêmes sont décriés. Même les plus anciens partis de l’opposition trouvent des difficultés à se positionner dans l’espace politique algérien.
- A propos de l’opposition, avez-vous été associé à l’initiative dite «des 19»?
Au-delà du fait que toutes les initiatives qui s’organisent autour de l’intérêt de la société et du citoyen sont les bienvenues, nous avons été, nous au FNDS, les premiers à appeler à une rencontre de tous les partis politiques, mais autour d’un point, d’un thème bien précis. Il s’agit pour nous de parler de l’alternance politique en Algérie, du débat contradictoire et démocratique. Nous n’avons pas été entendus. Soit. Mais si je parle de cette initiative, je dirais qu’il y a une certaine responsabilité que les uns et les autres doivent assumer. L’on ne peut pas venir en politique et se refaire une virginité tout de suite. Si on vient comme cela aujourd’hui rejeter le bilan de ces trois derniers mandats, il ne faut pas tenter de faire oublier que, parmi ces gens-là, il y a ceux qui ont participé à ces bilans-là! Quand on vient, aujourd’hui, dénoncer la tentation d’un quatrième mandat, il ne faut pas non plus faire oublier que parmi ces personnalités ou partis, beaucoup ont applaudi l’amendement anti-constitutionnel de la loi fondamentale et qui a ouvert la voie à ce grand dérapage, justement. Chacun de nous a, dans sa carrière politique, un passé à assumer.
Moi, personnellement, en 1999 et avec un certain nombre d’autres personnalités politiques, j’ai dénoncé ce coup de force qu’était «la candidature du consensus». Certes, nous en avons payé le prix, mais c’est cela l’action politique et je ne regrette pas de l’avoir fait. D’autres, par la suite, ont suivi la même voie, soit par acquis de conscience ou pour avoir démissionné. Cela dit, et pour clore le sujet sur cette initiative, nous n’avons pas été conviés par les initiateurs. Elle reste toutefois quelque chose d’acceptable, pour peu qu’elle perdure. D’ailleurs, j’ouvre ici une parenthèse.
La rencontre des «19 plus 1» a formulé une demande centrale, celle consistant en l’institution d’une commission indépendante pour la présidentielle. La réponse est venue le lendemain! Alors, quid de l’initiative?
Moralement, est-il concevable que l’on s’associe avec des islamistes pour un projet politique aussi déterminant que la présidentielle ou l’amendement de la Constitution, à plus forte raison dans un pays comme le nôtre qui a vécu deux décennies de terrorisme dont la paternité politique a toujours été assumée par ce courant ?
Vous parlez d’éthique et de morale. A mon sens, cela ne pose pas problème à condition qu’il y ait engagement préalable ferme et de fixer un seul objectif bien précis. Que l’on se dise par exemple : nous, on veut un pouvoir qui gère ce pays selon les normes universelles. Si on s’entend sur ce minimum, il n’y aura pas lieu de s’inquiéter quel que que soit celui qui viendra après.
- Le dernier ouvrage de Abdellah Djaballah, par exemple, prône l’application de la «chariaâ» sur toute la législation…
Ce type de déclarations, ou ce type de personnalité, je préfère les affronter ou les combattre ouvertement qu’infiltré ou terré. L’entrisme est beaucoup plus dangereux en fait. C’est pour cela que je dis que le débat politique doit être ouvert. Nous, nous n’avons pas peur de notre peuple, le peuple algérien est un peuple valeureux, qui comprend, qui sait faire la différence entre le bien et le mal et qui sait distinguer un discours démagogique et populiste d’un discours réaliste. Le problème, par contre, réside au niveau de l’élite. C’est la classe politique qui est, par moment, défaillante. En ce sens, si tel courant politique parle ou fait des déclarations, pourquoi l’autre courant ne le fait pas à son tour? Vous savez, n’importe qui peut déclarer ou écrire n’importe quoi. Le problème est de savoir si, en face, il y a une contre-partie. Malheureusement, il n’y en a pas. Et sur ce point, la responsabilité de l’Etat est entière et est très importante, car l’Etat a une Constitution, et il doit l’appliquer. Maintenant, si les pouvoirs publics eux-mêmes violent la Constitution, eh bien, il fallait s’attendre à ce genre de dérapages de tous bords.
- Vous avez été ministre, directeur de campagne de Mokdad Sifi en 1999, chef de groupe parlementaire et membre dirigeant du RND. Depuis une année, vous avez choisi de lancer votre propre parti politique. Où en êtes-vous en fait avec cette nouvelle expérience? Le FNDS est-il assez bien implanté et est-il en mesure d’affronter une échéance électorale par exemple?
Nous sommes un parti implanté dans 37 wilayas, et nous sommes un parti présent. Cela dit, notre approche est une approche sereine, nous nous basons sur une démarche rationnelle, nous n’avons pas besoin d’opportunistes ni d’adeptes de «zaimisme» parmi nous, et nous sommes pour un débat permanent à l’intérieur du parti. Nous considérons que, quand on revendique la démocratie, il faut commencer par l’appliquer sur soi-même déjà. D’ailleurs, nos statuts stipulent clairement qu’il est interdit que quiconque brigue plus de deux mandats, et cela est valable pour toutes les structures du parti. Quant à affronter des échéances, je dirais seulement que nous aurons notre mot à dire, et cela, en fonction des décisions qui seront prises par les structures du parti.
- Allez-vous vous présenter à la présidentielle?
Le débat n’est pas encore tranché. L’on ne peut se prononcer dans une telle opacité. Moi je tire chapeau à tous ceux qui, déjà, se sont prononcés, alors que l’opacité est totale, que rien n’est encore clair. Nous concernant, nous n’allons arrêter notre position que lorsque les choses seront claires.
Ce jour-là, nous verrons bien, à l’intérieur de nos instances, le type de position à prendre. Nous ne voulons nullement nous précipiter. Si le pouvoir ne se précipite pas, pourquoi voulez-vous que nous nous le fassions?
- Qu’est-ce que vous entendez par «clarté» ? La candidature ou pas de Bouteflika?
Ce n’est pas tant cela qui nous dérange. Si Bouteflika veut se présenter, il n’a qu’à l’annoncer? Ce qui parasite la vue, par contre, ce sont ceux que j’appelle les «hemayine el bendir»! Mais dans quel pays au monde assiste-t-on à un spectacle aussi désolant où un parti, sans réunir ses instances, sans consulter sa base, proclame que son candidat est tel ou tel autre? Mais dans quel monde nous vivons? Moi, je dirais qu’il s’agit là de gens intéressés. Un intéressement politique ou autre ou alors il s’agit d’une forme de couverture que nous n’arrivons pas encore à expliciter. Que Bouteflika se présente ou pas, qu’un autre le fasse ou pas, ce n’est pas tant le plus important. Ce qui m’inquiète, c’est cette nouvelle mode qui s’installe en Algérie avec ces nouveaux slogans en vogue: «Nous soutenons», «Nous exhortons», etc. C’est malheureux. Ce nouveau langage politique n’est là que depuis une quinzaine d’années.
- Il se dit aussi que le véritable enjeu de cette élection est le poste de vice-président...
Moi, je ne lis pas dans une boule de cristal, mais je crois qu’il y a plusieurs enjeux à la fois. Peut-être le poste de vice-président, peut-être l’après-Bouteflika, peut- être encore un autre scénario que nous ignorons totalement.
Ce qui est grave, c’est que toute cette opacité est corroborée par un programme de dépenses faramineuses et qui ne se justifient pas. A côté de tout cela, l’on assiste à des frictions, des contradictions, des attaques entre des membres du même clan au pouvoir.
- Les partisans de Bouteflika avancent l’impératif de la stabilité pour justifier le quatrième mandat...
Je trouve ce discours très inquiétant. Cela consiste à affirmer que la stabilité de tout un pays tient à un seul homme! Si Bouteflika part, nous entrerons dans l’instabilité? Je trouve ce genre d’arguments très graves.
La stabilité d’un pays est garantie par ses institutions pas par un seul homme. Et puis, la stabilité n’exclut pas la démocratie. Bien au contraire, c’est la démocratie qui ramène et garantit la stabilité d’un pays.
A moins que défendre cette forme de statu quo n’a comme seule finalité que la couverture d’une gestion marquée par de gros scandales de corruption. Je dirais, enfin, que le peuple algérien n’est pas immature. A chaque fois que le pays est menacé, il se mobilise comme un seul homme. L’histoire l’a toujours prouvé.
Kamel Amarni
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Posté Le : 10/12/2013
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: elmoudjahid.com ; texte: Kamel Amarni
Source : LeSoirdAlgerie.com du mardi 10 décembre 2013