Algérie

Entretien avec Moulay Bel hamissi



Entretien avec Moulay Bel hamissi
Il y a des gens que l’on admire même si on n’a pas eu l’occasion de les connaître personnellement ou de les côtoyer. Le professeur Belhamissi est de cette trempe d’individus. Le connaissant à travers son œuvre d’historien et pour avoir assisté à quelques unes de ses conférences, je ne me sentais néanmoins pas le mieux placé pour passer en revue une vie si pleine et si riche intellectuellement. Pourtant lorsqu’un ami me demanda de contribuer par un écrit à la mémoire de cet algérien jaloux et fier de son algérianité, je n’ai pas pu refuser. Déçu par le manque d’engouement constaté au niveau des médias et des intellectuels et ayant constaté la rareté d’hommages rendus à cette figure, pilier d’une mémoire algérienne chancelante – ce que je considère comme une anomalie – je me retrouve dans une position plutôt usurpée que convoitée.



Né à Mazouna, entre les deux guerres mondiales, El Hadj Moulay Belhamissi n’est cependant pas destiné à passer sa vie dans sa petite ville natale, pourtant chargée d’histoire. Mazouna, petite localité non loin de Mostaganem, fut en particulier un important centre d’enseignement, bien des siècles avant l’invasion française ; le droit musulman était en particulier une branche où excellaient les érudits mazounis. D’éminents savants musulmans y enseignèrent, dont le fameux Sheikh Abu Ras al-Naciri al-Rachidi. El Hadj Belhamissi, fier de ce passé, consacrera à sa ville natale un ouvrage en 1981.



A l’image des étudiants musulmans itinérants de la première heure, on le retrouve à la médersa de Tlemcen où il obtient son Ijaza (diplôme permettant à son titulaire d’enseigner) en 1952. Il aurait pu se suffire de ce bagage, mais ce serait mal connaître le caractère de battant du jeune Moulay. Il reprend donc son bâton de pèlerin pour se rendre à Alger où il sera gratifié en 1954 d’une autre Ijaza, et ceci à la veille de la guerre de libération.



A partir de 1955 c’est, tout naturellement, vers l’enseignement qu’il se tourne. Il passera plus d’une décennie dans le secondaire, avant de gravir les différents échelons universitaires pour finalement accéder au statut hautement mérité de professeur.



Dans une interview accordée à un quotidien algérien il se remémore ses débuts à Alger :



« L’année 1955 m’a profondément marqué, car c’est celle de ma première nomination à Mcid Fatah à La Casbah, suivie d’une autre en 1957 au lycée franco musulman d’El Biar en qualité d’adjoint d’enseignement, puis professeur après avoir réussi mon CAPES. »



La jeune Algérie indépendante a néanmoins besoin de cadres et El Hadj Moulay est nommé inspecteur d’académie de Médéa en 1966. N’ayant aucune intention de s’arrêter en si bon chemin, il passe avec brio le concours d’agrégation d’arabe. La Faculté des lettres d’Alger où une section d’histoire en langue arabe venait d’être créée ouvre alors ses portes à ce brillant et ambitieux élément. « Là, j’ai entamé une deuxième carrière à laquelle je suis resté fidèle jusqu’à ma retraite en 2001. »



Il faut signaler que El Hadj Belhamissi était polymathe, c'est-à-dire qu’il n’était pas seulement historien, mais également littéraire et linguiste. Ce chercheur chevronné publia, à l’issue de ses recherches, de nombreux ouvrages d’une valeur indéniable, malgré ce que peut en penser Guy Pervillé et une certaine historiographie biaisée d’outremer.



Les Turcs firent de ce spécialiste de l’époque ottomane algérienne un membre d’honneur de l’Institut d’histoire Atatürk (maladroitement baptisé, par ailleurs, vu l’aversion de Mustapha Kamel pour l’héritage musulman de ses aïeux). Les historiens de la Méditerranée, quant à eux, le nommèrent vice-président de leur association internationale.



En passant en revue ses plus importants ouvrages on se rend compte de l’importance qu’il accordait à cette terre meurtrie qu’est l’Algérie, qu’il chérissait par dessus tout, étant en mesure d’en juger de sa position privilégié d’érudit.



• L’Algérie vue par les voyageurs marocains à l’époque ottomane

• Histoire de Mazouna des origines à nos jours

• Histoire de Mostaganem des origines à nos jours

• Alger par ses eaux

• Les Arabes et la mer dans l’histoire et la littérature

• Histoire de la marine algérienne 1516-1830

• Captifs algériens en Europe chrétienne

• Alger, la ville aux mille canons

• Al-Bahr Wa-Al-Arab Fi Al Tarikh Wa-Al-Adab



Enseignant-chercheur El Hadj Moulay est frustré par le traitement (qu’il juge injuste, biaisé et partiel) accordé à la marine algérienne par l’historiographie dominante. Il s’attelle donc à la tâche et effectue des recherches aux quatre coins du monde.



Selon lui :



« Il fallait résoudre trois ou quatre problèmes avant d’écrire une histoire dépassionnée. Les historiens français, par exemple, avaient fait une sélection documentaire partisane, manifestement orientée qui a fait endosser aux Turcs tout ce qui n’allait pas en Algérie. A titre indicatif, la marine algérienne, pour eux, était une malédiction. De leur point de vue, la marine n’était là que pour spolier les butins des Occidentaux. Quand on réunit toute cette production européenne de l’Algérie du XVIe - XVIIe S., qu’est-ce qu’on constate ? Que l’histoire de l’Algérie était en fait assimilée à celle de la piraterie que les captifs européens subissaient l’enfer à Alger, alors qu’il n’y avait aucune trace des captifs algériens retenus en Europe. Par conséquent, il fallait revoir toute cette vision tronquée et fausse de l’histoire, en allant consulter les milliers d’archives à la Chambre de commerce de Marseille et au Quai d’Orsay. Comme l’historien est insatiable, j’ai pris mon bâton de pèlerin pour faire le tour du Bassin méditerranéen, en commençant par Malte, qui a toujours été, sur le plan maritime, l’adversaire des Algériens. Puis ce fut au tour de l’Espagne, de la France… L’article intitulé ‘‘Le raid algérien sur l’Islande en 1627’’ que j’ai publié a eu un large écho et un intérêt insoupçonné. Comment des Algériens sont-ils partis sur des bateaux en bois au péril de leur vie, malgré les dangers de la mer du Nord. Finalement, c’était une expédition heureuse, car les marins ont mis la main sur un riche butin dont un butin humain de 400 femmes qui ont épousé des dignitaires dont le roi du Maroc. Une seule est retournée dans son pays, rachetée par le roi du Danemark. Jusqu’à nos jours, tous les ans, il y a une fête commémorant cet événement à Reykavik. C’est dire que le souvenir du raid est resté vivace. » (*)



El Hadj Belhamissi qui ne veut aucunement produire un travail partisan, en réaction aux écrits prédominants, passe plus d’une décennie à rassembler, traiter et analyser une documentation recueillie dans les plus grands centres d’archives connus. Il est d’ailleurs fier de confier sa méthodologie :



« J’ai voulu donner du poids au sujet, car je n’ai jamais été friand de sujets cuisinés, préparés ou traités par d’autres. J’ai toujours travaillé sur des archives vierges. C’est pourquoi mes travaux sur la marine consistaient à corriger les erreurs voulues par les historiens européens, à savoir que les corsaires n’étaient pas des brigands mais des soldats qui agissaient sous les ordres de l’Etat. De plus, les combats en mer n’étaient pas une spécialité algérienne mais un phénomène général qui remonte à l’Antiquité. S’il n’y avait pas de combats inter musulmans, les Européens ne s’empêchaient pas de livrer bataille entre eux. Enfin, un motif de fierté, je suis le seul à avoir évoqué les captifs musulmans en Europe que les deys ont toujours défendus avec le souci constant de les libérer. C’était une question d’honneur et de dignité. » (*)



El Hadj Moulay et l’enseignement en Algérie



El Hadj Moulay regrettait, avec une certaine amertume, qu’en Algérie le statut d’enseignant ait été, et soit jusqu’à présent aussi dévalorisé. Près d’un demi-siècle consacré à former des générations sans en contrepartie obtenir une véritable reconnaissance pour les sacrifices et les efforts accomplis.



« Nous, les enseignants, nous n’avons jamais su imposer notre point de vue. Les enseignants sont considérés comme une charge, comme de simples consommateurs, ce qui est absolument faux. Malheureusement, cette idée est ancrée dans l’esprit des décideurs politiques. Elle amène tout droit à la démission de l’enseignant qui ne se sent pas motivé. Il est livré à lui-même et n’est pas défendu lorsqu’il ose dire non. » Cette démobilisation, ajoutée aux programmes incohérents, voire obsolètes sont-ils les facteurs qui ont ajouté de l’eau au moulin des partisans de l’école sinistrée ? « Il y a un peu de cela, mais nous avons tous notre part de responsabilité. On n’a pas voulu ‘’soigner’’ l’école par des programmes adaptés, par une pédagogie moderne, par une ouverture sur le monde extérieur marqué par la technologie. Chez nous, tout stagne. Par exemple en Algérie, on ne sait pas ce que recyclage veut dire. » (*)



El Hadj Moulay et la recherche en Algérie



Dénoncer le système en place ne semble pas non plus incommoder El hadj Moulay :



« Je me demande où sont passés les crédits débloqués pour la recherche par l’Etat. On est arrivé à favoriser le clanisme, le régionalisme. L’Etat n’exige pas de comptes. Pour ma part, je n’ai jamais été sollicité pour faire partie d’une quelconque équipe de recherche. Mon dernier voyage à Aix-en-Provence pour consulter les archives m’a coûté le double de ma pension. Par contre, il y a des professionnels des voyages qui en Turquie, qui en France, qui en Egypte sont choyés avec leurs frais de mission mais rentrent les mains vides. De plus, depuis que j’ai quitté l’université, personne ne s’est inquiété de mon sort. Quelle ingratitude ! » (*)



Je ne voudrais pas finir sans évoquer l’admiration d’El Hadj Moulay Belhamissi pour la figure emblématique que fut l’Emir Abdelkader. Il fit d’ailleurs partie du comité scientifique de la fondation Emir Abdelkader et ses diverses contributions dans ce pan de l’histoire ont profité aux membres de cette association et à leurs activités qui lui seront à jamais reconnaissants.



Si Moulay est un exemple et un modèle pour les générations à venir.



Rahimahou Allah Wa ghafara Lahou.


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