Professeur, que se passe-t-il en Egypte ' Nous assistons depuis le 15 janvier à une résultante, un aboutissement des années de lutte, de revendications politiques de la société. Sans remonter loin dans le temps, nous pouvons citer deux exemples. Le débat en 2004 sur l'amendement de l'article 76 de la Constitution. Cet «article» que le Président Hosni Moubarak a fini par accepter de revoir après l'énorme marche du Caire, a fortement consolidé le verrouillage et démontré les limites de l'action citoyenne. Lors de la présidentielle de 2006, ces limites ont été observées. Le régime Moubarak a refusé l'instauration des règles de succession. Ce «refus» a laissé les portes ouvertes aux spéculations. Dont celle donnant son fils, Gamal, comme successeur. L'Egypte, une république atypique, avec des caractéristiques monarchiques ' In fine, ces spéculations ont donné des mouvements de résistance, comme Kifaya d'Ayman Nour. Sûr de lui, le régime de Moubarak a continué à ignorer les «Â appels » de son peuple à des réformes politiques. C'est dans cette stratégie de refus, voire de mépris, que les législatives de décembre dernier ont été organisées et remportées à une écrasante majorité par le parti au pouvoir qui a besoin d'un consensus de façade au Parlement pour imposer aux Egyptiens Gamal comme le candidat tout indiqué pour la présidence. Ces législatives ont été dénoncées fortement par l'opposition. Notamment sur la «manière» dont elles ont été organisées, truquées et boycottées par une opposition qui a fait de ce scrutin un point de départ pour ne plus demander des réformes mais une rupture avec le système. Comme la majorité est pauvre dans sa majorité, qu'elle est marginalisée et qu'elle ne s'identifie plus avec le système.Moubarak a changé son gouvernement, promis des réformes et un dialogue… C'est un changement politique qui préserve surtout les choix géostratégiques fondamentaux du Raïs qui a gouverné pendant 30 ans avec le soutien des Etats-Unis qui considèrent l'Egypte comme un pays pivot au Moyen-Orient. Ce n'est nullement un hasard si, depuis le début de cette crise, les responsables américains font réunion sur réunion et enchaînent des entretiens. Obama a même convoqué une réunion de son conseil national de sécurité. Le président américain, sa secrétaire d'Etat, les Occidentaux, les Israéliens ont peur de l'effondrement du système égyptien. C'est pour cette dernière raison qu'ils ont demandé la désignation de Omar Souleïmane comme vice-président. C'est le début de la succession du système et la possibilité pour les Etats-Unis de continuer leur politique au Moyen-Orient avec l'apport d'un expert. Non seulement des pourparlers israélo-palestiniens mais aussi du dialogue interpalestinien (Fatah-Hamas).Mais cette succession douce, calculée, ne répond pas aux attentes des manifestants qui veulent le départ du régime Moubarak comme l'a fait le régime Ben Ali en Tunisie…L'ex-patron des renseignements n'a pas a été choisi au hasard. Dans l'immédiat, il doit chercher un pacte avec l'opposition. Même si celle-ci refuse tout contact avec le gouvernement avant le départ de Moubarak. Comme les Occidentaux et l'armée ont besoin d'un pouvoir stable, pas nécessairement de consensus, ils pourraient «pousser» à la consommation de ce départ très rapidement.Et les Frères musulmans ' Ils pourraient faire partie d'une structure secondaire d'un exécutif national. Leur intégration dans l'immédiat dans un gouvernement est à exclure. Elle requiert leur légalisation. Qui ira à ce dialogue ' Tous les acteurs politiques du pays qui acceptent Souleïmane dans son nouveau rôle. Et Mohamed ElBaradei ' C'est surtout un nom en Occident où il vient de passer 30 ans. En Egypte, c'est un visage peu connu. Par rapport aux réalités de son pays, il semble en déphasage et son discours est inaudible. L'engagement des Frères musulmans derrière lui n'est pas suffisant pour en faire un chef de file. Sa dernière tentative de s'autoproclamer «leader» de l'opposition pour négocier avec le pouvoir a été vite rejetée.Tous les spécialistes ou dits comme tels parlent d'un printemps arabe, d'un effet révolution du Jasmin. Croyez-vous en cette contagion annoncée ' L'effet type Europe de l'Est est à écarter. Mais des ondes de choc pourraient prendre place un peu partout. Les cas jordanien et yéménite peuvent se reproduire. Notamment dans les pays où on continue à considérer les peuples comme dans les années 70 ou 80. Tout a changé depuis. Aujourd'hui, à l'ère d'Internet et des réseaux sociaux, la censure des idées n'est plus possible. Il est tout indiqué à ces pays de songer à créer des «Â mécanismes » qui pourraient, s'ils sont crédibles, les immuniser contre ce type d'«émeutes» et les «inévitables manipulations, comme celles d'Al Jazeera en passe de se transformer en télé révolte. Ces mécanismes passent par l'instauration d'une justice distributive et d'une démocratie réelle, deux «voies» à même d'accompagner les changements et de les réussir.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 00/00/0000
Posté par : sofiane
Ecrit par : Djamel Boukrine.
Source : www.horizons.com