Algérie

ENTRETIEN AVEC MANSOUR MOULOUD, DOCTEUR D'ETAT EN DROIT CONSTITUTIONNEL, MAÎTRE DE CONFERENCE À LA FACULTE DE DROIT D'ALGER



Entretien réalisé par Brahim Taouchichet
Il ne faut pas focaliser, nous dit notre interlocuteur, ni sur la nature du régime parlementaire issu des législatives du 10 mai prochain ni sur la réduction du nombre de mandats présidentiels qui n'est pas synonyme d'exercice de la démocratie. Bien plus, c'est l'image recomposée de la future Assemblée populaire nationale qui retiendra l'attention quant à une éventuelle nouvelle répartition des prérogatives entre les pouvoirs.
Le Soir d'Algérie: Pourquoi le débat actuel sur la révision de la Constitution et quels en sont les enjeux '
Mouloud Mansour : En réalité, il repose sur le changement du relief politique en général et plus particulièrement sur l'organisation des pouvoirs, l'Etat et éventuellement la perspective de l'instauration de l'Etat de droit qui est en train d'être mis en place. Bien sûr, ce n'est qu'un début, mais c'est le constat. Le débat aujourd'hui sur la Constitution est à mon avis politique en raison de l'émergence de beaucoup de tendances politiques que concrétise l'apparition des partis. La Constitution actuelle trace les contours d'un régime politique démocratique, un système constitutionnel de nature présidentialiste étant donné que le pouvoir exécutif et la fonction gouvernementale exercée par le gouvernement et le président de la République mettent en exergue ce système. La convocation du corps électoral par le président de la République pour les élections législatives laisse entendre qu'il y aura recomposition du Parlement avec l'apparition de plusieurs partis agréés.
La recomposition de l'assemblée suite aux législatives d'où sortira une nouvelle majorité va-t-elle introduire une nouvelle dynamique des pouvoirs politique, exécutif et législatif '
Il ne faut pas oublier que le président de la République, depuis sa première élection en 1999, a émis des réserves sur l'actuelle Constitution. De plus, il a opéré des changements sur la répartition des prérogatives aussi bien celles qui relèvent des domaines réglementaire et législatif, entre le Parlement et le gouvernement. Il parachève ces changements par la révision de la Constitution en 2008. Le Premier ministre actuellement voit son domaine réglementaire se rétrécir, car la promulgation de décrets exécutifs est subordonnée à l'approbation du président de la République. Cela veut dire que le domaine réglementaire est «repris» par le président.
Cela va-t-il induire une nouvelle approche de la fonction présidentielle si l'on considère que nous nous dirigeons vers un nouveau régime : parlementaire, présidentiel ou autre '
Cette question a été soulevée plusieurs fois par des partis qui sont dans l'alliance présidentielle et des personnalités politiques. En réalité, si la nouvelle composante en fait la demande dans le Parlement d'une part le passage à un autre régime signifie une nouvelle Constitution. Or, l'actuelle consacre le régime présidentialiste et une réorganisation des pouvoirs entre le Parlement et l'exécutif. Il est clair que dans un tel régime, il n'y a pas collaboration des pouvoirs, mais une séparation presque rigide. Cela veut dire en principe que le gouvernement n'aura plus les prérogatives de l'initiative des lois, il n'y aura plus d'ordonnance prise dans le cadre de la législation par le président de la République comme le stipule l'article 124 de la Constitution. Tout cela doit se concrétiser dans la pratique ou on passe à un autre régime, parlementaire. Deuxième hypothèse, étant donné le nombre de partis actuels, aller à un nouveau régime veut dire la mise en place d'un régime parlementaire à majorité. Je m'explique : s'il n'y a pas un parti très puissant qui a la majorité, ce sera un parlement à majorité simple.
Une cohabitation forcée entre le Président et une majorité parlementaire qui n'est pas issue de sa famille politique peut-elle déraper en conflit politique '
Il faut préciser que lorsqu'un parti n'a pas la majorité absolue dans un régime parlementaire, on serait dans un «gouvernement à majorité» formée par une coalition qui pourrait s'effriter un jour ou l'autre, car elle est basée sur des accords, des ententes et pas sur le programme politique d'un seul parti. Un incident au cours de la législature pourrait survenir et avoir un impact sur le gouvernement. Si cette majorité n'est pas conforme à la majorité présidentielle concept qui n'a été soulevé dans aucun débat à ce jour, il ne faut pas oublier que le président de la République est élu au suffrage universel à partir d'une majorité présidentielle qui a son assise électorale propre, le gouvernement exécute le programme de la majorité. Il ne faut pas oublier qu'aux XXe et XXIe siècles, le président est responsable non pas devant le Parlement, mais devant le peuple qui l'a élu et qui aura à apprécier son action lors d'une élection présidentielle ou d'un référendum où sa popularité est jaugée. Le président peut, dans ce cas, cohabiter avec une majorité parlementaire puissante qui a le souci de l'intérêt général. Il laissera, avec son accord, le Parlement désigner son gouvernement. Si on part de l'hypothèse d'un régime parlementaire cela signifie que le programme politique ne sera plus celui du président de la République. Dans le cas d'un régime présidentialiste, le programme sera toujours celui du président de la République.
Comme c'est le cas aujourd'hui '
L'histoire se répète, on glisse de nouveau dans un régime présidentialiste.
La réforme de la Constitution prévue après le 10 mai va-t-elle induire une révision à la baisse du nombre des mandats '
Il est reconnu que le mandat de 5 ans est d'une durée raisonnable. C'est le cas en France par exemple où il y avait le septennat dans le but de cadrer avec le mandat parlementaire qui est de 5 ans. Pourquoi ' Afin que la majorité parlementaire ainsi que la majorité présidentielle se décident en vue d'une bonne gouvernance et apprécier où s'exerce réellement le pouvoir. La Constitution française de 1958 n'a été révisée que récemment dans son article 6 par le président Sarkozy qui en a limité les mandats à 2 en ajoutant un alinéa. Vous savez que la Constitution américaine qui est la plus ancienne ne limite pas le nombre de mandats qui sont soumis à la pratique constitutionnelle. Ce fut la démarche de George Washington tendant à instaurer cette pratique. L'exception a été faite avec le président Roosevelt pour cause de Seconde Guerre mondiale, le contexte économique, etc. La Constitution américaine ne limite donc pas les mandats. Personnellement, je considère que cette limitation est une problématique en soi pour instaurer la démocratie. Je m'explique : c'est au peuple d'apprécier la légitimité du président de la République. S'il constate que le président a failli, il ne le réélira pas. S'il voit qu'il a répondu à ses attentes, il peut le réélire autant de fois qu'il le veut. La limitation du nombre de mandats ne relève pas forcément de la pratique de la démocratie.
Le pouvoir veut donner toute la crédibilité à ces élections dans sa volonté proclamée de rétablir la confiance des citoyens dans les institutions. La mobilisation des moyens énoncés (neutralité de l'administration, observateurs étrangers, magistrats-superviseurs des élections) est-elle une garantie de reconquête de la légitimité '
Ce genre de garanties que l'Etat algérien veut donner à ces élections s'adresse beaucoup plus à l'étranger et à l'opposition interne et aussi certaines personnalités politiques, celles de la société civile quant à leur transparence et à leur honnêteté et l'impartialité de l'administration. Là est tout l'enjeu des nouveaux mécanismes instaurés par la loi électorale de 2012 avec la création d'une commission de supervision composée uniquement de magistrats. Indépendante de par sa nature, elle ne réfère à aucun autre organe et peut même recourir à la force publique pour l'application de ses décisions. Il s'agit là de la légalisation de la commission nationale des élections législatives (qui était autrefois politique) portant consensus national depuis 1995 qui a vu se mettre d'accord tous les acteurs politiques pour aller aux élections. Cette commission de supervision prévue par l'article 171 de la loi électorale et la commission prévue par l'article 168 de la Constitution doivent travailler de concert pour des élections neutres.
Qu'est-ce qui dans les programmes des différents partis politiques et les discours de leurs dirigeants en quête de légitimité peut inciter à une nouvelle perception de l'Etat de droit sachant, pour la plupart, leur faible ancrage populaire '
Je répondrai à la question de l'instauration de l'Etat de droit. Il faut le concours de plusieurs parties ainsi que les acteurs sociaux à travers une participation démocratique, la démocratie participative. Sachant la scène politique encadrée par une trentaine de partis et les associations qui vont apparaître, nous serons dans une société véhiculant des idées hétérogènes qui vont converger vers un but commun qui est l'Etat de droit. On peut dire que les partis et la société civile peuvent suivre l'exécution de la politique de l'Etat.
L'ancrage populaire des partis '
On ne peut pas encore juger leur ancrage populaire, mais un constat est fait depuis longtemps. Les partis politiques doivent s'impliquer, être proches du citoyen, l'encadrer en étant présents tout au long de l'année afin que leur mission soit plus facile le jour des élections. A ce niveau, les pouvoirs publics en ont fait le constat à travers l'abstention quand bien même elle existe dans tous les pays du monde, mais elle est aussi liée à l'absence d'une culture politique des Algériens. La loi sur les partis politiques stipule qu'ils doivent veiller à encadrer les citoyens.
Quel est le regard du juriste sur l'intrusion des forces de l'argent dans la compétition électorale '
Franchement, là vous me placez sur un autre registre. Si l'on se place sous l'angle du financement de partis politiques, ce n'est pas le jour de la confection des listes que le candidat vient avec sa fortune. Cela prouve que ce parti n'a pas de programme politique. Certains candidats ne croient même pas à la politique de leur parti. L'argent ne peut être une forme d'expression de la démocratie
Dans quelle mesure les élections législatives du 10 mai peuvent-elles constituer une avancée dans les réformes politiques '
On ne peut pas encore se prononcer au regard du résultat de ces élections qui verront se dessiner en filigrane le nouveau mode de conduite. Il y aura ou bien la continuité du système institutionnel actuel ou bien le passage à un autre. Mais à mon avis, un régime parlementaire sans parti majoritaire ne pourra pas réaliser les attentes des citoyens.




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