Algérie

Entretien avec le Dr Salah-Eddine Kaddem. La polyarthrite rhumatoïde : de nouvelles révolutions thérapeutiques



Entretien avec le Dr Salah-Eddine Kaddem. La polyarthrite rhumatoïde : de nouvelles révolutions thérapeutiques
La polyarthrite rhumatoïde est une maladie invalidante qui concerne plus de 300 000 personnes en Algérie. Ce qui est énorme. Souvent, les malades sont condamnés, parfois abusivement, à n’ingurgiter que des corticoïdes qui, souvent, laissent de pénibles traces sur la santé de la personne, déjà trop marquée par les horribles handicaps de la polyarthrite.

Pour mieux comprendre cette maladie, nous avons approché le docteur Salah-Eddine Kaddem, spécialiste reconnu en rhumatologie, qui a traité de nombreux cas. De retour de Paris où il vient de participer au congrès de la Société française de rhumatologie, ce médecin, très actif, s’intéressant aussi bien aux questions de l’environnement qu’aux médecines dites traditionnelles et à l’acupuncture, d’une implacable curiosité, nous entretient ici de cette maladie, ses causes, ses symptômes, mais surtout des avancées thérapeutiques et des possibilités de freiner durablement l’évolution de cette maladie.

La polyarthrite rhumatoïde est très fréquente en Algérie. Qu’en est-il au juste ?

S. E. Kaddem : En Algérie, la polyarthrite rhumatoïde est très fréquente, mais il y a un sérieux déficit d’études épidémiologiques pour vous donner des statistiques concernant l’évolution de cette maladie dans notre pays. En gros, et selon certaines estimations, elle toucherait de 0,7 à 1% de la population algérienne. C’est un peu plus de 300 000 personnes qui sont touchées par la polyarthrite rhumatoïde avec une très nette prédilection pour les femmes (trois fois plus de femmes que d’hommes).

Vous avez soigné de très nombreux cas de cette maladie. Quelles en sont, selon vous, les causes ?

Oui, j’ai soigné plus de 1 000 cas de P. R ici à Annaba. Les causes de cette maladie ne sont pas encore bien connues. La polyarthrite rhumatoïde est considérée comme une maladie auto-immune, car des cellules du système immunitaire s'attaquent aux articulations, notamment en produisant des anticorps nocifs appelés «auto-anticorps». Ceux-ci ainsi que d’autres cellules du système immunitaire s’attaquent aux articulations plutôt que de combattre des substances étrangères au corps (par exemple, des virus). L'hypothèse la plus plausible serait que la maladie se déclenche en réaction à un ensemble de facteurs génétiques, biologiques, infectieux et environnementaux, le tabagisme entre autres. Le rôle du tabac dans le développement de la maladie a été récemment démontré par des études extrêmement sérieuses. Ainsi, le risque de développer la polyarthrite rhumatoïde pour un fumeur augmente chez les hommes comme chez les femmes, mais avec un pourcentage nettement supérieur chez les hommes. Les différences entre hommes et femmes montreraient l'importance des facteurs hormonaux dans la maladie.

La polyarthrite est-elle une maladie génétique ?

Le fait d'être parent d'un malade augmente le risque de développer la maladie. Ceci suggère qu'un facteur génétique favorise l'apparition de la maladie. Ces dernières années, les progrès effectués en génétique ont permis de détecter plus de 30 facteurs génétiques impliqués dans l’apparition de la polyarthrite. Seule l’implication de certains gènes, comme le HLA-DRB1 et le PTPN22, est cependant clairement démontrée. La polyarthrite n’est toutefois pas une maladie «purement» génétique. On estime que le poids de la génétique dans le déclenchement de la polyarthrite est inférieur à 30 %.

Quels sont alors les symptômes de cette maladie et comment se manifeste telle ?

La polyarthrite rhumatoïde est la plus fréquente des diverses formes de rhumatismes inflammatoires chroniques regroupées sous l’appellation «arthrite». Elle entraîne une inflammation de plusieurs articulations à la fois, qui enflent, deviennent douloureuses et sont limitées dans leur amplitude de mouvement. Ces articulations peuvent se déformer progressivement. Chez la majorité des personnes atteintes, la polyarthrite rhumatoïde touche d'abord les mains, les poignets, les genoux et les petites articulations des pieds. Avec le temps, et parfois, dès le début de la maladie, les épaules, les coudes, la nuque, les mâchoires, les hanches et les chevilles peuvent également être touchés. Il existe une nette prédominance féminine avec un sex-ratio de 3/1, mais cette différence semble s'atténuer avec l'âge. Le pic de fréquence se situe autour de la quarantaine. Cependant, la maladie peut débuter à tout âge, y compris chez l'enfant (arthrites juvéniles idiopathiques). L’évolution de la polyarthrite rhumatoïde est imprévisible. Dans bien des cas, elle évolue par poussées, entrecoupées de périodes où les symptômes s’atténuent, voire disparaissent temporairement. En règle générale, la maladie tend à s’aggraver, à atteindre et endommager de plus en plus d’articulations. Si elle n’est pas correctement traitée, la polyarthrite peut devenir très invalidante. Les symptômes initiaux sont représentés par : Le gonflement (œdème) d’une ou le plus souvent de plusieurs articulations. En règle générale, l’atteinte est «symétrique», c’està- dire que le même groupe d’articulations est touché des deux côtés du corps. Il s’agit souvent des poignets ou des articulations des doigts, en particulier, celles situées le plus près de la main. Les articulations atteintes sont également chaudes et parfois rouges. Des douleurs (ou une sensibilité) aux articulations atteintes. Les douleurs sont plus fortes la nuit et au petit matin, ou après une période de repos prolongé. Elles occasionnent souvent un réveil nocturne. Une raideur des articulations le matin, qui persiste durant au moins 30 à 60 minutes. Cette raideur s’atténue après le «dérouillage» des articulations, c’est-à-dire après les avoir bougées et «réchauffées». Cependant, la raideur peut revenir dans la journée, après une période d’inactivité prolongée. Dans moins de 10 % des cas, la polyarthrite débute assez brutalement et peut s’accompagner d’une fatigue et d’une fièvre supérieure à 38,5° C.

Cette maladie pourrait vraisemblablement affecter des organes vitaux comme le cœur, les poumons et les reins et diminuer l’espérance de vie. Qu’en est-il au juste ?

Chez certaines personnes, la polyarthrite rhumatoïde peut «attaquer» divers organes, en plus des articulations. Ces formes peuvent nécessiter une approche thérapeutique plus énergique. Une sécheresse des yeux et de la bouche (un syndrome de Gougerot- Sjögren), est présente chez environ un quart des personnes atteintes. Une atteinte du cœur, en particulier de son enveloppe (appelée péricarde), n’entraînant pas toujours de symptômes, risquerait de se manifester. Comme d’ailleurs les poumons, les reins ou les yeux qui pourraient aussi être atteints, à la suite de la consommation des médicaments ou aggravés par ceux-ci. Sans oublier les signes d’anémie inflammatoire. La polyarthrite réduisait l'espérance de vie de 3 à 7 ans, principalement du fait des atteintes cardiovasculaires. Aujourd'hui, un patient qui bénéficie de bons traitements au bon moment a une espérance de vie qui se rapproche de celle de la population générale (bons traitements veut dire traitements de fond).

Existe-t-il des traitements à même d’arrêter la progression de cette maladie ? Que devrait faire le patient pour avoir une vie plus ou moins normale ? Est-il condamné à ingurgiter à n’en pas finir les corticoïdes ?

Grâce aux biothérapies, les rhumatologues disposent, aujourd’hui, de médicaments capables de stopper l’évolution de cette maladie. Toutefois, la qualité et les résultats de la prise en charge reposent essentiellement sur un diagnostic et un traitement précoces. Il est primordial de traiter précocement les patients avant que la maladie ne soit responsable de lésions articulaires irréversibles. Une prise en charge à temps permettra d’aider le malade à jouir d’une vie normale, tant sur le plan familial, conjugal ou professionnel. Mais le gros souci reste, toutefois, d’informer le plus grand nombre de rhumatologues de cette révolution thérapeutique. Il faut qu’ils soient au courant des dernières avancées dans le domaine. Il faut dire aux médecins généralistes : Ne «jouons» plus avec la cortisone car ça peut causer de très graves accidents à nos malades. La prise en charge tardive de la maladie mène fatalement vers le handicap et le recours aux prothèses. C’est pourquoi j’insiste sur la nécessité de sensibiliser et d’informer les rhumatologues et les médecins généralistes pour les mettre en garde quant à la prescription exagérée des corticoïdes. Malheureusement dans beaucoup de pays, dont l’Algérie, la cortisone est prescrite outrageusement, notamment dans les cas de polyarthrite rhumatoïde. Ils doivent donc être informés sur la disponibilité des traitements ciblés et efficaces que sont les biothérapies. Les malades doivent aussi être bien informés et exiger de voir un spécialiste en rhumatologie, et surtout ne pas traîner la maladie. Le fait de traiter précocement une polyarthrite rhumatoïde et d’avoir accès aux traitements révolutionnaires accroit considérablement l’espérance de vie. Des recherches dans certains pays viennent de révéler que depuis l’utilisation de ces biothérapies révolutionnaires, la probabilité d’avoir recours à une prothèse articulaire a nettement diminué. Grâce aux biothérapies, le malade gagne 7 à 10 ans d’espérance de vie, alors qu’avec les corticoïdes, il perd dix années.

Y a-t-il des personnes à risque ? Peut-on prévenir cette maladie ?

Comme je l’ai dit plus haut dans la partie définition de la PR, les personnes à risque pour la polyarthrite rhumatoïde (PR) sont surtout des femmes, mais également des personnes qui ont eu des antécédents de PR dans leur famille (composante génétique).

Y a-t-il une prévention possible à l'arthrite ?

La douleur arthritique peut difficilement être prévenue. En revanche, les modifications des habitudes de vie ou certaines techniques (kinésithérapie, physiothérapie, ergothérapie…) peuvent soulager les malades. Par ailleurs, la fatigue, le stress, l’anxiété jouent un rôle néfaste et accentuent les douleurs. Un équilibre entre plages d’exercice et plages de repos doit être trouvé pour préserver la mobilité des articulations et maintenir la masse musculaire. Des mouvements réguliers, souples et lents sont conseillés. La lutte contre l’excès de poids est également une priorité pour ne pas peser sur les articulations. On ne peut pas pour l’instant prévenir cette maladie (PR). On peut ralentir et éviter les dégâts et avec cette révolution thérapeutique, on peut donc stopper la progression et l’évolution de cette terrible maladie.

Quel est l’état actuel des avancées en matière médicale pour soulager et freiner l’évolution ?

Du simple traitement de la douleur en passant par les traitements de fond, aux biothérapies, la prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde a considérablement évolué ces dernières années. Les traitements de la polyarthrite rhumatoïde permettent de soulager et de réduire l'inflammation. Les biothérapies (anti-TNF alpha et autres) peuvent notamment ralentir et stopper l’évolution de la maladie. C’est une véritable révolution thérapeutique dans la prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde, une révolution majeure pourrait-on dire. Le but de ces traitements de fond est d'obtenir une rémission, de contrôler la douleur et de préserver l'espérance et la qualité de vie : on peut citer Le Plaquenil®, La Salazopyrine®, L’Arava®, Le Méthotrexate (Novatrex®) Méthotrexate®). Le Méthotrexate est le nom du principe actif ; il s’agit d’un immuno-suppresseur antifolique aux propriétés anti-prolifératives quand il est utilisé à forte dose en hématologie ou cancérologie, et anti-inflammatoire lorsqu’il est utilisé à plus faible dose. C’est le traitement de fond le plus largement prescrit dont le taux de maintien à long terme est le plus élevé. Les biothérapies sont des traitements de fond issus de la biotechnologie : les anti- TNF alpha : l'etanercept (Enbrel®), l’adalimumab (Humira®), l'infliximab (Remicade®), etc. En cas d'échec d'un anti-TNF-alpha, d'autres biothérapies peuvent être proposées : ce sont des traitements innovants qui ont vu le jour ces dernières années. Parmi les nouveaux traitements performants, il existe désormais deux médicaments révolutionnaires : le Rituximab (Mabthera*) et le Tocilizumab (Actemra*). Ces thérapies sont plus efficaces et plus ciblées. Il ne faut pas oublier aussi l’abatacept – Orencia®. De nombreuses études ont pu témoigner de l’efficacité de ces médicaments et révélé qu’ils inhibent la progression de la destruction des articulations et améliorent les capacités physiques des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde. L'arsenal thérapeutique va s’enrichir dans un proche avenir car d’autres molécules de biothérapies sont en développement dans de grands laboratoires et centres de recherche spécialisés à travers le monde.


Ahmed Cheniki


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