Algérie

Entretien avec le chanteur kabyle Amghid :«Je regrette une certaine pauvreté dans la langue de composition des textes...»



Entretien avec le chanteur kabyle Amghid :«Je regrette une certaine pauvreté dans la langue de composition des textes...»
Publié le 31.01.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie

Entretien réalisé par Aziz Kersani

Amghid (prolétaire), de son vrai nom Amokrane Merabet, natif du même village que le regretté chanteur Taleb Rabah, Tizit, relevant de la municipalité d’Illiten, dans la wilaya de Tizi-Ouzou, est un immense auteur-compositeur-interprète d’expression kabyle. La puissance de sa poésie fait que certains observateurs de la chanson n’hésitent pas à le qualifier de ciseleur du verbe. Ses premiers pas remontent à la fin des années 1970 alors qu’il était encore lycéen. Sa première chanson intitulée Amek ayemma... est un véritable chef-d’œuvre qui continue, plus d’une quarantaine d’années après sa sortie, à charmer le public. A travers cet entretien, Amghid, qui parle de son parcours artistique, porte un regard critique sur la chanson kabyle pour notamment, a-t-il expliqué, «une certaine pauvreté de la langue dans la composition des textes».

Le Soir d’Algérie : Ceux qui vous connaissent disent que vous êtes venu très jeune à la chanson avec déjà votre propre composition, une chanson intitulée Amek Ayemma...

Amghid : C’est vrai ! Au collège, en 1974/1975, j’ai repris pour mon premier passage sur scène une chanson du maestro, le regretté Cherif Kheddam, paix à son âme, Avrid Igounine Idhoul. Une petite anecdote au passage, quelques années plus tard, lors d'un spectacle en hommage à Da Cherif à Michelet, j’ai chanté la même chanson avec laquelle ce monument de la chanson kabyle a débuté sa carrière artistique tout en lui rappelant ses premiers pas également. Pour revenir à mes débuts, alors que j’étais lycéen, j’ai participé aussi à une émission consacrée aux chanteurs amateurs à l'époque présentée par le poète Mohamed Benhanafi qui n'est plus, paix à son âme, aussi de notre monde aujourd'hui. En me présentant à cette émission, je me souviens avoir croisé le défunt chanteur kabyle Taled Rabah, non moins aussi célèbre.
En me voyant, il était un peu surpris car étant du même village que lui, il me connaissait. Il m'avait demandé ce que je suis venu faire à la Radio et je lui ai répondu que c'était pour chanter. Il m’avait alors vivement encouragé. J'avais aussi croisé dans la cour de la radio Da Cherif Kheddam qui m’avait demandé si j'avais besoin d'être accompagné par un musicien. Pas lui bien sûr, mais de faire venir un autre musicien de la radio. J'avais répondu que je venais chanter une chanson de ma propre composition et que je me débrouille aussi avec une guitare... Je me souviens, il m'a accompagné à l'intérieur du studio d'enregistrement de l'émission et a parlé de moi à Benhanafi. Deux rencontres qui m'ont fait plaisir d'autant plus que leurs encouragements m'ont permis d'être à l’aise à l'enregistrement de l'émission.

Quel est le titre de cette chanson ?
Amek a yemma yidi tadra était ma première composition. C'était la chanson que j’ai présentée à cette émission consacrée aux débutants à la radio Chaîne II. Cette même chanson que j’avais chantée au lycée a été également bien accueillie par le public. Le groupe Imazighen Imula, charmé par la chanson qu'il avait écoutée, m'avait demandé de prendre contact avec lui pour me présenter à l'association Imdyazen en France pour me prendre en charge pour un éventuel enregistrement. Ce sera finalement chez les éditions Azouaou que j’ai enregistré mon premier album.

Justement, en quelle année vous avez enregistré votre premier album ?
Mon premier album intitulé Amek a yemma yidi tadra a été enregistré chez les éditions Azouaou France je crois en 1979. J’ai aussi produit un deuxième album chez les mêmes éditions. Deux albums que j’ai réédités à la demande du public, car n’étant plus disponibles sur le marché. En effet, de passage à Akbou chez un ami, des fans qui ne trouvaient plus ces albums m’ont demandé s’il était possible de les rééditer, ce que j’ai fait.

Vous avez produit combien d’albums dans votre carrière ?
Une dizaine, si ma mémoire ne me fait pas défaut : Amék Tazakla (le communisme), Adabu, Aqlagh amzoun, Mazal, Rzaget tudert, Tissura, Xaldun, Hadragh et un best of de 1980 à 2019, une compilation de deux albums avec jj, 13 titres chacun, intitulés Liberté et Espoir.

Pour revenir à vos débuts dans la chanson, d’où vous est venue cette envie de faire de la musique ?
En écoutant ma mère, qui a une très belle voix, entonner de magnifiques aççewiqs à la maison, l’envie de chanter n’a pas tardé à m’envahir. Et puis, il y avait aussi le grand chanteur Taleb Rabah qui est de mon village mais également comme tous les enfants de mon âge, l’écoute des grands maîtres de la chanson de l’époque à l’image de Cherif Kheddam, Aït Menguellet, etc. J’aimais également composer des poèmes dès mon jeune âge.

Même si vous continuez à produire des albums, vos apparitions sur scène se font très rares. Peut-on connaître les raisons de cette absence de spectacles ?
Oui, je n’ai pas arrêté la composition de chansons et la production de nouveaux albums, je ne fais pas trop de scènes, il est vrai, mais j’en fais quand même occasionnellement. La cause est surtout liée aux bonnes opportunités. Ceci dit, je n’ai pas disparu totalement puisque en plus de la production de nouveaux produits artistiques, j’ai participé à de nombreuses émissions de télévision en France ainsi qu’à la radio chaîne II entre autres avec Djahida, Medjahed Hamid, Makhlouf...

Le public qui vous suit observe que même s’il demeure charmé par vos mélodies, Amghid accorde une plus grande importance aux textes. Ceux qui vous suivent n’hésitent pas à vous qualifier de ciseleur du verbe au vu de la puissance et de la richesse de la langue de composition de vos textes...
Je pense en toute modestie que c’est un peu trop lourd à porter pour moi, ce qualificatif de ciseleur du verbe. Bien sûr que c’est toujours agréable d’entendre ce genre de reconnaissance pour le travail que l'on fait mais je ne me considère aucunement comme un ciseleur du verbe même si je me définis d’abord comme un poète qui s'accompagne par une mélodie assez élaborée pour porter mes textes. Au passage, je suis très exigeant sur le travail de recherche de l'écriture de mes textes. La mélodie est juste un support pour mes textes.

Quels sont les thèmes abordés dans vos chansons?
Un poète ou un chanteur en général est un observateur de son temps qui exprime à travers des textes réfléchis la douleur, la souffrance, la joie et les différentes émotions que ressent le peuple parmi lequel il vit. Des textes s’appuyant sur de bonnes mélodies qui ne doivent pas être éphémères et porter la voix de son peuple à dénoncer la misère, l’injustice sous toutes ses formes et de tous bords, l’arbitraire, l’intolérance et tout simplement chanter l’amour sans lequel la vie deviendrait fade. Sans s’engager politiquement parlant sous aucune chapelle politique pour garder toute son indépendance et sa liberté, un artiste doit être le porte-voix de son peuple qui exprime ses joies et ses souffrances. Ce sont autant de thèmes qui inspirent mes compostions.

Justement, quel regard portez-vous sur la chanson algérienne en général et kabyle en particulier ?
Même si, bien sûr, il y a encore du bon dans notre chanson et des chanteurs qui continuent à produire de très bonnes choses avec de très belles musiques et des paroles bien élaborées, je parle bien sûr de la nouvelle génération de chanteurs, je regrette néanmoins une certaine régression notamment de la langue de composition de textes.
Oui, je constate malheureusement notamment une pauvreté dans la langue de composition et dans les mélodies. Je comprends que les moyens ne sont pas toujours à la portée de nos jeunes chanteurs mais cela ne doit pas justifier cette régression.
Pour progresser dans le domaine artistique, nos jeunes doivent chercher à apprendre, s’investir dans la recherche tant sur le plan artistique que poétique. Un artiste ne doit pas se limiter à faire dans la reprise mais à se chercher un style propre, une identité à lui, pour durer. L’ancienne école, malgré l’absence totale de moyens, mais avec de la persévérance, chacun dans son domaine, a réussi à créer sa propre identité musicale à l’image de Cherif Kheddam, Taleb rabah, slimane azem, kamel hammadi, etc.

Pour terminer, peut-on connaître vos projets futurs, un nouvel album à l’horizon ?
Comme je vous l’ai dit, je n’ai arrêté ni la composition musicale ni poétique seulement je prends mon temps pour bien travailler mes produits. Il ne s’agit pas de produire pour produire. Moi j’accorde une grande importance à l'écriture pour promouvoir la langue avec laquelle je chante. Une chanson doit aussi jouer le rôle d'un cours de langue comme l'écriture de livres. C'est dans ce sens que je compte éditer les textes que j’ai chantés avec d'autres textes également en chantier actuellement... Je prépare un nouvel album pour bientôt.
A. K. 



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