ENTRETIEN AVEC LA REALISATRICE SAFINEZ BOUSBIA «El Gusto est une histoire humaine extraordinaire»

Une jeune femme venue d'Europe avec son amie irlandaise entre dans une échoppe de La Casbah. Elle veut acheter un de ces vieux miroirs joliment décorés par d'habiles artisans. L'artisan âgé de 83 ans est aussi musicien. Il montre une vieille photo à la jeune femme.
Celle-ci «essuie» la poussière qui cachait les personnages sur la vieille photo. De merveilleuses images du passé ressurgissent. La magie du septième art donne naissance à un merveilleux film El Gusto. L'orchestre El Gusto ainsi formé réunit des musiciens comme Robert Castel (le fils de Lili Labassi), Maurice El Médioni, Luc Cherki, René Perez, Joseph Hagege, Réda El Djilali, Abdelmadjid Meskoud, Abdelkader Chercham ou Ahmed Bernaoui. C'est la fabuleuse histoire de Safinez Bousbia et la photo merveilleuse.
Le Soir d'Algérie : El Gusto est-il un nouveau Buena Vista Social Club '
Safinez Bousbia : Non, pas vraiment ! Mais c'est vrai que les gens en Occident et à travers le monde ne connaissent pas le chaâbi. De la musique algérienne, ils ne connaissent que le raï. Si le film contribue à faire mieux connaître le chaâbi, ce serait un moyen assez sympa de faire connaître un pays à travers sa musique.
Comment est venue l'idée du film '
L'idée, elle s'est un peu imposée à moi. Je suis d'origine algérienne, mais je ne connaissais pas l'Algérie. Un jour, une copine irlandaise me dit qu'on devrait faire un voyage en Algérie pour connaître mon pays d'origine. Alors, je suis descendue à Alger pour découvrir l'Algérie. Je fais une balade à La Casbah. Dans une échoppe, je vois un miroir et je décide de l'acheter. Je discute avec le propriétaire, M. Mohamed El Ferkaoui, et il me dit qu'il est aussi musicien tout en exprimant sa fierté d'avoir été un élève d'El Anka. Il m'a raconté l'histoire de sa classe et m'a montré une vieille photo sur laquelle ont voit des élèves de cette classe d'étudiants de chaâbi. Je lui pose des questions et il me répond que tel élève est mort, que tel autre est en France, tel autre en Algérie… C'est un peu pour répondre au souhait de ce monsieur, celui de l'aider à retrouver ses copains, que je me suis mis au travail. Mais le film a mis beaucoup plus de temps que prévu avant d'être réalisé…
Le tournage a eu lieu en Algérie '
Le tournage a eu lieu en 2006, 2007 et 2008, principalement à Alger, mais aussi à Marseille et à Paris.
Des anecdotes '
Il y en a tellement ! Au début, on n'avait pas pu tourner car les musiciens passaient des heures à raconter leurs souvenirs. Les histoires commencent toujours par des «tu te souviens'…». El Gusto n'est pas uniquement un orchestre professionnel. C'est une famille. Les musiciens viennent et s'investissent à fond dans ce travail.
Au fait pourquoi ce nom El Gusto '
C'est Mohamed El Ferkaoui qui m'a inspiré en me disant un jour : «J'ai fait mon gusto.» C'est très beau cette expression algéroise !
Certains ne semblent pas apprécier la présence de musiciens juifs dans le film et dans l'orchestre…
Quand j'ai pris la liste des anciens élèves d'El Anka au Conservatoire d'Alger, je n'ai pas cherché à savoir qui est juif, chrétien ou musulman. C'est un film sur une histoire humaine extraordinaire. Il y a beaucoup d'émotion là. Le courage et la passion de ces gens, c'est un fait important aussi. Beaucoup de gens, des pieds-noirs, etc., avaient pleuré lors des projections en France.
Comment le film a été accueilli à l'étranger '
A sa sortie en France, El Gustoa eu une couverture médiatique conséquente. Il a été aussi projeté, notamment, en Corée du Sud, à Amsterdam, Bruxelles, Sidney, au Festival du film de Tribeca et à Abu Dhabi où il a eu le prix de la critique et de la meilleure réalisation. En Algérie, l'avant-première est prévue le 27 juillet à la salle Cosmos d'Alger. Le film sera à l'affiche de la même salle à partir du 28 juillet. Le film continue sa tournée et l'orchestre aussi… Mon souhait, d'ailleurs, est que l'orchestre El Gusto continue à jouer et à faire des tournées.
Entretien réalisé par Kader B.