Algérie

ENTRETIEN AVEC LA COMÉDIENNE LIBANAISE NATACHA ASHKAR


«L’art transcende tous les clivages»
«Le réalisateur tend le miroir et dit: «Voilà, Beyrouth ment. Et moi, je vais vous montrer sa vérité...», confie l’artiste. Artiste polyvalente, gracieuse, et un peu fantasque, nous l’avons rencontrée en marge du Festival international du film arabe qui s’est tenu à Oran du 28 juin au 11 juillet, où elle s’est rendue pour présenter le film Khalass (2007) du réalisateur Borhane Alaouié. Elle y campe un des rôles importants dans le Beyrouth, d’aujourd’hui, et ce dans le grand désordre de la reconstruction. Cette coproduction belge-franco-libanaise est un film noir, évanescent, hésitant, qui mène les protagonistes forcément, à leur impasse. Avec une mince lueur d’espoir à la fin... Ahmed, pigiste d’un journal local, et Robby, réalisateur de documentaire, se sont liés d’amitié pendant la guerre, unis par le même rêve, celui d’un monde meilleur. Tous deux, comme tant d’autres, ont combattu pour cela. Eux ont survécu, avec ce sentiment amer d’avoir été dupés, trahis. Elle, Abir, une jeune femme d’une grande beauté, est née avec la guerre. Elle aussi a rêvé et milité.Elle vient de quitter Ahmed, car celui-ci ne vit que pour sa haine envers William Nawi, responsable de la mort de leurs camarades, et aujourd’hui riche homme d’affaires. Ahmed est d’abord tenté par le suicide, mais il se ressaisit: il a été guerrier, il sera justicier dans la vénale Beyrouth. Pour l’aider, il convainc Robby, qui accepte en mémoire de leurs camarades. La seule chose qui peut encore les sauver est l’amour de leur proche...celui peut-être de Abir. Ici, elle évoque avec nous, sans fioriture, la vraie image du Liban, fait de magie, d’obscurité, de stress, de menace de bombes, de tragédie, mais de vie malgré tout...L’Expression: Quel sens pourrait-on donner au titre du film?Natasha Ashkar: Le film se comprend par son titre, Khalass, cela veut dire qu’on est arrivé à un point de non-retour dans cette ville qu’est Beyrouth.On en a marre. C’est un cri. Les trois personnages principaux appartiennent à la génération de guerre. Ils ont eu beaucoup d’espoir quand l’après-guerre est venu. Mais ils vont vite déchanter en voyant que leur espoir n’était que désillusion totale.Cette ville a été excessive durant la guerre et ils ne peuvent ainsi l’envisager qu’autrement car c’est une ville tout le temps menacée de conflit.Votre rôle ressemble un peu à votre vie d’artiste?Mon rôle est celui d’une femme qui décide de quitter son amoureux. Elle et lui vivent une grande dépression. Etant forte, elle veut s’en sortir absolument. Elle ne veut pas suivre son copain qui est toujours vautré dans son passé.Le côté clinquant du Liban d’aujourd’hui transparaît bien en filigrane...Oui, il y a un côté clinquant. Je trouve ce côté très important, car on en a besoin, mais en vérité, le réalisateur a voulu montrer la vraie facette d’une ville et ce qu’il y a de mauvais en elle. Il y a un principe chez nous les Arabes. On a peur de regarder notre vérité.Ces clips, que nous voyons à la télé et qui ne sont pas du tout la réalité de ce que nous vivons, sont le reflet d’une époque décadente. On est bombardé de clips et de starlettes, qui ne renvoient pas à la réalité. Le réalisateur, ainsi, tend le miroir et dit: «Voilà, Beyrouth ment. Et moi, je vais montrer sa vérité.»Qu’en est-il du cinéma actuellement au Liban?L’intérêt pour le cinéma au Liban, est grand, nous avons une grande réceptivité de ce point de vue car nous avons 15 universités de cinéma. Il y a une grande envie de dire et de raconter. Chaque peuple qui a souffert est capable de dire des choses.Parfois la souffrance est inspiratrice, c’est une muse en fait. Elle permet, après, de transcender les problèmes et créer des oeuvres d’art.On a cru comprendre que vous êtes danseuse à la base, comme votre personnage dans le film..Je suis artiste polyvalente. Je suis aussi auteur dramatique. J’ai un scénario également. Pendant toute la période de guerre, j’ai intégré le ballet Caracalla par refus du confessionnalisme.Etant chrétienne, j’ai habité la ligne de démarcation dans un quartier qui sombrait dans le fascisme.Le sectarisme religieux tue la liberté. Chez nous, nous avons plusieurs communautés. Et nous avons intérêt à rester neutres. Parce que chaque fois qu’une communauté veut se mettre en avant, et être totalitaire, c’est toute la société qui sombre dans la guerre.Le fait de suivre le chemin de l’art m’a permis d’intégrer un Liban pluriel où je pouvais être dans une troupe où il y avait des musulmans des chrétiens, des sunnites, des chiites, des alaouites etc. Notre message est celui de l’art. Et l’art transcende tous les clivages, sociaux, confessionnels, ségrégationnistes, etc.Des projets?Je compte réaliser mon long métrage de fiction et écrire mon roman. C’est l’histoire de l’épopée d’une famille grecque qui va vivre une guerre qui n’est pas la sienne et ce jusqu’au début du siècle. Mais j’ai d’autres scénarios aussi en gestation. J’ai toujours en moi cette vision tragique de la ville de Beyrouth. Parce que Beyrouth est une ville tragique, c’est-à-dire pas dramatique. Elle est pleine de vie.Un mot sur le Festival arabe de Dubaï où vous vous êtes rendue récemment?Le Festival de Dubaï c’est la culture de l’artificiel, mais là, à Oran, on sent qu’il y a un débat, avec une programmation qui favorise le cinéma d’auteur.L’Algérie a toujours été un pays de militants...
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