Algérie

Entretien avec l’écrivain Afif Mouats :Une nouvelle génération d’écrivains algériens «qui ose et qui s'inscrit dans le temps»



Publié le 30.05.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
Entretien réalisé par Kader Bakou

Afif Mouats est né le 23 juin 1992 à Skikda, ville portuaire au nord-est de l'Algérie. Il est issu d'une famille d'artistes originaire de Saint-Charles, actuellement commune de Ramdane Djamel. Son père est professeur de musique arabo-andalouse, essayiste et critique d'art et sa mère est enseignante de français et interprète de chansons turco-arabes.
Petit, il s'intéresse très tôt à la littérature et à la musique et entend faire quelque chose une fois grand. Ceci dit, Afif a eu un long parcours semé d'embûches avant d'aboutir à une carrière de musicien professionnel pour y renoncer et choisir l'art du verbe et des mots justes, la littérature.
C'est en classe de langue qu'il découvre pour la première fois les flâneries de l'écriture lors d'un cours de mathématiques qui ne l'intéressait pas plus que ça visiblement. Il écrit ce qui lui passe par la tête et consigne ses pensées les plus abruptes. Mais c'est à l'université qu'il cultive son champ de mots et arrive à décrocher brillamment son doctorat lettres à l'université Mustafa-Ben-Boulaïd de Batna avant d'entamer l'écriture de son tout premier roman, L'Énarque, paru chez Édition El Amir.
Féru d'histoire et de politique, il signe un roman sociopolitique avant-gardiste qui rompt avec les codes du genre romanesque de la littérature algérienne contemporaine et arrive à peindre une fresque d'une Algérie à la croisée des chemins. D'autres parutions suivront peut-être mais, pour l'heure, un écrivain est né.

Le Soir d’Algérie : Un résumé de votre roman L’énarque ?

Afif Mouats : Un énarque est à la recherche d'un manuscrit perdu relatant l'histoire d'un ancien prisonnier de guerre dans les camps allemands du nom d'Edmond Michelet. L'énarque avait quelque temps plus tôt découvert sa version brouillon contenant le récit familial du prisonnier et quelque chose semblait bien l'intriguer dès le début du récit.
Quelqu'un a vraisemblablement déchiré les dernières pages du manuscrit. N'arrivant pas à élucider le mystère du manuscrit, il part en quête de vérité et finit entre-temps ses études, ce qui le pousse à s'engager activement sur la scène politique avant de faire campagne et se faire élire à la plus haute magistrature du pays. Ce n'est qu'après les élections qu'il met toute la lumière sur le manuscrit, un journal de bord entretenu par Anouch Abelyan, une journaliste algérienne juive dont le passé refait surface au cours du récit.

Vous revendiquez l'intertextualité dans votre œuvre. C’est plutôt rare chez les auteurs...

Rare, je ne le pense pas car des liens naturels s'établissent entre ces livres que nous prenons le soin de lire et de partager entre lecteurs. Si l'on reprend à plus d'un titre la définition de la notion d'intertextualité, «relation établie par le lecteur ou le critique entre un texte littéraire et d'autres textes», l'on est aussi en droit de donner du sens à ces textes antérieurs à l'acte d'écriture au moment de prendre sa plume. L'inconscient de l'auteur s'invite et se manifeste au cœur et en dehors du style d'écriture, de la langue, des tournures alambiquées et parfois même dans la conception même de certains archétypes tels que la figure de l'homme politique dans L'Énarque.

Vous avez dit un jour que vous n'avez pas compris Nedjma de Kateb Yacine lors de votre première lecture…

J'avais lu Kateb à un jeune âge. Nedjma reposait là, soigneusement rangé dans la grande bibliothèque du salon familial. Une œuvre magistrale, ontologique et oppressante. C'est ma mère qui me l'a recommandée. «Lis Kateb, dit-elle. Tu sauras !» J'ai su effectivement la beauté du verbe, l'engagement d'une vie et la femme bien-aimée. J'ai été amoureux de Nedjma, je le suis encore, sans doute. Cela explique aussi mes lectures incessantes du chef-d'œuvre et mon effroi. J'ai eu peur, je n'ai pas saisi la portée du propos et puis tout était confus. Le temps, les lieux, le récit, les chevauchements, tout.

l'Edmond Michelet de L’énarque est-il l’homme politique français, le père de l’écrivain Claude Michelet ?

Le Michelet de L'Énarque n'a rien à voir avec le Michelet Edmond, homme politique français. C'est en parcourant l'histoire d'Algérie et celle de France que je tombe nez à nez avec cet homme partisan de décolonisation du pays sous l'ère De Gaulle.
Certains de ses proches le trouvaient conciliant avec l'ennemi et c'est peut-être aussi la raison qui a fait que je m'intéresse un peu plus à l'homme. Vous savez, l'imaginaire de l'instance d'écriture est le fruit de l'unicité. Rendre matérielle notre imagination passe aussi par des sentiers peu commodes. Ce que je traduis dans L'Énarque par une mise en abyme du parcours déraisonnable du père de l'écrivain Claude Michelet sous la bannière d'un cheminot français qui rejoint le camp des opprimés.

Vous attendiez-vous au succès de L’énarque ?

Franchement non ! J'ai écrit L'Énarque sans prétention aucune. Je venais de soutenir mon doctorat lettres et avais envie de dire ce monde auquel j'appartiens. Je l'ai fait, brusquement. J'en garde un souvenir certain. Maintenant, j'ai eu des retours et je dois dire que le roman intrigue. Je suis aussi parti à la rencontre de mes premiers lecteurs et c'était formidable.
Je découvre la scène littéraire, les rouages, les maisons d'édition, les auteurs. C'est nouveau pour moi et je prends beaucoup de plaisir à le faire.

Des écrivains algériens et étrangers qui vous inspirent ou que vous admirez ?

Je lis assez pour dire que des femmes et des hommes ont laissé en moi une trace indélébile. Mohammed Dib, Kateb Yacine, Rachid Boudjedra, Assia Djebar, Maïssa Bey, Yasmina Khadra, Amin Maalouf, Alexandre Nadjjar, Robbe-Grillet, Le Clézio, Modiano et bien d'autres encore. J'aime lire, voilà tout, la nuit surtout et c'est là d'ailleurs que je les ai rencontrés.

Que pensez-vous de la nouvelle génération d'auteurs et d’écrivains algériens ?

Prolifique et consciente surtout d'elle-même. Une génération qui ose et qui s'inscrit dans le temps. Je lui souhaite le meilleur à l'avenir. Que vive notre littérature !

Un autre roman en préparation ?

Oui, prochainement, peut-être dès la fin de l'année courante ou celle d'après. J'écris, je me donne le temps nécessaire pour le faire et c'est ce que je fais de mieux actuellement.
K. B. 



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