Algérie

Entretien avec Ahmed Benbitour : « J'ai un projet pour sauver la nation »




- Dans une récente interview que vous avez accordée à El Watan, vous parliez d’un projet politique qui s’inscrit dans l’après-élection présidentielle. Peut-on en connaître les contours ?

Benbitour - Vous savez, depuis que j’ai quitté toute fonction officielle, voilà plus de huit ans, je passe l’essentiel de mon temps à observer la situation du pays, le chemin de sa dérive et à étudier les solutions viables. Le projet politique émerge des sujets de préoccupation, d’angoisse et de colère profondément partagés par les citoyens, à savoir l’absence de gouvernance, la dégradation accélérée des conditions de vie des Algériens, l’arrogance et l’autisme du pouvoir à l’égard des revendications de la société. C’est également la fermeture du champ politique en se berçant de l’illusion de contrôler l’ampleur du rejet du système par la société. Face à cette situation de rupture entre gouvernants et gouvernés, le statu quo n’est plus permis. Il faut en urgence une rupture réelle avec le régime actuel. Le projet politique proposé refuse le recours suicidaire au fatalisme. Il s’attelle à construire avec patience et détermination une alternative digne de notre pays et à la mesure des efforts consentis par notre peuple. Il démontrera qu’un changement pacifique du régime est possible.

- Vous disiez que le changement ne peut se faire avec les instruments du système, cela veut-il dire que la configuration actuelle de la scène politique est appelée à changer radicalement ?

- Tout à fait, puisque le changement pour lequel je travaille sera celui de la refondation de l’Etat en tant qu’instrument de l’unité nationale. Un Etat garant d’un pacte social approuvé par tous les Algériens. Tous les élus seront responsables devant le peuple et devront lui rendre compte. Bien entendu, l’objectif majeur étant d’instaurer un Etat en mesure de mettre en œuvre un projet de société moderne qui répond aux besoins des Algériens et qui garantit leur dignité et leurs libertés.

- Vous appelez au boycott du prochain rendez-vous électoral et vous invitez aussi les Algériens à changer le système de manière pacifique. Quelle est la recette d’une telle initiative ?

- En fait, le boycott est déjà un acquis et c’est le pouvoir lui-même qui l’a encouragé par la manière avec laquelle il a amendé la Constitution pour un troisième mandat pour le Président en exercice, en novembre 2008, excluant toute alternance au pouvoir. Lorsque la prise de conscience de l’inéluctabilité du changement sera effective chez la majorité des citoyens, il sera plus facile de travailler pour la mise en place des instruments efficaces pour prévenir un changement chaotique et ainsi éviter de le subir avec toutes les fortes probabilités de dérapage et de dérives dangereuses. Ce travail aura un impact décisif sur la mentalité collective de toutes les franges de la population. Cette question de mentalité collective est le point nodal de notre stratégie pour le changement. Parce que si on se limite à l’impact sur la mentalité individuelle, les désillusions et le manque de certitudes quant à la faisabilité du changement augmentent les risques de dérapage incontrôlable. C’est d’ailleurs pour cela que nous inscrivons notre action dans le temps, en dehors de tout agenda du pouvoir, en particulier les prochaines élections. Nous utiliserons les instruments des nouvelles technologies de l’informatique et de la communication pour permettre aux gens de travailler au changement, calmement, selon leur propre rythme et en toute sécurité.

- Comment comptez-vous mobiliser les Algériens qui semblent, à première vue, complètement désabusés et détachés de la chose politique ?

- Il est vrai que le clientélisme développé par le régime a réduit les préoccupations de la majorité des Algériens à des problèmes personnels : trouver un logement, s’assurer d’un travail stable, s’en sortir malgré l’appauvrissement général et l’instabilité, en somme « sallak rassek ». Mais cette perte de confiance en nos institutions et en l’avenir n’est pas une fatalité. Je crois fermement que nous pouvons renverser la tendance en nous mobilisant suffisamment. La flamme n’est pas éteinte, mais a simplement perdu de son éclat. Au fond de nous subsiste une étincelle qui doit devenir un rayon lumineux pour notre avenir. Retrouvons la foi en nous, en nos capacités, en notre valeur et en notre avenir. Le succès est assuré. Un peuple qui a sacrifié plus d’un million de martyrs pour son indépendance nationale, plus du sixième de sa population, dans la résistance à l’envahisseur entre 1830 et 1847 ; plusieurs dizaines de milliers de victimes du terrorisme pour résister à l’extrémisme, peut-il accepter de voir sa nation périr et se voir humilier, presque quotidiennement ? Moi, je dis non et je m’engage pour le changement.

- Partagez-vous la pensée du général à la retraite Rachid Benyelles, qui appelle carrément à la dissolution des partis politiques existants et du Parlement pour entamer une période de transition qui verrait l’avènement du changement par le biais d’un personnel politique rajeuni ?

- Toutes les propositions orientées vers le changement souhaité sont les bienvenues. Il est important que beaucoup d’autres personnalités politiques interviennent aussi dans les débats, individuellement et, mieux encore, collectivement, pour faire avancer le projet de changement de régime. Toute notre stratégie est de confier le pouvoir à un personnel politique rajeuni. Mais il faut s’engager totalement dans la voie sûre du changement. Que je sois clair : je ne cherche aucun bénéfice politique subjectif de mon travail pour le changement. Je n’ai aucun problème personnel avec les dirigeants actuels. Durant tout le temps qui nous a réunis au service de l’Etat, je les ai traités avec le plus grand respect qu’ils me rendaient, d’ailleurs, avec courtoisie. Seulement, le succès de la mobilisation pour le changement exige un engagement total, je m’y astreins.

- En réalité, y a-t-il des chances de voir aboutir un tel projet de période de transition devant la fermeture des champs politique et médiatique et l’asphyxie des libertés politiques, qui pourrait s’aggraver avec la reconduction du président Bouteflika pour un troisième mandat rendu possible par la révision de la Constitution, le 12 novembre dernier ?

- Vous y êtes. Je répète que le régime ne peut changer de l’intérieur ni par des appels aussi lucides soient-ils. Le changement ne peut se réaliser que par des initiatives en dehors de lui. Mais encore une fois, toutes les propositions sont les bienvenues, elles enrichissent le programme vers le changement.

- L’on parle ça et là de l’existence d’un groupe de militants de divers horizons qui est en train de se former autour de vous. Est-il appelé à s’élargir ? Avec qui êtes-vous prêt à travailler ?

- En fait, j’ai reçu ces derniers mois des militants de divers horizons, comme vous le dites, et de différentes régions du pays pour m’encourager à me présenter à la prochaine élection, tout en m’assurant de leur soutien et de leur engagement en faveur de ma candidature. J’ai expliqué à chaque fois qu’il n’y a rien à attendre de la prochaine élections en matière d’alternance au pouvoir. Que l’avenir du pays passait par un nouveau programme pour le changement. J’ai réussi à les convaincre et ils s’engagent dans la réalisation de ce programme. Ce n’est que le début, beaucoup d’autres nous rejoindront lorsque l’information aura bien circulé sur le contenu de ce programme. Bien entendu, nous sommes ouverts à tous ceux qui rejettent le fatalisme et qui croient en le changement.

- Quand donnerez-vous le premier coup de starter à ce projet ?

- Après l’élection présidentielle, c’est-à-dire au tout début du deuxième semestre 2009.

- Comment interprétez-vous le silence de beaucoup de personnalités politiques ?

- Il ne faut pas que le silence se transforme en mutisme. Ceci dit, il y a des contacts entre les différentes personnalités pour sauver la nation. J’aimerais inviter les personnalités politiques, les tenants du pouvoir et chaque Algérienne et chaque Algérien à s’intéresser aux questions qui suivent. Jusqu’où doit aller la dérive observée ces dernières années dans la gestion de l’ensemble des activités nationales pour prendre conscience du danger qui menace la nation ?

Jusqu’où peut aller la marginalisation des compétences nationales présentes dans le pays ou à l’étranger pour se rendre compte de l’irréversibilité du processus de destruction des potentialités du pays ?

Combien faut-il de constructions de biens publics et privés par la violence pour intérioriser la nécessité du changement ?

Quel niveau doit atteindre la force d’inertie démobilisatrice qui gangrène le pays et le condamne lentement mais sûrement à une régression pour se réveiller ?

Est-ce une telle situation à laquelle aspiraient ceux qui ont donné leur vie pour que nous soyons libres aujourd’hui ?

Est-ce celle dans laquelle chacun de nous, jeune ou vieux, femme ou homme, voulons vivre ? Est-ce une situation normale pour une économie qui jouit d’une aisance financière jamais égalée ?

Est-ce une situation viable pour une économie qui exploite une ressource non renouvelable (pétrole et gaz) au détriment des générations futures ?

Où se situera l’Algérie de 2030, lorsque le pétrole et le gaz se feront très rares ?

La réponse se situe dans la nécessité urgente d’une large adhésion de la jeunesse à la stratégie du changement. Il est grand temps d’enterrer une situation où le soutien « politique » se construit sur le clientélisme et la construction de réseaux sur des bases régionalistes ou d’affaires. C’est le cœur de notre projet politique : mobilisation pour le changement et refondation de l’Etat.

- Vous axez votre projet sur les jeunes. Cela veut-il dire que le personnel politique existant est inopérant ?

- Je vais travailler essentiellement avec une nouvelle génération pour assurer que la prise en charge des problèmes de la nation se fasse dans la continuité et sur une longue période. Donc la force motrice du changement devra être assurée par cette nouvelle génération. Ceci n’exclut bien sûr pas toutes les bonnes volontés qui s’engagent pour le changement, aujourd’hui, quel que soit leur âge.

- Il y a un désir profond pour le changement. La situation politique du pays pourrait-elle en constituer une rampe de lancement ?

- Il y a ce que nous voulons d’une part et ce qui est réalisable d’autre part. Ce qui est très important est de démarrer le travail pour le changement. Une fois que nous sommes engagés dans le processus du changement, nous serons mieux préparés pour faire face aux événements qui peuvent se précipiter et donc offrir une opportunité pour un changement très rapide.

- Mais les jeunes se désintéressent de la politique…

- Le champ politique actuel ne leur offre pas de perspectives, encore moins un cadre sérieux pour l’exercice de la politique. Notre travail consiste justement à leur offrir aussi bien une perspective qu’un cadre de travail.

ALGERIE-FOCUS


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