Algérie

Entre le spectre du fédéralisme et la loi des milices



Dans une transition, marquée aux fers par la loi d'airain des milices et la montée des antagonismes politiques, régionaux et tribaux, la reconstruction est ainsi compromise par la persistance de l'instabilité devenue chronique et l'état léthargique du Conseil national de transition (CNT) en panne d'effectivité à même de garantir la mise en place d'institutions nationales. Plus d'une année après son institutionnalisation, le renouvellement de l'instance dirigeante, confiée de nouveau à Mustapha Abdejalil assisté de deux vice-présidents, Moustapha al-Huna et Salim Ganan, et tenue de préparer la constituante de juin prochain, n'a pas pour autant réussi à dissiper le malaise grandissant. L'appel de détresse du chef de gouvernement intérimaire, Abdel Rahim Al Kib, dresse un état des lieux des plus inquiétants sur la dérive chaotique. Dans une interview diffusée il y a deux jours, par les médias publics libyens, il en appelle à la « solidarité entre le gouvernement et le peuple » pour protéger l'Etat naissant et combattre le règne des « pseudo-révolutionnaires ». Il a, en conséquence, estimé que « c'est à la majorité silencieuse de protéger les institutions de l'Etat, de combattre le chaos, de dire non à ceux qui usurpent les propriétés et les territoires appartenant à l'Etat, de rejeter les institutions non-étatiques ». Le réquisitoire du chef de gouvernement, légitimé par la prédominance des conseils militaires régionaux et la multiplication des conflits, comme ce fut le cas à Beni Walid et à Koufra, est conforté par les organisations de défense des droits de l'homme inquiètes de la mainmise totale des milices. Il y a pire : la consécration de l'autonomie par les chefs de tribu et de l'Est qui renouent avec la Cyrénaïque rétablie sous la direction du Cheïkh Ahmed Zoubaïr al-Sénoussi. « La région fait le choix du système fédéral », ont affirmé, dans un communiqué conjoint, les initiateurs criant au refus de la marginalisation et leur volonté de « gérer les affaires de la région et de défendre les droits de ses habitants. Le retour au fédéralisme, combattu par le CNT de Mustapha Abdejalil déclarant son refus de « retourner 50 ans en arrière », consacre l'échec de la nouvelle Libye ébranlée dans son socle unitaire. A Misrata, confrontés à la pratique de la torture sur les détenus et à l'impossibilité de leur fournir des soins médicaux d'urgence, les Médecins sans frontières ont déjà plié bagage. La décision de suspendre leurs activités porte ainsi un coup sérieux à la crédibilité de la « mission humanitaire ». La conseillère spéciale d'Amnesty Internationale, Donatella Rovera, s'est insurgée, quant à elle, contre le diktat des « milices armées sans foi, ni loi » foulant aux pieds en toute impunité les droits de l'homme et tenus pour responsables de « graves abus », y compris « des crimes de guerre » commis contre les ex-partisans de Kadhafi, les migrants et les réfugiés africains pris pour cibles. Dans son rapport, publié un an après le déclenchement de l'insurrection, l'organisation de défense des droits de l'homme considère que « les milices menacent les espoirs pour une Libye nouvelle », écartelée entre le péril du chaos et la tendance au séparatisme. Tout comme en Irak, pliant sous les chimères de la libération et de la démocratisation factice, le démembrement de la Libye est annonciateur du désastre alimenté par le communautarisme et le tribalisme en armes.


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