Algérie

Entre le marteau et l?enclume


Le citoyen algérien confie son enfant à un homme ou à une femme pour lui assurer son instruction et son éducation. C?est là la mission de l?enseignant. En quoi consiste le quotidien de cette personne investie d?une telle responsabilité ? Sans nous étaler sur ses besoins vitaux - perfectionnement régulier, conditions matérielles de travail dans l?établissement, pouvoir d?achat, etc. -, nous allons le suivre dans l?exercice de sa profession. A l?inverse des autres métiers, l?enseignant ne termine pas son travail à la fin de la journée réglementaire. Loin s?en faut ! Ce n?est pas une fleur qu?on lui accorde avec les vacances et des horaires hebdomadaires inférieurs à ceux des autres fonctionnaires. Aux efforts et à la fatigue déployés pendant les leçons dispensées à ses élèves, il ajoutera l?indispensable travail de préparation. A la maison (s?il en a une) ou au hammam du coin, il surmènera ses neurones pour fignoler sa fiche pédagogique. Ce rituel est incontournable : il conditionne l?efficacité de l?acte pédagogique qu?il aura à réaliser le lendemain en classe. Cette phase préparatoire de la leçon lui prend du temps et de l?énergie : se documenter et réfléchir ensuite sur l?usage des matériaux récoltés. Bien souvent, la documentation n?est pas à portée de main. Il doit se déplacer pour consulter l?Internet, rendre visite à une bibliothèque ou à l?extrême limite à une librairie. L?argent, ce nerf de la guerre, participe à la bonification de la pratique pédagogique. Les poches vides - comme c?est le cas chez nous -, l?enseignant sera en peine de dénicher les matériaux indispensables à une bonne exécution de sa leçon. Et ce sont ses élèves - les enfants des citoyens, futurs citoyens eux-mêmes - qui en seront pénalisés. Hors de l?école, son esprit reste accroché à sa classe : il revoit le film de la journée, s?auto-évalue avant d?enclencher le cours du lendemain. Il ne négligera pas l?évaluation de la leçon faite : a-t-il trébuché ? Les élèves ont-ils assimilé ? Tel ou tel n?a pas eu le rendement demandé : pourquoi ? Est-il malade ? A-t-il des problèmes ? Lesquels ? Un enseignant consciencieux grignote fatalement sur sa vie de famille. Son métier - sa passion - « l?habite » jusqu?à l?obsession - pour être plus juste jusqu?à la perfection. La correction des devoirs, leur annotation, les appréciations à porter sur les feuilles, l?analyse et la synthèse détaillée à en tirer constituent des moments de fatigue. D?autres facteurs interviennent pour alourdir la facture. Le temps imparti et qui ne suffit, au vu des échéances administratives peu soucieuses des impératifs pédagogiques ; le sureffectif et par-dessus tout, le stress et la pression qui l?envahissent inévitablement, à cause de la logique de la sélection scolaire. L?enseignant est conscient du poids qui pèse sur ses épaules : le devenir de l?élève est suspendu à la note portée en rouge sur la double feuille. A l?instar de ses collègues des autres pays où le système sélectif est en vigueur, l?enseignant algérien souffre des conséquences induites par la double casquette que l?institution et la société lui imposent : éducateur/messie et juge/démon qui condamne et punit. Et si c?était là l?explication freudienne ? Rendre hommage à nos enseignants nous replonge dans le souvenir indélébile de ceux qui ont meublé notre enfance, notre adolescence. Ils passaient leur temps libre à vadrouiller par-ci par-là à la recherche de pierres, de roches, de fleurs, ces accessoires didactiques qui enrichissaient leurs leçons. Ils étaient pleins d?affection et ne comptaient pas les sacrifices. Des sacrifices qui structurent leur métier et lui donnent une âme. Leur bonheur en fait. Si de nos jours ce profil ne sillonne pas en masse les couloirs des établissements scolaires, c?est pour la simple raison que la misère sociale étouffe la vocation et éteint le feu de la passion. Jetez un coup d??il sur la fiche de paie d?un enseignant algérien et vous crierez au miracle. N?est-ce pas miraculeux qu?il s?échine à redonner le sourire à la cinquantaine d?élèves qui lui sont confiés, alors qu?il n?a même pas de quoi acheter un jouet à un de ses enfants ? Ce n?est pas de gaieté de c?ur qu?ils s?adonnent à des occupations lucratives loin de crédibiliser leur image. Ces derniers temps, des voix de plus en plus nombreuses s?élèvent pour jeter l?opprobre sur ce surplus d?activités informelles et de vilipender leurs auteurs (des enseignants). Mais ces juges intransigeants ont-ils une idée des fins de mois difficiles à boucler ? C?est minimiser l?éducation de leurs enfants que de ne pas sympathiser avec le combat que mènent les personnels du secteur de l?éducation nationale. Un combat pour la survie du métier le plus noble au monde. Un métier qui en Algérie est placé entre le marteau de la précarité sociale et l?enclume de la malvie professionnelle.
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