Algérie

Entracte sur brasier



Entracte sur brasier
Une pièce de théâtre peut-elle réunir les belligérants d'une guerre 'La guerre civile libanaise qui avait commencé en 1975 a été terrible. Il a fallu quinze ans de négociations et de médiations pour faire taire les armes. Un épisode fratricide absurde qui n'a fait que ruiner le pays, entretenir les haines et raviver les vieux démons de la séparation. Le journaliste et écrivain Sorj Chalandon revient sur cette période douloureuse dans un excellent roman intitulé Le Quatrième mur qui vient d'obtenir en France le Goncourt des Lycéens. Comme on le dit souvent dans le milieu littéraire, «Ces jeunes ne se trompent que rarement sur la qualité de l'?uvre qu'ils plébiscitent, il faut par conséquent se fier à leur bon goût».L'auteur a été grand reporter de guerre pour le quotidien Libération et il a couvert plusieurs conflits majeurs, dont la guerre en Irlande avec à la clé un roman, Retour à Killybegs (2011, Grand prix du roman de l'Académie française), la guerre civile au Liban et la guerre du Golfe. Ce parcours à travers les affrontements de la planète fait découvrir aux lecteurs l'autre facette du travail des journalistes passionnés de littérature. Ils scindent la matière recueillie sur le terrain en deux : la première est factuelle et consiste à donner les informations dans les reportages ou les dépêches, tandis que la seconde devient une sorte de matériau atemporel qui pourrait servir dans une fiction. Dans Le Quatrième mur, on retrouve ces deux facettes, soit un côté documentaire très appréciable apportant des informations historiques et sociologiques qui permettent de comprendre le conflit et, au milieu de cette réalité, une fiction qui aurait pu s'y passer.Le personnage principal de l'histoire s'appelle Samuel Akonis. Ce révolutionnaire grec d'origine juive a fui son pays gouverné par une dictature militaire pour se réfugier en France. Il était pourchassé pour avoir été le meneur d'une grève à l'Ecole polytechnique d'Athènes qui s'est terminée dans le sang. A Paris, Sam fréquente le milieu estudiantin qui bouillonne des luttes menées contre les groupes d'extrême-droite. C'était au milieu des années soixante-dix, époque propice aux idéaux révolutionnaires et à leur propagation. Le bouillonnement politique lui fait connaître Georges et Aurore, deux jeunes Français que l'utopie de changer le monde n'effraie pas beaucoup.Les deux amis se perdent de vue quelque temps, mais Georges finit par retrouver Samuel qui revient du Liban, plus malade que jamais. Entre-temps, Georges et Aurore se sont mariés et sont les parents d'une petite fille. Georges continue ses études d'histoire mais travaille comme pion dans un lycée en attendant un poste de professeur qui tarde à venir. Les retrouvailles avec Samuel sont chaleureuses et c'est sur son lit d'hôpital que ce dernier explique à Georges ce qu'il attend de lui. Un v?u pieux, un projet fou, une sorte de mission utopique qu'il a le devoir de mener à son terme. Georges accepte sans penser aux conséquences.Il s'agit de reprendre le projet de jouer la pièce de théâtre Antigone de Jean Anouilh en plein Beyrouth embrasé par les feux de la guerre. L'objectif, comme le rappelle le narrateur, est de «monter la pièce noire d'Anouilh dans une zone de guerre ; offrir un rôle à chacun des belligérants : faire la paix entre cour et jardin». Samuel avait déjà entamé le travail de préparation pour faire participer toutes les communautés qui se battent sur le terrain en déléguant un des leurs pour prendre un rôle dans la pièce. Cette sorte de syncrétisme permettrait d'observer une trêve pendant la représentation de la pièce.Georges doit donc faire quatre voyages au Liban pendant ses vacances scolaires et répéter avec les acteurs qui s'impatientent sur place. Dans les notes transmises par Samuel Akonis, Georges tombe sur un casting de rêve : «Antigone était palestinienne et sunnite. Hémon, son fiancé, un Druze du Chouf. Créon, roi de Thèbes et père d'Hémon, un maronite de Gemmayzé. Les trois chiites avaient d'abord refusé de jouer les Gardes, personnages qu'ils trouvaient insignifiants. Pour équilibrer, l'un d'eux est aussi devenu le page de Créon, l'autre avait accepté d'être Le messager. Au metteur en scène de se débrouiller. Une vieille chiite avait aussi été choisie pour la reine Eurydice, femme de Créon.La nourrice était une Chaldéenne et Ismène, s?ur d'Antigone, catholique arménienne». Quand Georges arrive à Beyrouth, son chauffeur, Marwan, un druze débrouillard, lui procure des laissez-passer multiples pour pouvoir circuler entre les différents secteurs de la capitale libanaise et dans les différentes régions en guerre. Georges, après moult dangers, arrive à réunir la troupe dans un ancien cinéma qui se trouve à Beyrouth-est, fief des phalanges chrétiennes pour procéder aux premières répétitions. La rencontre des acteurs se passe dans une ambiance un peu explosive car les tensions politiques et idéologiques apparaissent rapidement. Georges arrive à juguler les dissensions en revenant au texte. L'investissement des acteurs est très visible grâce à leur vécu théâtral antérieur. Mais l'envahissement du Liban par Israël en juin 1982 et le massacre des réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila compliquent un peu plus le travail de la troupe et rendent problématique la représentation.Ce roman qui se lit comme un document historique permet de revisiter un conflit sanglant et de comprendre intimement l'absurdité des guerres. Il confirme aussi l'idée que l'art peut adoucir les instincts belliqueux qui sommeillent dans l'âme humaine.Slimane Aït Sidhoum.Sorj Chalandon «Le Quatrième mur», roman, Ed. Grasset, Paris, 2013




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