Algérie

Entendez-vous dans les montagnes... (Roman) - Éditions Barzakh/L’Aube, Alger, 2002



Entendez-vous dans les montagnes... (Roman) - Éditions Barzakh/L’Aube, Alger, 2002
Fragments d’une mémoire tue
“Je voulais vous dire… Il me semble… Oui, vous avez les mêmes yeux… Le même regard que… Que votre père. Vous lui ressemblez beaucoup”, une réponse, un témoignage que la petite fille venue du lointain bourg de Boghari n’a jamais cessé de chercher sur les visages, particulièrement depuis qu’elle s’est réfugiée en terre des ennemis d’hier.



“Elle a fui sous la menace. Elle a quitté ce pays pour venir trouver refuge ici. Quelle ironie de l’histoire ! Elle, la fille d’un glorieux martyr de la révolution.” Et pourtant, depuis qu’elle a quitté sa terre natale, de nouveau en proie à la guerre, rien n’a changé. Quarante ans après, les monstres qui terrorisaient la petite fille au village de Boghari, sont toujours là. L’horreur s’est de nouveau installée dans ce coin perdu, où il faisait si bon vivre. Elle est venue en France pour trouver ce semblant de répit, dont elle était en quête depuis sa tendre enfance.

C’est dans une écriture, sobre, prenante... que le récit de Maïssa Bey, Entendez-vous dans les montagnes…, coédité par les éditions Barzakh et l’Aube, raconte l’histoire d’une Algérienne, la narratrice, qui, décidée, fait appel à sa mémoire pour faire le deuil de son père, un héros de la révolution, dont elle ne garde que de vagues souvenirs.

Elle tente de répondre à toutes les questions qui ne cessent de la tarabuster. Le voyage dans le temps et dans l’espace, la confrontation, commencent dans un compartiment de train, quelque part en France. Un voyage qui ne sera pas comme les autres. La femme qui, au début de l’expédition n’avait de souhait que de terminer une lecture qu’elle venait d’entamer, se retrouve emportée dans une bourrasque en quête d’une vérité longtemps tue. Dans cet espace clos, un décor où viennent se mettre en place trois personnages : une Algérienne, la narratrice, une jeune Française, Marie, petite-fille d’un pied-noir, et un médecin, ancien soldat de l’armée française.

La scène est digne d’un plateau de télé, où les personnages, témoin et victime. “réunis [tous les trois] pour une émission par des journalistes en quête de vérité” , parlent et se confrontent Il s’agit plutôt de témoignages : des questions auxquelles on tente de trouver des réponses, devoir de dire un passé, toujours présent, commenter les faits qui l’ont marqué. Il est même question d’émettre des avis, car même Marie, qui ne connaît pas “ce beau pays” dont parle le médecin, veut savoir qu’étaient en réalité les fameux évènements, très peu évoqués par son grand-père.

Elle, qui ne sait rien de cette période trouble, veut découvrir cette Algérie, jadis française. Successivement, la femme et le médecin vont mettre à nu leurs opinions, leurs souvenirs, et surtout échanger des regards inquisiteurs. Elle refuse d’oublier l’instituteur martyr, son père “toute petite déjà, elle essayait de donner un visage aux hommes qui avaient torturé puis achevé son père avant de le jeter dans une fosse commune”. Lui, il se rappelle les ordres, les séances de tortures et “corvées de nettoyage” une fois la salle besogne terminée. Dix-huit mois durant, il n’a connu que ça, de son séjour d’appelé en Algérie. Serait-elle la fille du… ? L’a-t-il connue ? Serait-il lui qui… Des questions, encore des questions auxquelles le vieux médecin ne répondra qu’une fois le train entré en gare, dans une énième tentative de soulager sa conscience.

Entendez-vous dans les montagnes… est un témoignage poignant que l’écrivain s’emploie à faire part aux lecteurs. Il s’agit d’une partie de sa vie, de son histoire, de l’histoire de son pays, celle de sa terre d’accueil aussi. Une parcelle de mémoire cachée, refoulée, enfouie dans les ténèbres du silence et des non- dits.

Sur une soixantaine de pages, des sentiments de peur, de déchirement, d’espoir, de nostalgie… se confondent, s’entremêlent pour donner naissance à un émouvant récit-témoignage. Une écriture qui se veut une quête de vérité spontanée loin de toute orientation et de prise de position, une écriture que l’auteur a voulu détacher de ses charnelles émotions de haine ou de jugement.


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