Publié par Baddari Kamel le 07.12.2021 dans le quotidien Le Soir d’Algérie
Par le Pr Baddari Kamel(*)
La pandémie de coronavirus, qui a frappé l'humanité au début de 2020, a changé notre monde, affecté tous les domaines de la vie humaine, y compris l'éducation, et conduit, de plus, à l'adoption généralisée de mesures sans précédent. Les établissements d'enseignement, tous paliers confondus, dans plus de 190 pays à travers le monde, ont été partiellement ou complètement fermés entre mars et juillet 2020, affectant près de 1,725 milliard d’élèves. Selon l'Unesco, ces mesures ont eu un impact très fort sur plus de 90% des étudiants du monde, provoquant un climat d’incertitude, voire anxiogène. Les systèmes éducatifs ont été mis au défi de s’adapter très rapidement pour faire face à l’adversité. Quoi qu’il en soit, la communauté éducative a montré sa résilience et jeté les jalons du développement de l'éducation mondiale. La notion d’un système éducatif résilient parvient ainsi à s’imposer comme un argument politique, un processus social et donc un horizon de société.
L’enjeu est de maintenir un niveau de fonctionnement grâce aux capacités d’innovation, de créativité et de flexibilité du système éducatif permettant sa persistance. Cela nécessite de mener une réforme tambour battant et d’admettre un fort potentiel de cohérence entre les niveaux et les modes d'enseignement.
Pourquoi est-il temps de changer l'approche de l'apprentissage ?
En Algérie, notre système éducatif continue à enseigner aux élèves les compétences conventionnelles du XXe siècle, alors que le monde a déjà changé et continue de changer. Les sociologues affirment que jusqu'à 20% des professions existantes disparaîtront dans les 10 à 15 prochaines années. Et au moins autant de nouveaux apparaîtront. Les experts de McKinsey Global Institute pensent qu’au moins 375 millions d'emplois disparaîtront du marché du travail d'ici 2030. Comme personne ne sait à quoi ressemblera le monde dans les 30 années à venir et comme les humains n’ont jamais été en mesure de «prédire» avec précision l’avenir, on peut cependant faire certaines hypothèses pour mener quelques politiques publiques, dans l’éducation comme dans les choix de politique industrielle. Alors, que doit-on apprendre ? Trois thèmes porteurs de changement et de création de potentiel sont à retenir.
1- Anticiper les évolutions. La compétence, le plus important facteur qu'un élève ou étudiant doit posséder dans ce contexte, est l’ouverture aux perspectives de demain. Comme prospective, on peut développer une stratégie éducative sur les savoirs, savoir-faire et savoir-être, qui seront demain au service de l’individu et de l’organisation. Et pour ce faire, il faut penser aux formations continues tout au long de la vie. Aujourd’hui, le monde s’invente. Le rythme des transformations des systèmes éducatifs dans le monde s’accélère et complexifie le développement de nouveaux modèles. Tout au long de son histoire, l'humanité a été confrontée à une masse de transformations et de changements différents. La première de ces transformations a été la transition vers une vie sédentaire et la culture de la terre, suivie de la transition vers l'industrie, et maintenant la période de transition vers la société de l'information s’impose. Pourquoi ces derniers changements ont-ils eu lieu dans les technologies de l'éducation et de la communication, qui ont conduit à des concepts nouveaux tels que «la société de la connaissance», «la société de l'information» et «les métiers du futur»? Un enfant né en 2021 aura la trentaine en 2050. Dans un bon scénario, il aura une longue durée de vie à venir, vivra jusqu'en 2100 et pourra même devenir un citoyen actif au début du XXIIe siècle. Suivre le rythme de la vie dans les quelques dizaines d’années à venir exigera non seulement d'inventer de nouvelles idées et de nouveaux produits, mais aussi se reconstruire encore et encore. Alors enseigner quoi, en plus, à nos élèves ? En cohérence avec la posture prospective, il faudrait leur enseigner les 4 C: la pensée critique, la communication, la collaboration et la créativité. Autrement dit, accorder plus d'attention aux compétences transversales de la vie universelle.
2- Ne pas surcharger. Maintenant, dans la plupart des écoles, centres de formation professionnelle et universités, les élèves essaient de mettre le plus d'informations possible dans leur tête. Dans le passé, cela avait du sens, car il y avait peu d'informations et un maigre flux de connaissances existantes. Mais au XXIe siècle, nous nous noyons dans les flux d'informations. Avec un smartphone, vous pouvez passer plus d'une vie à lire Wikipédia, à regarder des conférences et à suivre des cours en ligne gratuits. Il s’agit en somme de développer la capacité d’attribuer un sens aux informations reçues, de faire la distinction entre les informations importantes et non importantes.
En termes de capacité à mémoriser, que nous avons perdue depuis longtemps face aux ordinateurs et aux robots, la quantité de connaissances que l'on peut théoriquement mettre dans la tête d'un élève en 10 ans ne dépasse pas 1 Go. À titre d’exemple, un manuel de 150 pages de 2 400 à 2 500 caractères pèse environ 0,35 Mo. En demandant à un élève d’étudier 10 de ces manuels par an, il recevra pendant onze ans un volume d’informations inferieur à 40 Mo. Même en augmentant ce volume de 25 fois sous forme d’enseignement complémentaire, nous n'obtenons que 1 Go d'informations. Cela signifie que si notre modèle d’éducation considère qu'il est important de remplir la mémoire de l’élève de quantité d’informations importantes et non importantes, alors cet élève perdra au profit des machines en ce moment. Il a passé du temps à accumuler des informations pouvant être inutiles pendant que ses pairs-concurrents acquéraient une autre compétence, beaucoup plus importante. On ne produit ainsi que des élèves chargés de livres, et à la fin, il est important d'organiser notre système éducatif pour que l'apprentissage ne devienne pas un fardeau pour l'élève.
3- Collaborer. Il est important d’apprendre le travail collaboratif. C'est l'une des compétences les plus importantes du futur, que notre système éducatif n'enseigne pas. Après tout, qu'est-ce que la collaboration? Il s’agit d’apprendre à coopérer et de coopérer pour apprendre. Cela signifie que chaque élève apprend en vertu de ses propres capacités, aptitudes, et il a donc une chance d'être évalué sur un pied d'égalité que les autres. L’objectif est de développer la capacité de travailler en équipe, d’optimiser les apprentissages de chacun et d’agir non seulement comme «solutionneur de problèmes» mais aussi comme «créateur d’atmosphère collaborative». La vocation de collaborer est bien de faire progresser les élèves, d’améliorer leur niveau scolaire et de lutter contre l’échec scolaire. C’est un véritable changement culturel qui offre un nouvel espace à la démocratisation de l’éducation.
À la rencontre d’un nouveau format d’enseignement : l’éducation virtuelle
Dans une société de la connaissance, la mise en réseau des élèves permet de développer l’intelligence collective et l’intelligence émotionnelle créatrices de valeurs. L’internet apporte un plus à ces concepts d’intelligences. L'une des tendances qui se sont développées dans différents pays du monde est l'émergence d'universités virtuelles et l’enseignement en ligne. La création d'universités virtuelles nationales permet aux gouvernements de concentrer des ressources techniques et humaines de haute qualité ; de concentrer les efforts de l'université virtuelle sur les besoins pressants du marché du travail ou du système éducatif national ; d’utiliser et de développer l'infrastructure existante des technologies internet ; de soutenir le développement de l'apprentissage en ligne dans les établissements d'enseignement traditionnels et d'exporter des programmes éducatifs d'apprentissage en ligne vers d'autres pays dans leur langue nationale.
Parlant (partant) du fait que l'avenir réside dans l'enseignement en ligne, il ne faut pas oublier un certain nombre de problèmes associés à cette approche. En effet, l'expérience du transfert des systèmes éducatifs du monde entier vers l'enseignement à distance durant cette pandémie a montré clairement que la qualité et la faisabilité d'un tel enseignement dépendaient largement du niveau et de la qualité de l'accès au numérique. Aujourd'hui, seuls 60% environ des habitants du monde ont accès à internet. Sur 7,75 milliards de personnes sur la planète, seuls 5,19 milliards ont un téléphone mobile (pas nécessairement des smartphones), seulement 4,54 milliards ont accès à internet et seulement 3,8 milliards utilisent au moins un réseau social ou une application.
En Algérie, les statistiques montrent qu’un nombre important d’étudiants n’a malheureusement pas accès à l’équipement d’enseignement à distance, à la sécurité des infrastructures informatiques. Ajoutons également la faible maîtrise de l’enseignement en ligne par les enseignants et la résistance au changement qui sont des facteurs faisant difficulté à la mise en œuvre d’une équité pédagogique dans l’apprentissage en ligne.
Une nouvelle organisation du travail : le coworking et le fablab
Le coworking (travail en commun en anglais) est un concept relativement nouveau d'organisation du processus de travail. Il signifie l'activité d'un grand nombre de personnes sur des projets indépendants, mais connectés entre eux, dans un local à la fois pour économiser l’espace et pour stimuler le réseautage, en engendrant une atmosphère créative. Le concept de coworking a été introduit pour la première fois dans la pratique à San Francisco par Brad Newberg en 2005, mais le terme lui-même a été introduit en 1999 par Bernie De Coven. L'échange d'expériences et la communication en direct est une autre tâche des centres de coworking, car les jeunes modernes sont devenus les otages des réseaux sociaux. Habituellement, les centres de coworking ont tout ce dont vous avez besoin pour un travail confortable et des loisirs : mobilier, internet, équipement de bureau, café ou buffet. Ainsi, le coworking éducatif, qui fait partie de la structure d'un établissement d'enseignement supérieur, augmentera la motivation et le niveau d'éducation des étudiants, les aidera à se développer, à échanger des idées, à acquérir de nouvelles expériences et leur enseignera la discipline et l’auto-organisation. En règle générale, les start-up qui viennent d'entrer sur le marché et qui n'ont pas de budget suffisant pour louer un espace à part entière deviennent locataires du coworking à titre gracieux. Il existe plusieurs formes similaires au coworking sur le plan organisationnel, mais qui ont leurs propres spécificités. Parmi elles, les incubateurs, dont les activités visent à soutenir les start-up du développement d'idées à la commercialisation. La différence entre un incubateur et un coworking est que le premier a pour objectif principal de fournir des services (conseil, comptabilité, juridique) et le second est un lieu de travail.
Le fablab est une autre forme d’organisation pédagogique du travail. C’est un atelier équipé de machines à commandes numériques, d’imprimantes 3D et d’outils de base permettant à chacun de fabriquer quelque chose : de la voiture aux simples articles ménagers. Le concept de fablab a été conçu et mis en œuvre au Massachusetts Institute of Technology (MIT) au Centre interdisciplinaire pour les bits et les atomes (CIB), où les chercheurs «croisent les bits et les atomes», combinant l'informatique avec la physique, la programmation avec l'ingénierie, le numérique avec des moyens techniques. Ici, en 2001, sur la base du cours universitaire de Neil Gershenfeld intitulé «Comment faire (presque) n'importe quoi», le premier fablab est né, puis le mouvement mondial des fablabs a grandi. Ainsi, le concept du fablab a vu le jour dans les murs de l'université pour montrer aux étudiants comment les concepts théoriques fonctionnent dans la pratique. Comment ils peuvent utiliser eux-mêmes les connaissances scientifiques pour résoudre globalement un problème pratique. Comment fonctionne le processus du développement d'une idée à sa mise en œuvre et aussi pour ordonner et combiner les rôles d'un scientifique et d’un entrepreneur.
L'épithète «open» caractérise la philosophie des fablabs et de ses adeptes : open access, open space, open source, open design, open knowledge, open science, open platform, etc.
Les profils des fablabs peuvent également être différents : pédagogique, entrepreneurial, recherche, etc. La pédagogie novatrice soutient ces nouvelles pratiques, plus souples, plus mobiles et plus évolutives qui servent de support au changement.
Pour finir
Que pourrions-nous faire différemment après la Covid-19 ? De manière réaliste, le «système éducatif d’après» devrait tirer des enseignements de cette crise. Nous devons réfléchir plus profondément à ce qui va suivre, réaliser une approche intégrée de l’apprentissage en ligne, repenser les curricula pour mieux intégrer de nouveaux contenus cognitifs, de manipulation de technologies, des habiletés de collaboration, de nouvelles opportunités d'apprentissage, d'évaluation et de bien-être de l’apprenant et enfin, promouvoir un système par l’adaptation. Cela nécessite un débat plus large sur l'objectif du système éducatif national. Insister davantage sur les changements positifs, la collaboration, la résilience mentale et sociétale dans l’éducation est la clé de la réussite de demain.
B. K.
(*) Professeur des universités en mathématiques et en physique.
Expert de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.
Expert en conduite de changement. Université de M’sila.
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Posté Le : 27/01/2022
Posté par : rachids