Ils avaient gros sur le coeur les enseignants de l'université Abdelhamid Ibn Badis de Mostaganem et l'occasion ne s'était jamais présentée pour parler à coeur ouvert du profond malaise que vit, depuis plusieurs années, l'université algérienne. Ce n'est qu'hier que la corporation a pu se réunir pour enfin ouvrir le débat sur tous les problèmes. Mais cette journée était aussi décrétée jour de deuil, suite à la mort de leur collègue, samedi matin, poignardé par un étudiant. C'est donc dans la douleur et une profonde tristesse que cette assemblée s'est tenue à l'amphithéâtre de l'université, situé près du département où est décédé Benchehida Mohamed, chef de département informatique.
Personne ne pouvait retenir ses larmes lorsque la parole lui était donnée pour raconter, et sans exagération, l'état de pourrissement qui ronge l'université. Critiques, autocritiques et aussi des mea culpa. Les enseignants ont tout déballé sans porter de gants ni avoir peur de perdre une promotion. La question n'était plus de savoir comment cet incident tragique s'est produit mais plutôt pourquoi la situation a dégénéré jusqu'à aboutir à un drame irréparable. Le temps n'était plus à l'échange de balle pour jeter la responsabilité sur autrui mais de comprendre un acte et essayer de trouver les solutions avant qu'il ne soit trop tard. Cette violence, tout le corps universitaire, enseignants, étudiants et travailleurs la rejettent. Comment prévenir cette violence et désamorcer la bombe ? C'est là où réside toute la problématique, selon les intervenants.
Les enseignants étaient unanimes à dire que c'est tout le système universitaire qui est à revoir. La défaillance est générale. Tous les acteurs actifs à l'université ont une part de responsabilité. L'enseignant, l'étudiant et aussi les pouvoirs publics sont impliqués dans ce désastre que connaît actuellement l'université. Ce constat ne vient pas d'un expert ou d'une personne étrangère à l'université mais de personnes qui font partie de la famille universitaire et qui ont, pour certains d'entre eux, posé les premières pierres de ces centres de rayonnement et des sciences.
La mauvaise communication à tous les niveaux entre les universitaires est le premier handicap qui freine l'évolution et le développement de l'université. Les enseignants se disent marginalisés et méprisés par l'administration et les étudiants, au point où le respect d'antan et la place qu'occupait l'enseignant auparavant n'existent plus de nos jours, révèlent avec amertume les présents à l'assemblée. « Ce qui est arrivé à Mostaganem pouvait arriver dans n'importe quelle université du pays, car c'est tout le corps universitaire qui est gangrené. La réglementation est bafouée par tout le monde », explique un enseignant. Son collègue dira avec colère: « Moi, j'ai honte d'être enseignant, lorsque je vois que des sujets d'examens sont vendus. Un problème pédagogique doit être réglé avec l'étudiant et non pas avec les organisations estudiantines ». S'adressant ensuite aux présents venus très nombreux à cette assemblée, il dira: « D'habitude, on peine pour réunir les enseignants dans une même salle. Aujourd'hui, c'est parce qu'un enseignant est mort que l'amphi est plein ».
La liste des problèmes est encore longue. Le sujet chaud abordé ensuite est incontestablement le problème de la sécurité à l'intérieur et à l'extérieur de l'université. Les enseignants se sentent menacés sans aucune protection lors de l'exercice de leurs fonctions. Ce manque de sécurité est à l'origine des agressions dont sont victimes enseignants, étudiants et travailleurs sans qu'aucune mesure ne soit prise à l'encontre des agresseurs. Un intervenant lance que le doyen de l'université lui-même a été menacé dans son bureau. Il était obligé de fuir pour éviter le pire.
C'est le problème de l'évaluation du travail de l'étudiant, l'affichage des notes et les critères de recrutement des enseignant qui sera abordé ensuite. Sur ce point, il y a beaucoup à dire. Les enseignants déplorent le manque de professionnalisme de certains enseignants et la façon avec laquelle sont recrutés ces universitaires. Selon leurs déclarations, c'est souvent suite à des interventions qu'un enseignant est nommé à son poste. Une situation qui se répercute automatiquement sur la qualité de l'enseignement. Un autre intervenant enchaîne en évoquant le problème des notes qui serait à l'origine de cet incident tragique, qu'il « ne faut pas nier que le trafic et la vente des modules existent à l'université ainsi que le harcèlement sexuel.
Le problème des notes ne se poserait pas si l'enseignant travaillait dans la transparence ». Le sujet des notes évoque, en effet, le rôle des conseils scientifiques et des comités pédagogiques. Certains enseignants révèlent que « des sanctions sont décidées par le conseil de discipline pour les étudiants défaillants mais ne sont jamais appliquées ». « Ce qui me désole, lance un autre enseignant, est de voir mon collègue intervenir pour un étudiant soit pour lui augmenter la note ou geler l'application de la sanction ». « Comme l'étudiant défaillant est sanctionné, l'enseignant défaillant doit aussi être sanctionné », dira leur collègue.
Les intervenants ont tenu à rappeler pour éviter tout amalgame que l'enseignant est tenu de respecter les heures de travail, de donner les résultats des examens dans un délai raisonnable et d'afficher les notes. Comme il est du droit de l'étudiant de demander la double correction. « Personne ne sait ce qui se fait au niveau des programmes. Certains enseignants écourtent un cours d'une heure et demie à trois quarts d'heure, d'autres viennent au cours juste pour demander aux étudiants de revenir demain », dira un intervenant. Pour résumer ce laisser-aller au niveau de l'université, un enseignant déclare que « les conseils de discipline sont devenus des conseils d'indiscipline et les comités pédagogiques sont non pédagogiques. C'est tout le système éducatif qui est malade ». « Si l'université est un centre de sciences et de rayonnement, nous ne sommes plus des éclaireurs », regrette un enseignant.
Les étudiants ont aussi fait leur autocritique. Il y a certes une injustice de la part de certains enseignants, mais l'étudiant n'est pas que victime. Le comportement irresponsable de certains laisse aussi dire que cet universitaire a perdu tous ses repères et dépassé ses limites. « Il n'y a plus de respect entre enseignant et étudiant, plus de sérieux et les organisations estudiantines ne jouent plus leur rôle. Elles ne sont là que pour faire le tapage ». Comme solutions au malaise de l'université, l'assistance a proposé la création d'un observatoire de l'enseignant, établir un règlement intérieur qui doit être respecté par tous.
Après les débats, l'assemblée a décidé d'une grève de trois jours à partir d'aujourd'hui au niveau de toutes les universités. La baptisation de l'université de Abdelhamid Ibn Badis ou du département où travaillait le défunt au nom de Benchehida Mohamed a été aussi proposée par les enseignants. L'assistance a aussi demandé à ce que le jour de la mort de l'enseignant soit décrété comme une journée de deuil national. A noter qu'à Oran, encore sous le choc du décès dans des circonstances tragiques du chef de département informatique feu Benchehida Mohamed, dans une première réaction, le corps enseignant de l'université Mohamed Boudiaf (ex-USTO) organise durant la matinée d'aujourd'hui un rassemblement accompagné d'un arrêt de travail pour exprimer leur compassion à la famille de la victime et dénoncer la montée inquiétante de l'insécurité dans les campus universitaires. Les universitaires indiquent qu'ils sont victimes au quotidien de harcèlements, de menaces et d'agressions verbales de la part de certains étudiants. Les enseignants des autres universités de l'Oranie vont aussi tenir des rassemblements dans les prochains jours pour exiger plus de sécurité dans les campus, note-t-on.
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Posté Le : 21/10/2008
Posté par : sofiane
Ecrit par : B Mokhtaria
Source : www.lequotidien-oran.com