Algérie

Enquête-Témoignages Stress des examens, les parents plus angoissés que les enfants


Enquête-Témoignages Stress des examens, les parents plus angoissés que les enfants
«Le stress des examens me donne des maux d'estomac ; j'ai vraiment les boules.» Ces expressions récurrentes sortent de la bouche des futurs bacheliers, et que nous avons l'habitude d'entendre depuis des lustres. Aujourd'hui, la peur a vraisemblablement changé de camp : ce sont les parents qui désormais angoissent en transférant leur anxiété à leurs rejetons dès les toutes premières années de leur scolarité.
Y. Habiba, 40 ans, mère de deux garçons
Cadre dans une entreprise privée, Mme Y. Habiba vit depuis les premières années de la scolarisation de ses deux garçons un stress permanent. Dans ces quelques lignes, elle nous livre ses premières angoisses et, au-delà, son inquiétude permanente. «Je me rappelle que mes premiers coups de stress, je les ai vécus dès la première année de scolarisation. Je n'arrive toujours pas à me l'expliquer mais j'ai continuellement la crainte de voir mes enfants échouer. Lors de la première année, je suis persuadé que l'enseignante de l'aîné à l'école primaire du quartier a dû certainement penser que mon cas relevait de la psychiatrie tant je la harcelais. J'avais en permanence le sentiment que mon enfant n'apprenait pas suffisamment ou était moins brillant que ses camarades de classe.
“J'avais en permanence le sentiment que mon enfant n'apprenait pas suffisamment ou était moins brillant que ses camarades”.
Et là, nous sommes à la veille de la reprise des cours et je panique déjà pour les examens du prochain trimestre. » Pourtant, Yacine, le fils de Habiba, affiche des résultats toujours au-dessus de la moyenne. En cinquième année fondamentale, le petit d'à peine 11 ans enchaîne les cours de soutien. Habiba est catégorique : «Je me dois de mettre tous les atouts de son côté.» Et cette année de passage au palier moyen ne fait qu'accentuer le stress de cette maman. A la question de savoir si ce n'était pas quand même exagéré de le mettre au cours de soutien à un si jeune âge, la maman explique qu'elle en a eu déjà recours dès la troisième année. «Yacine à toujours suivi des cours en mathématiques et dans les langues, le français notamment. Le savoir chez un prof' au-delà des heures de classe me déstresse et m'aide à me dire que des atouts sont investis pour sa réussite.» Malgré cela, la période d'examen reste insurmontable pour Habiba qui dit ressentir la même boule au ventre que lorsqu'elle- même était appelée à passer des épreuves.
Y. Salim, époux de Habiba accommodé du stress de son épouse
Salim explique qu'en fait, c'est un trait de caractère de Habiba. Même lorsqu'elle a des soucis au bureau, cela se transforme en stress à domicile. S'agissant de la scolarité de leur fils, Salim reconnaît que lui-même s'inquiète de la réussite de Yacine. Mais, ce n'est rien devant le cas de Habiba. «La veille des examens, elle ne ferme pas l'œil de la nuit, lui fait réciter les leçons apprises et lui refait une bonne partie des exercices. Une fois la période d'examen passée, c'est un stress d'un nouveau type qui commence : celui de l'attente des résultats. Chaque note est décortiquée même celle de l'activité physique.» Le pire, c'est le jour de la remise des bulletins. «Nous sommes les premiers devant le portail et quasiment les derniers à quitter la cour de l'école.» Une fois à la maison, c'est le bilan. Et c'est reparti pour des vacances studieuses. «J'essaye de mon côté de lui faire comprendre que cela ne servait à rien de paniquer de la sorte et qu'il est encore jeune pour la performance qu'elle exige de lui, poursuit Salim. En vain. Heureusement, pour le petit qu'il pratique la natation sinon ses nerfs auraient explosé avec toute cette pression.» Le hic, est le fait que pour nous deux, durant notre scolarité, le stress proprement dit n'a débuté qu'avec l'examen du baccalauréat.
Samia, maman de Sofia
«J'ai à peine 31 ans et j'élève seule ma fille qui vient d'intégrer la première année primaire. Depuis mon divorce, je n'arrive pas à me départir d'un stress permanent vis-à-vis de son avenir. Je dois vous dire que Sofia est autiste, elle ne parle pas beaucoup. Et on en souffre beaucoup toutes les deux. Ce n'est pas évident pour une femme d'assurer le travail et l'éducation d'un enfant d'autant plus que durant les premières années, j'ai souffert d'une mauvaise prise en charge au niveau des crèches et du cycle préscolaire. Des structures adaptées à ce genre d'enfants n'existent pas encore. Mon stress n'est pas seulement qu'elle soit mal notée lors des examens, même si la crainte de la non-réussite est évidemment là, mais de voir ma fille marginalisée, mise à l'écart.»
Fadhéla, grand-mère
Sur un ton rieur, Fadhéla, grand-mère de cinq petits-enfants dont deux scolarisés, nous raconte sa surprise lorsqu'elle lut dans le journal des félicitations pour l'obtention de la…sixième. «Au départ, j'ai cru à une blague du genre poisson d'avril. Mais en parcourant le journal et sur plusieurs jours, des annonces similaires fleurissaient à toutes les pages. Pour moi c'était un choc. Je me souviens qu'à notre époque réussir était un devoir. Pas question de rater des examens du genre sixième, BEM… Jusqu'au bac, les différents paliers d'examens étaient considérés comme des épreuves banales, de simples formalités.
La veille des examens, Habiba ne ferme pas l'œil de la nuit, lui fait réciter les leçons apprises et lui refait une bonne partie des exercices.
Mais depuis, les choses ont changé et ma fille, pourtant élevée dans le même environnement que ses frères et sœurs ayant tous brillamment réussi leurs études, m'a transféré son stress si bien qu'à la veille de chaque examen je l'appelle pour m'enquérir de sa propre fille. En fait, moi aussi je stressais par le passé, seulement, nous ne l'exprimions pas aussi franchement. Aujourd'hui, les choses ont changé et les temps sont devenus durs. Même pour ceux qui affichent des réussites dans les études, l'avenir n'est pas garanti. Je pense que la crainte de l'échec vient de là. On a peur que son enfant soit mal pris en charge, que les enseignants ne fassent pas convenablement leur travail… Alors les parents, en plus de mettre de l'argent dans l'éducation, développent beaucoup de stress. Je comprends et je compatis à la situation de ma fille qui vit un stress permanent que ce soit au boulot, à la maison ou à l'école.»
Ali, père de trois enfants
Père de trois enfants, Ali est enseignant d'arabe dans un établissement scolaire de l'Algérois. Pour ce quadragénaire, le mot «stress» n'a pas de place. «Je ne sais si c'est mon expérience professionnelle qui me fait voir les choses ainsi mais pour moi, le stress n'a pas lieu d'être surtout lors des premières années de scolarité. Nous voyons des parents stressés à la veille des examens. Il y en a même ceux qui le sont lors des examens blancs. Je pense que c'est exagéré et cela provient, à mon sens, d'un manque de communication entre les parents d'élèves et les enseignants. En fait, les parents ne savent pas ce qui se passe en classe, leur seul jugement est les notes et c'est bien normal de paniquer au moment des examens. Pour ma part, mes trois enfants sont scolarisés et je n'ai jamais stressé. Peut-être parce que je suis dans le système éducatif, je vis la chose de l'intérieur et je fais davantage confiance à mes confrères. Voilà le problème. Je pense qu'il y a un manque de confiance entre les parents et les enseignants.»
Smaïl, 48 ans, commerçant
A quarante-huit ans, Smail a fière allure d'afficher sa réussite, financièrement s'entend. Commerçant depuis qu'il a quitté les bancs de l'école après un échec au baccalauréat lors de la première tentative, Smail appréhende, néanmoins, l'avenir de ses enfants. L'aîné qui s'apprête cette année à passer son baccalauréat lui donne du fil à retordre et cela le stresse. «J'ai toujours stressé mais uniquement les années des grands examens, ceux qui sanctionnent le passage d'un niveau à l'autre. Je le vérifie au quotidien dans mon métier : faire des études aide énormément. Je ne veux pas qu'il regrette plus tard et moi-même à leur âge aurait souhaité qu'il y ait quelqu'un qui stresse pour moi et me pousse à poursuivre les études. A l'époque, il y avait du travail pour tout le monde et même avec un niveau terminal on pouvait faire carrière. A présent, ce n'est plus valable, alors on tache de mettre les atouts du côté des enfants et ce n'est jamais assez. Je pense que les enfants aussi sentent le stress des parents et cela les pousse à se surpasser, à prendre au sérieux les examens.»
K. Amina, maman au foyer
«J'étais bonne élève. J'ai même obtenu un bac en mathématiques puis le destin en a décidé autrement. A la place de l'université, mes parents m'ont marié à un cousin. Nous avons eu deux enfants et leurs études me stressent plus que toute autre chose. J'essaye de les aider mais parfois j'ai du mal à m'y faire avec les manuels scolaires en arabe. Non pas qu'ils soient mal faits mais parce que j'ai fait le plus clair de mon cursus en français. Cela me stresse notamment en période d'examen. Très souvent, je m'accroche avec les profs, notamment en mathématiques. Pourtant, les erreurs dans les manuels sont peu nombreuses et souvent se sont des incompréhensions des énoncés. En période d'examen, le stress redouble. Pour moi qui suis au foyer toute la journée, le stress doublé du vide sont ingérables. Les jours d'examens de mes enfants, je n'arrive à rien faire, à peine à manger. Dès le retour, je saute sur les sujets pour refaire ensemble les épreuves et évaluer a priori le niveau de mon enfant. Je dois reconnaître que c'est pas l'idéal pour les enfants, mais, Allah ghaleb, c'est plus fort que moi. J'aurais bien aimé être à la place du papa. Avec une occupation, je me dis que j'aurais moins de stress mais que voulez-vous maintenant il est trop tard pour moi d'entamer une carrière et mes enfants sont mon seul investissement. Pour moi, leur réussite est une revanche sur le destin. Je transfère ma réussite dans la leur. Et elles sont nombreuses les mamans comme moi, je peux les reconnaître à la sortie des classes. Cela se voit sur leurs visages déterminés et blasés en même temps.»
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)