Algérie

ENQUÊTE-TEMOIGNAGES



Depuis la nuit des temps, l'aspect physique et les performances individuelles sont un facteur pouvant être source de moqueries ou de rejet. Etre gros, trop maigre, trop grand, trop petit, trop timide, maladroit… des différences qui suscitent souvent des mises à l'écart dans une société de moins en moins tolérante. Les personnes de petite taille, et c'est d'elles qu'il s'agit, subissent cette marginalisation que seule une force mentale permet de surmonter et faire de cette différence une source de réussite.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, le nanisme est considéré comme un handicap très peu reconnu. En Algérie, en l'absence d'études sur le sujet, le nombre de personnes atteintes de nanisme est peu connu, même si certains sociologues l'estiment entre 3 000 et 4 000 personnes. A Oran, nous avons eu du mal à rencontrer des personnes de petite taille, et lorsque nous demandons autour de nous «connaissez-vous des personnes de petite taille '», on nous répond avec un rire amusé : «Vous voulez parler des nains ' Allez au théâtre ou bien au cirque !» Une attitude qui nous conforte dans notre idée de départ : toute différence physique, qui ne répond pas «à la norme sociale», est sujette à moqueries.
L'école, une période empreinte de mauvais souvenirs
Après une période de bouche à oreille, nous avons enfin pu rencontrer trois personnes de petite taille, toutes admirables et qui forcent le respect. Mohamed (48 ans), comédien au théâtre, marié, un enfant ; Farida (40 ans), célibataire, couturière et Adel (25 ans) au chômage. Même si elles possèdent plusieurs points en commun, elles s'accordent davantage sur celui qui les a le plus marquées : la difficulté à trouver leur place dans les bancs de l'école.
Adel
Il s'en souvient comme si cela datait d'hier. «Même si mes parents, de taille normale, m'ont préparé dès mon jeune âge en m'expliquant avec des mots simples que j'étais différent des autres enfants, que cela n'avait aucune importance et qu'ils m'aimaient tel que j'étais, c'est vers 8-10 ans que j'ai commencé à constater que mes copains de classe grandissent beaucoup plus vite que moi. Puis les questions sur ma petite taille ont vite été remplacées par des moqueries : «le nain», «bountou», ou encore «il oublie de grandir»… Adel a eu une adolescence difficile ; il s'isolait et refusait de s'intégrer aux autres. Pour lui, même si les moqueries ne venaient pas de la grande majorité, les autres ne pouvaient pas non plus s'empêcher de sourire en le voyant. Par conséquent, pour Adel, c'était toute la société qui se moquait des nains. «J'avoue que je me cachais des regards méchants cyniques. Ceux qui voulaient bien être mes amis me considéraient comme leur mascotte, ce que je refusais. Je ne suis pas de ceux qui se cachent derrière l'humour pour se faire accepter. Je suis un jeune comme ceux de mon âge, certes je donne l'impression d'avoir 16 ans, mais cela ne donne pas le droit non plus à certains de me traiter comme un mineur toute ma vie». Demandeur d'emploi, Adel préfère raisonner ainsi : «Toute la jeunesse algérienne souffre du chômage ; je ne suis pas le seul, jamais dans un entretien d'embauche, on m'a dit clairement que j'étais recalé à cause de ma taille, même si leurs regards et leur sourire en coin en disent long.»
«Jamais dans un entretien d'embauche, on m'a dit clairement que j'étais recalé à cause de ma taille, même si leurs regards et leur sourire en coin en disent long.»
Aujourd'hui, se sentant plus serein et moins regardant sur les critiques d'une certaine frange de la société, Adel aura cette belle phrase qu'il adresse à toutes les personnes de petite taille : «Faisons de notre différence une originalité et affrontons les regards moqueurs.»
Mohamed
Même si pour Mohamed l'école est un vague souvenir, il se rappelle des moments difficiles où sa scolarité était bien différente de celle de ses camarades. «Etant de santé fragile, puisque je souffre de la maladie de céliac, j'étais un enfant chétif et ne pouvais pas partager les mêmes jeux avec mes camarades et je devais par conséquent me retrouver souvent seul.» Mohamed est aujourd'hui un homme épanoui qui se dit sans complexe : «Lorsque je vois un homme très grand de taille, mais au chômage, j'ai de la peine pour lui, et je n'hésite jamais à l'aider.» Mohamed est fier de son parcours d'artiste comédien : «J'ai commencé ma carrière grâce à la chance que le défunt Abdelkader Alloula m'a donnée en interprétant le rôle d'un enfant dans la pièce El Khobzaqu'il a repris en 1985. Depuis, je me suis un peu spécialisé dans le théâtre pour enfant.» Mohamed refuse d'être prisonnier de son aspect physique, il l'assume pleinement et préfère affronter le regard des autres par son travail, sa générosité. Ce n'est pas tous les jours facile, mais il se sent bien dans sa peau et c'est l'essentiel.
Farida
Pour Farida, la situation est bien différente, elle qui souffre encore du regard des autres. Lors de notre entretien, elle a fait une rétrospective sur sa vie de collégienne. Elle nous a fait, par ailleurs, connaître son supplice à chaque fois que son enseignant lui demandait de passer au tableau. Avec beaucoup d'émotion, elle nous confie : «J'ai été l'objet de moqueries de la part de mes camarades, certains élèves avaient un malin plaisir à me prendre mon cartable pour jouer avec ; une manière à eux de domestiquer cette petite taille qui leur paraissait un peu étrange.» Une fois l'âge adulte, elle nous dira : «C'est là que le bât blesse, étant donné que nous sommes conscients des désagréments que peut éprouver un nain dans sa vie sociale.» Après avoir obtenu son diplôme de secrétariat en bureautique au centre professionnel, Farida s'est heurtée à un désert professionnel. Quant à la vie de couple, Farida pousse un long soupir, en disant : «Je n'attends rien de la vie amoureuse. J'ai eu à fréquenter un jeune homme qui, malgré notre entente, était dans l'incapacité d'assumer le fait d'être en relation amoureuse avec une naine et qui savait que son entourage allait refuser cette union, je suis bien mieux avec ma solitude.»




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