Depuis plusieurs mois, les Algériens n'ont qu'un seul mot à la bouche : austérité. Chacun s'attend à ne plus pouvoir joindre les deux bouts. Avec ce début d'année et la mise en appl ication des nouvelles augmentations, particulièrement sur les produits énergétiques, les craintes s'exaspèrent et l'annonce d'un retour du crédit à la consommation n'a pas pu rassurer. Si les ménages s'inquiètent, la nouvel le donne impose également une nouvelle rigueur dans la dépense.Les Algériens réapprennent-ils à vivre avec leurs moyens ' Redécouvrent-ils la réalité de leur pouvoir d'achat ' Entre un train de vie dopé des années durant par les subventions et un retour progressif à la réalité des prix, les Algériens sont-ils préparés à renoncer à leur confort, à sacrifier des comportements dépensiers ' Redécouvrent-ils enfin ce qu'est la valeur des choses ' Pour comprendre leur état d'esprit, nous les avons interrogés.Malika, éducatrice de sport dans un lycée : «Je suis éducatrice de sport dans un lycée à Alger. Je suis diplômée de l'ISTS, célibataire et bonne vivante»C'est ainsi que se présente ce professeur, la trentaine bien entamée. Et lorsque vous lui demandez quel sens elle donne à l'expression «bonne vivante», elle n'hésite pas à répondre : «J'aime la vie, sortir, voyager, me faire plaisir, acheter pleins de vêtements, dépenser... C'est ma nature, je ne me prive jamais. D'ailleurs, dès que j'ai eu mon premier emploi, je n'ai pas attendu le temps de cumuler l'épargne suffisante pour avoir ma voiture ; le crédit à la consommation étant interdit, j'ai vite fait de réunir la somme dont j'avais besoin en faisant le tour de la famille. J'ai emprunté pour environ 100 millions de centimes que je rembourse par petites mensualités.» Autrement dit, Malika est toujours endettée mais elle ne s'inquiète pas outre mesure. «J'ai entendu parler du retour du crédit à la consommation. Je ne pourrai pas changer de voiture vu que le choix se résume à un seul modèle proposé, mais je n'hésiterai pas pour des produits hi-fi ou des meubles.» Qu'en est-il des hausses du carburant ' «J'étais surprise le premier jour. Mais au bout de dix jours, je ne fais plus attention, il faut bien faire le plein, on n'achôte pas un véhicule pour le garer ! Ils peuvent tripler le prix, rien ne m'empêchera de rouler !» s'exclame-t-elle.Amel, fonctionnaire, mère de deux enfants : «Je regarde à deux fois»«Pour être honnête avec vous, cela fait plusieurs mois qu'on a commencé, mon mari et moi, à faire des coupes budgétaires. En fait, depuis que notre dossier pour l'acquisition d'un logement AADL a été accepté. Nous épargnons le maximum car nous savons que d'un moment à l'autre on nous convoquera pour payer une tranche supplémentaire. Il faut aussi penser aux dépenses quotidiennes et surtout à un gros poste : le loyer. Nous payons un loyer de 25 000 DA/mois, ce qui fait presque un salaire entier rien que pour la location sans compter l'école et la crèche des deux petits. Cet été déjà , nous avons fait l'impasse sur les vacances et nous ressentons vraiment la régression de notre pouvoir d'achat. Fort heureusement, les prix des légumes et des aliments de base sont plus au moins stables sinon cela aurait été insupportable. Pour les extras, ils sont carrément bannis. Les seuls que nous nous permettons c'est pour les enfants, surtout pour l'habillement. Avant d'effectuer un achat, je compare de plus en plus. Je prends le temps de visiter plusieurs boutiques, les prix sont presque identiques mais nous nous faisons une raison.»Djamel, ferronnier, marié : «J'ai toujours fait attention à mes dépenses»Pour Djamel, être regardant est un comportement naturel. «J'étais adolescent durant les années 90, celle de la vraie crise. Nous voyions nos parents trimer. Ce n'est pas comme aujourd'hui, il y a du travail et un minimum de revenus. Durant ces années, nous avons été marqués parce qu'il y avait le chômage et l'insécurité partout. Chaque centime comptait. Il ne faut pas oublier que nous sommes arrivés à ponctionner sur les salaires pour pouvoir payer tout le monde. Aujourd'hui, lorsque je vois les adolescents porter des vêtements de marque de la tête au pied accrochés aux derniers smartphones, je me demande d'où et comment ils peuvent se permettre tout ces excès. C'est la crise que nous avons traversée qui nous rend regardant, il faut faire attention. J'ai quitté l'école très jeune et il n'y avait pas le papa pour donner de l'argent de poche chaque matin. El hamdoullah, j'ai galéré pour apprendre un métier. Je suis ferronnier et je gagne suffisamment bien ma vie. Mais ce n'est pas une raison pour gaspiller. Aujourd'hui il m'arrive de voir des parents à l'entrée de l'école primaire où sont scolarisés mes enfants glisser des billets de 500 DA à leurs petits. Il y a quelque chose d'anormal dans tout cela ! Moi, je fais attention, j'ai toujours été comme ça et j'apprendrai à mes enfants à être ainsi. La règle d'or, il ne faut jamais dépenser le centime qu'on n'a pas.»Mohamed, 47 ans, père de 4 enfants : «Nous redeviendrons économes»Mohamed est un haut cadre parmi ceux qui font partie de la classe moyenne. Du primaire au secondaire, ses enfants sont dans les différents paliers avec chacun ses exigences. «Jusquelà , j'ai permis quelques largesses en termes de dépenses. Là, il va falloir resserrer les vis mais je ne m'inquiète pas plus que ça. Ces dernières années, nous avons vu les revenus augmenter et une vraie classe moyenne réapparaître. C'est important pour l'économie car c'est la classe moyenne qui porte la consommation et la croissance. Ces deux dernières années, je sens que cette classe développe de nouvelles ambitions, par exemple acheter un logement, ce qui n'était pas imaginable au début des années 2000. Après plusieurs années de consommation effrénée pour assouvir des envies longtemps inaccessibles, j'ai le sentiment autour de moi que l'ordre des priorités commence à reprendre un sens logique. Les gens sont gavés de produits de consommation, de hi-fi, de téléphones, de vêtements”? Ils veulent maintenant construire quelque chose de durable. Voyez ces derniers jours la fluidité de la circulation à Alger. Il va falloir étudier tout cela mais je n'écarte pas l'effet de la hausse du prix des carburants sur le phénomène. L'homme est par nature quelqu'un de rationnel même s'il commet quelques dérapages. Nous redeviendrons économes et je pense que ce n'est pas une si mauvaise nouvelle pour l'économie et pour les ménages.»
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Posté Le : 23/01/2016
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Sarah Raymouche
Source : www.lesoirdalgerie.com