Algérie

Enquête-Témoignages


Enquête-Témoignages
A les entendre épiloguer sur les sujets qui font l'actualité politique, les Algériens donnent l'impression d'être tous au fait des moindres bouleversements que vit le pays. Paradoxalement, l'expression de cet intérêt pour la chose politique ne se manifeste que timidement. Les partis politiques en présence se gardent bien de révéler le nombre de leurs militants, et les taux d'abstention lors des échéances électorales témoignent, si besoin est, une forme de démission. Pourtant, qu'ils soient chez eux, entre famille, au bureau, sur les terrasses de cafés, au restaurant où dans les stades, les Algériens font et défont en permanence la vie politique. Tout est commenté et scruté dans le moindre détail.Fouad, 21 ans, étudianten biologie : «Ce sonttous les mêmes '»Est-ce que la politique vous intéresse ' A peine la question est-elle énoncée que notre interlocuteur, Fouad, étudiant en biologie, y répond sans l'ombre d'une hésitation : «Non, cela ne m'intéresse pas. Khalinahalhoum (nous la leur avons laissée, ndlr). Cela ne change pas. C'est toujours la même chose.» Un «eux» indéfini. Qui c'est «eux»' Fouad est incapable de l'expliquer ou de le définir ; ce qui ne l'empêche pas pour autant d'y associer pêle-mêle : «Ce sont tous ceux qui nous gouvernent et qui n'ont rien apporté de plus à notre vie. Je ne sais pas moi, ceux qui sont au pouvoir.»La confusion qui transparaît de l'esprit de Fouad alimente une résignation déjà bien ancrée dans sa «jeune» tête. Il n'a jamais glissé le moindre bulletin dans une urne et ne compte pas le faire avant longtemps. «Enfin, dit-il, je le ferai le jour où j'aurai besoin d'adjoindre ma carte d'électeur dans un dossier pour une demande de logement.» «Vous savez, je ne m'intéresse pas à la politique, mais je sais que nous ne pouvons rien changer à notre situation. Il n'y pas de jeunes qui s'intéressent à ce domaine, donc cela ne va jamais évoluer», rajoute-t-il. Fouad préfère se consacrer à ses études et au sport. «Pendant longtemps, je pensais que la politique n'avait rien à voir avec ces deux domaines, mais depuis que je suis à l'université, je me rends compte que tout est politisé. Les étudiants qui savent parler à un professeur appartenant au syndicat ou bien ceux qui font partie d'une association estudiantine. C'est vrai que je ne m'intéresse pas à la politique mais je sais qu'il y a des enjeux. Je pense que c'est toujours la même chose.» Contrairement à beaucoup d'autres de ses concitoyens, Fouad a, au moins, l'intelligence de ne pas trop s'avancer.Mohamed, retraité, la soixantaine : «Je sais d'avance ce qui vase passer.»Mohamed, lui, fait partie de la génération postindépendance. Celle qui avait à cœur de construire le pays et de lui donner un sort, de lui forger un destin. C'est aussi la génération qui aura vécu toutes les étapes. «Je sais d'avance ce qui va se passer», nous lance-t-il lorsque nous l'interrogeons sur la politique. Sur un ton posé, il nous rappelle avec force exemples comment des occasions de faire un bond en avant ont été à chaque fois gâchées. Pour Mohamed, «c'est le mythe de Sisyphe, un éternel recommencement car nous n'avons jamais su capitaliser les expériences pour aller de l'avant». Cela ne l'empêche pas, avoue-t-il, d'échanger, à chaque fois que l'occasion le permet, sur les questions politiques. Lecteur assidu, il ne rate jamais de faire sa revue de presse matinale. Il lui arrive aussi d'échanger avec ses enfants. «On n'est pas toujours d'accord, mais j'essaye de leur transmettre certaines valeurs par rapport au pays, aux devoirs, etc.» Comme celui d'aller voter. «Je pense avoir fini par les convaincre de la nécessité de voter non pas pour changer les choses dans l'immédiat mais pour intégrer l'acte de vote dans les mœurs», souligne-t-il. Et d'ajouter : «Vous savez, l'apprentissage de la démocratie ne se décrète pas et bien des pays cités en exemple ont mis des siècles avant d'arriver à une pratique apaisée. L'exercice du vote est un acte civilisationnel et ne nous en sommes qu'au début. Du moins, c'est ainsi que j'explique les choses.»Hayet, secrétaire de directionau chèmageHayet, elle, est loin des considérations de civilisation. Pour elle, la politique ne l'intéresse que si elle peut lui régler son problème de chèmage. Et pour l'instant, c'est plutèt mal parti. «Cela fait plus de deux ans que je cherche sans succès un emploi stable», dit-elle. Quand elle pense à la politique, la première chose qui lui vient à l'esprit se sont les promesses qui fusent lors des campagnes électorales. «En période électorale, vous n'entendez que des promesses mielleuses. Une fois élus, ils ne reviennent que quatre ans plus tard sous une autre couleur mendier un nouveau mandat. Ce sont tous des menteurs», finit-elle par lâcher. Dans la nuance, Hayet précise néanmoins : «Je commente sur Facebook comme tous les jeunes. Sans plus.» Le comble dans cette histoire, c'est que Hayet est toute disposée à accepter à figurer sur une liste électorale si, bien évidemment, la victoire est au bout. «Tout le monde fait des affaires. Pourquoi pas moi '» dit-elle sur un ton mi-sérieux, mi-amusé.Hamid, chauffeur de taxiHamid est un cas à part. Pour 6 000 DA/mois, il loue une licence d'une moudjahida depuis une quinzaine d'années pour exercer en tant que chauffeur de taxi. «Un métier de parlotte», avoue-t-il. Le taxi est bel et bien le premier institut de sondage grandeur nature en Algérie.«Je transporte des dizaines de clients au quotidien et tous ont un avis sur tout. Du plus jeune au plus vieux, il n'existe pas un Algérien qui n'est pas à jour. L'autre jour, un gamin haut comme trois pommes, accompagné de sa maman, m'expliquait le lien entre la qualification pour la quatrième fois en Coupe du monde et le quatrième mandat présidentiel», ça c'est pour l'anecdote.Mais plus sérieusement, le taxieur-sondeur n'arrive pas à comprendre vraiment ses clients, ses compatriotes. «Ils montent avec un discours et le temps de la course voilà qu'ils descendent avec une opinion inverse. Allez-y comprendre quelque chose», conclut-il.


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