Toutes les « combines » des années Bouteflika sont loin d’avoir été entièrement mises à nu. Celle-ci est un long feuilleton qui s’est poursuivi même en plein Hirak !
Un mandat de dépôt a été prononcé contre l’ex-ministre des Postes et des Télécommunications, officiellement pour l’affaire de l’indemnisation de la société Mobilink, propriété des Kouninef, par Algérie Télécom (AT) dans l’affaire des cabines téléphoniques Oria. Le montant de l’indemnisation n’est pas négligeable. Plus de 270 milliards de centimes sans compter les pénalités, telle a été la sentence rendue par le tribunal d’El Harrach en 2018. AT a fait appel mais a été débouté par la Cour d’Alger et les comptes de l’opérateur ont été bloqués pour l’obliger à payer. Et il l’a fait en mars 2019…En plein Hirak.
Maghreb Emergent s’est rapproché d’anciens cadres de l’opérateur pour connaître les dessous de ce partenariat et révéler les véritables raisons qui ont mené à ce procès.
Genèse d’un partenariat
Il faut remonter à 2004, année de la signature d’un contrat entre AT et Mobilink pour le déploiement de 20.000 cabines téléphoniques à carte. Ce projet était censé régler le problème du vandalisme auquel étaient soumises les anciennes cabines et mettre fin au vol dans celles à pièces. Le premier fournit les lignes téléphoniques et le second les cabines.
Ce partenariat, en plein développement du mobile en Algérie et l’attribution d’une licence à un troisième opérateur (Nedjma), était basé sur le principe de « revenue sharing », ou partage de revenus : 60% pour AT et 40% pour Mobilink. Plus de 12.000 cabines auraient été installées, grâce à un partenariat Mobilink – Sofrecom (une société française) après une étude en géomarketing, dans les espaces publics mais également dans des endroits de regroupement telles que les casernes. AT a certainement accusé quelques retards dans la mise à la disposition de son partenaire des lignes demandées. C’est ce prétexte qui va être utilisé des années plus tard par Mobilink pour obtenir son indemnisation.
Après quelques années d’exploitation, l’ardoise des impayés de Mobilink a commencé à prendre de l’ampleur. C’est quand elle a dépassé les 30 milliards de centimes et que l’échéancier de paiement accordé n’a pas été respecté, qu’AT décide d’ester en justice son partenaire pour recouvrer les sommes dues. Mobilink fût condamné à régler les impayés. Chose qu’il ne le fera jamais.
Les cabines Oria, écran du « bypass » ou « trafic gris »
Les impayés importants ont attiré l’attention des responsables d’AT. Comment des cabines téléphoniques plutôt basiques pouvaient générer autant de trafic dans une période de développement exponentiel de l’utilisation du mobile ? Le tarif de la minute du fixe au mobile, plus cher, n’encourageait pas non plus le recours à l’utilisation de ces cabines. Quelques cabines proches des locaux d’AT ont été choisies car faciles à superviser. Les comptes rendus sont choquants. Aucune utilisation n’a été signalée pendant les heures de supervision alors que la cabine a généré des appels. C’est ce qui a poussé les techniciens d’AT à s’intéresser aux liens de signalisation mis gracieusement à la disposition de Mobilink et censés lui servir à superviser son parc et à assurer sa maintenance.
En réalité, Mobilink utilise ce qui est appelé par les spécialistes le bypass téléphonique. Ce dernier consiste à faire transiter des appels internationaux via un réseau local avant d’atteindre le destinataire final. Cette pratique permet de contourner les routes légales (les réseaux téléphoniques autorisés, dans ce cas de figure AT) pour acheminer le trafic international vers l’abonné appelé. L’objectif étant de faire de l’argent en assimilant ces appels internationaux entrants au trafic téléphonique local en profitant du fait que le tarif local en Algérie est inférieur au tarif du régime international.
Comment fonctionne le bypass ?
Le trafic international entrant est terminé sur des téléphones fixes ou portables via une route alternative (Internet ou satellite) avant d’être transférés au véritable destinataire via un numéro de téléphone local. Pour atteindre le téléphone fixe ou mobile de l’opérateur local, ce trafic international emprunte des routes grises, c’est-à-dire qu’il ne passe pas par la connexion internationale de l’opérateur qui dessert le client final. L’opérateur du destinataire reçoit et termine à son insu un appel international sous le couvert d’un appel local. Les organisateurs de cette activité, les partenaires de Mobilink à l’étranger, négocient avec les opérateurs ou transporteurs de télécommunications l’acheminement d’un volume de trafic donné à un prix de terminaison plus bas comparé à celui pratiqué sur le marché international. Ils ont une connexion alternative (Internet ou satellite) qui facilite le transport du volume d’appels. Le trafic téléphonique international entrant vers l’Algérie est routé via le numéro de la cabine Oria de Mobilink vers le destinataire final avec un numéro de téléphone local.
L’abonné qui reçoit l’appel voit un numéro masqué s’afficher sur son écran (les cabines comme les taxiphones masquent leurs numéros), alors qu’il communique avec un correspondant à l’étranger. Ainsi AT dans son partage de revenu ne peut facturer à Mobilink qu’un appel local. C’est cette organisation juteuse qui permet à Mobilink et grâce à l’infrastructure de son partenaire d’engranger l’essentiel de ses gains. Il est payé par son partenaire à l’étranger pour chaque minute d’appel terminée via ses cabines. Cette « route grise » est non seulement un manque à gagner en devises pour l’opérateur ATM mais également pour le trésor algérien, puisque les taxes sont appliquées aux montants facturés à Mobilink, bien en deçà des montants qui auraient été générés par des appels internationaux.
Procès de Mobilink contre AT pour compenser la mise à mort du bypass
Les liens de signalisation reliant les cabines téléphoniques à la plateforme de Mobilink servaient en fait à router les appels internationaux entrants via les cabines Oria. Pour mettre fin à cette saignée, AT décide en 2009, selon nos contacts, de désactiver ces liens. Le résultat est spectaculaire. Le trafic généré par les cabines Oria est devenu presque nul. Le contrat quant à lui est maintenu jusqu’en 2010.
Il a fallu attendre 2013, soit plus de 10 ans après le déploiement des premières cabines, pour que Mobilnk réagisse et intente un procès, pour officiellement, « manque de cartes de taxation, retard dans l’attribution du signal d’inversion, retard dans l’attribution du code du service et des numéros de comptes clients, une insuffisance des capacités d’intervention dans l’installation des lignes, insuffisance dans l’approvisionnement des équipes en câbles… ».
Une expertise a été demandée par le tribunal d’El Harrach et confiée à un cabinet appartenant à M. Rahim, le propriétaire de l’hôtel Hilton, qui confirme la « justesse » des griefs avancés par Mobilink. C’est Mme Houda Feraoun qui aurait poussé à remercier l’avocate conseil d’AT en charge de ce dossier et de le confier à un autre. Comme elle a fait recruter M. Berrani en qualité de Directeur général (DG) Adjoint d’AT chargé du commercial.
M. Berrani deviendra plus tard DG de Monetix, société des Kouninef et partenaire de BPC dans le holding qui a remporté l’appel d’offre lancé par la Satim. D ’anciens cadres d’AT ont témoigné en 2019 de la pression que l’ex-ministre aurait exercé sur eux pour avantager les Kouninef.
Mais l’affaire de l’indemnisation de Mobilink est la partie visible de l’iceberg. Le nom de l’ex-ministre des PTIC est évoqué dans plusieurs autres affaires liées à la gestion de son secteur. Maghreb Emergent reviendra dans les prochains jours sur les plus importantes d’entre elles. Affaire à suivre !
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Posté Le : 18/12/2020
Posté par : tlemcen2011
Ecrit par : Par Raouf Mekhloufi
Source : Maghreb Émergent