Algérie - Divers sujets sur la littérature

ENQUÊTE LE LIVRE QUI FAIT TREMBLER BOUTEFLIKA



ENQUÊTE LE LIVRE QUI FAIT TREMBLER BOUTEFLIKA

C’est un livre qui dérange avant même qu’il ne paraisse. Le dernier ouvrage du général Khaled Nezzar est un réquisitoire incendiaire contre le président Abdelaziz Bouteflika.
Ce dernier ne trouve aucune grâce aux yeux de celui qui avait proposé le pouvoir en 1994 avant de se dérober à la dernière minute. La sortie de ce livre dont nous publions de larges extraits permettra peut-être de lancer le débat sur le bilan de Bouteflika.
Khaled Nezzar vient de le tirer à sa manière.

Le Moins Muet des généraux
Des maquis de l’ALN aux Tagarins, où il a occupé le poste de ministre de la Défense depuis 1962, Khaled Nezzar a gardé un caractère de militaire que ne lui a pas fait perdre sa position politique de l’homme fort du HCE quand celui-ci fut créé, pour pallier le vide laissé par la disparition tragique de Mohamed Boudiaf.
Pourtant, lorsqu’il se met à parler, on a du mal à voir en lui une figure emblématique de celle qu’on appelle la grande muette.
Rarement en embuscade, il avance le plus souvent démasqué, décochant non pas des fléchettes, mais des tirs de canon, peut-être pas toujours fatals, en tout cas impitoyables.
Bien qu’ajustés, Bouteflika y avait échappé, en 1999, grâce à une forteresse érigée autour de lui. Il faut dire que Nezzar a la rancune tenace. La dent dure. Et le verbe direct, dépouillé de tout ornement, destiné à laisser planer le doute ou simplement à suggérer les choses. Ainsi, il ne comprenait pas très bien le choix de ses ex-compagnons d’abouber quelqu’un qui pourtant leur avait fait faux bond quelques années plus tôt. C’était en 1994 et Bouteflika avait alors donné son accord pour être désigné président de l’État à la place du HCE qui venait d’achever le mandat de Chadli. Incapable, cinq ans plus tard, de réprimer sa rage quand la hiérarchie militaire avait pris option pour Bouteflika dans la succession de Zéroual, Nezzar ne s’était pas privé de dire publiquement tout le bien qu’il pensait de ce “canasson” élevé sous le burnous de Houari Boumediene.
Discipline de troupe oblige, l’ancien ministre de la Défense finira par “entendre raison”. Sans devenir un chaud partisan du “candidat du consensus” qui a fini par être élu bien sûr, Nezzar avait appris à faire violence à son amertume. Mais si Bouteflika a fini par s’écarter de sa ligne de mire, le tirailleur ne reste pas moins aux aguets. Avec toujours la même et lancinante question : un général étant, selon la règle, un cadre de réserve, Nezzar parle-t-il en son nom personnel ou bien au nom de l’ANP ? L’équivoque demeure, malgré ses propres précisions et les clarifications de l’état-major.
Ainsi, lorsque Nezzar poursuit devant les tribunaux français le sous-lieutenant Habib Souaïdia pour diffamation, c’est, dit-il, pour défendre l’honneur de l’ANP souillé par ce “félon” l’ayant rendue responsable des pires atrocités durant cette “sale guerre” qui n’en finit pas d’endeuiller le pays. Le doute est d’autant plus permis que les frais du procès n’étaient pas à la charge de ce général qui a assumé, haut et fort, l’interruption du processus électoral qui avait barré la route du pouvoir au FIS. Lorsque d’autres hauts responsables (honteux ou prudes ?) tentent de convaincre que Chadli avait démissionné de son plein gré provoquant une vacance du pouvoir, Nezzar, alors ministre de la Défense, assume sans regrets le coup de force. C’est bien l’armée, sensible à l’appel de la société civile et forte de ses analyses, qui avait demandé à l’ancien président soupçonné de projets de cohabitation, d’abandonner ses fonctions. Et si le FIS a d’ailleurs connu l’ascension qu’on lui connaît au nez de l’armée, c’est parce que celle-ci était respectueuse de la volonté du chef de l’État. En 1991, l’intégrité du pays était menacée, soutient Nezzar qui ne s’offusque pas d’être présenté comme le chef de fil des “éradicateurs”, cette étiquette combien infamante de l’autre côté de la Méditerranée, Nezzar n’échappait qu’au prix d’un miracle à une tentative d’attentat en février 1993. La bombe, actionnée à distance sur son passage, avait explosé avec un décalage qui n’avait pas empêché son véhicule de faire un tête-à-queue, témoin de la puissance de la charge… Aujourd’hui que le FIS est en voie d’être réhabilité par le chef de l’État, selon ses propres soupçons, Nezzar ressort son artillerie.
Les missiles semblent comporter des charges chimiques. Bouteflika y échappera-t-il comme en 1999 ? En tout les cas, sa défense n’est plus aussi sûre. La forteresse érigée autour de lui est quelque peu brinquebalante !

N. B.

Document
Comment les Militaires ont proposé le Pouvoir à Bouteflika

“Maintenant que j’ai accepté d’aller en prison (allusion aux contraintes du nouveau poste de Président qu’il allait occuper), donnez-moi trois jours de sursis, j’ai des problèmes à régler
à Genève”, dit Abdelaziz Bouteflika

“Bien avant que Bouteflika ne fût pressenti pour exercer la magistrature suprême, il avait émis le vœu d’être reçu par moi. C’était vers la fin de l’année 1992, moment où, membre du Haut comité d’État, j’occupais encore le poste de ministre de la Défense. J’ai accepté de le recevoir sans hésiter, d’autant qu’il s’agissait d’un compagnon de Houari Boumediene. Je fis de mon mieux pour lui expliquer les tenants et les aboutissants des décisions prises, depuis janvier 1992, et lui donnai un aperçu général de la situation dans laquelle se débattait le pays. Je n’ai pas pensé un seul instant qu’un jour, très prochainement, il pourrait être en réserve de la République. Il dira à Larbi Belkheir qui me rapporta le propos : “Je n’ai jamais rencontré avant ce jour Si Khaled, mais il m’a appris en deux heures ce que tu ne m’as jamais fait, toi, depuis ta prise de fonctions auprès de Chadli, alors que tu te prétends mon ami !” Au moment de nous séparer, Bouteflika me dit : “Khaled, je n’ai pas d’arme pour ma protection.” Je lui offris mon propre pistolet, un 9 mm chromé, cadeau d’une délégation égyptienne. Bouteflika m’avait laissé l’impression d’un homme avenant et disert, sachant écouter et sachant poser les bonnes questions.
Certains n’ont pas manqué de dire : “Mais pourquoi donc devra-t-on toujours proposer des personnes prises dans le même “panier à crabes” ?” Les déboires du pays n’ont-ils pas été provoqués par le pouvoir absolu de leaders ou romantiques ou autistes ou incompétents ou malades, etc. Comment faire ? Pouvait-on aller vers des élections ouvertes à un moment où les surenchères politiciennes et le bouillonnement de la société étaient à leur comble ? Le système politique algérien est ainsi fait. Il est présidentiel. Ce n’est pas à l’armée de le réformer. Pouvait-on imposer, par un diktat militaire, un changement de la Constitution ? (…)
Pour la majorité de ceux qui ont applaudi à la candidature de Abdelaziz Bouteflika, il était évident que cet homme, qui avait évolué à l’intérieur du régime qui avait dirigé l’Algérie d’une façon dictatoriale, peut-être, mais dans le but de l’amener à la modernité et au progrès, ne pouvait pas avoir d’autre vision que celle définie par les textes fondamentaux du mouvement national.
Sur le plan extérieur, l’Algérie avait besoin d’un diplomate habile, familier des grands de ce monde et des hémicycles internationaux, afin de redynamiser l’entreprise diplomatique en butte à l’hostilité et à la désinformation.
Certains ont bien voulu mettre à son seul actif les grands succès diplomatiques des années 1960 et 1970, alors qu’ils n’étaient que l’hommage du monde rendu à un grand peuple pour ses sacrifices. Et ils ont volontairement — et trop généreusement — oublié qu’il avait, lui, apporté, dans le plein exercice de sa “diplomatie”, l’arrogance du donneur de leçons et l’impolitesse du pédant, qui nous feront tant de torts à l’heure du repli.
Les militaires, que nous étions (ou que nous avons été), acculés par des échéances incontournables, avaient donc décidé de rencontrer Monsieur Bouteflika. La rencontre aura lieu à Dar El-Afia, actuel mess des officiers. L’ancien ministre des Affaires étrangères de Houari Boumediene, mis au courant de nos intentions, nous pria de lui accorder un sursis d’une quinzaine de jours pour réfléchir et consulter ses amis au FLN et… “ailleurs”.
Cette prudence de Bouteflika, que j’imputai d’abord à l’appréhension de ce qu’il allait être contraint d’affronter comme difficultés, m’incita — uniquement dans le but de lui faire franchir “le sas” — à lui proposer de rester un moment à ses côtés pour l’assister et le soutenir. J’avais cru voir sur sa figure la même pâleur que celle que je lisais sur le visage de mes parachutistes à l’instant de leur premier saut. Ma proposition ressemblait à la bourrade virile, entre les deux omoplates, qui envoie le débutant se colleter, seul dans l’abîme, avec ses émotions. Quelques jours plus tard, le général Toufik, me prenant à part, me dit : “Bouteflika souhaiterait être seul à la tête de l’État.” “Qu’à cela ne tienne, ma proposition partait d’un bon sentiment”, ai-je répondu. Il me fut rapporté qu’il ne s’attendait pas à de telles dispositions d’esprit de ma part et on ajouta qu’il en fut fortement impressionné.
Je suivais, au jour le jour, l’évolution des discussions entre lui et les militaires. Quelques sorties du genre : “J’espère que vous n’êtes pas des éradicateurs ?” me mirent tout de suite sur mes gardes. Qu’est-ce à dire ? L’homme connaissait-il vraiment le sentiment et la nature de l’ANP ? Confondait-il l’inévitable lutte contre le terrorisme avec une répression généralisée contre le mouvement islamiste ? (…)
Il me paraissait étonnant que Abdelaziz Bouteflika qui, nous disait-on, avait grandi dans l’ALN et qui avait été très proche de celui qui avait façonné l’ANP, ignore à un tel point les soubassements sentimentaux et idéologiques sur lesquels repose l’armée et les véritables raisons de l’action de 1992.
D’abord, il ne répondit qu’après une attente de plus d’un mois. Il commença par demander à rencontrer le chef d’état-major en tête-à-tête et il le rencontra, puis les commandants de force et nous accédâmes à son exigence, et enfin les chefs de région et il en fut fait selon son désir.
Il dit à ces derniers, en présence des commandants des forces, du ministre de la Défense Liamine Zéroual et du chef d’état-major Mohammed Lamari : “Nous sommes tous dans la même tranchée.” Au moment où les militaires essuyaient un véritable tir de barrage, l’image était belle.
Une fois cette “tournée des popotes” terminée, il exprima le désir d’aller en Suisse pour mettre en ordre quelques affaires privées.
“Maintenant que j’ai accepté d’aller en prison (allusion aux contraintes du nouveau poste de Président qu’il allait occuper), donnez-moi trois jours de sursis, j’ai des problèmes à régler à Genève”, dit-il.
La veille de son départ, les conférenciers, dont certains étaient des chefs de partis politiques, avaient demandé l’autorisation de communiquer à leurs militants de base le nom du futur candidat. Les militaires, disciplinés, répondirent qu’il fallait avoir d’abord l’aval de l’intéressé, d’autant que ce dernier, qui avait suivi étroitement ce qui s’était dit pendant les travaux de la conférence, n’ignorait pas que de nombreuses personnalités avaient exprimé leurs réticences à le voir accéder à la tête de l’État. Je tiens à préciser qu’il n’a jamais été question de le faire nommer par la conférence puisqu’elle avait déjà clôturé sa séance. Toutes les “bonnes” raisons qu’il donnera plus tard ne seront que des faux-fuyants pour cacher sa reculade.
Sachant qu’il partait le lendemain matin, Liamine Zéroual, ministre de la Défense, le chef d’état-major, Mohammed Lamari, et le général Mohamed Mediène, le prièrent de les rejoindre chez Zéroual. Il les fit longuement attendre et comme tous les trois étaient de grands fumeurs, les cendriers étaient remplis à ras bord de mégot de cigarettes et de bouts de cigares lorsque Bouteflika arriva. Ce dernier, l’esprit peut-être embrouillé par le manque de sommeil, avait dû certainement penser qu’une réunion de militaires, convoquée d’urgence, venait de prendre fin ; soupçonneux, il ne prit même pas part à la discussion et rejeta catégoriquement l’offre qu’il avait acceptée quelques jours auparavant.
Une dernière tentative sera tentée auprès de lui par l’intermédiaire de M. Chérif Belkacem, son ancien compagnon, afin de le faire revenir sur sa décision, en vain !
Je reçus le lendemain matin les trois officiers accompagnés du général Touati, les quatre éprouvés par une nuit sans sommeil, nous nous regardâmes en silence. L’Algérie, avec ses désordres et son avenir incertain, était au-dessus de leurs épaules et le poids les accablait. Liamine Zéroual était le plus décontenancé d’entre les quatre. Il ne comprenait pas ce qu’il avait pris au futur (et déjà ex) candidat pour opérer cette volte-face.
Nous avons tous une boule dans la gorge, mais nous avons l’habitude de la solitude. “Mea-culpa !”, aurait pu s’exclamer chacun de nous. Pendant qu’ils étaient là à me fixer, attendant une réaction de ma part, des idées se bousculaient dans ma tête : nous aurions dû être plus regardant sur le gabarit de l’homme, nous qui mesurions avec réalisme le fardeau que nous lui proposions. Le pays résonnait de détonations et d’explosions, les caisses étaient vides, le pétrole était au plus bas et la société occidentale bien pensante vouait le pouvoir algérien aux gémonies. C’était l’époque où les journaux et les médias du monde entier, ceux du Golfe surtout — sa lecture de prédilection —, prédisaient tous les matins la chute d’Alger et la victoire du GIA. Notre homme avait écouté la voix de la prudence.
Devant mes yeux dessillés, Abdelaziz Bouteflika venait d’apparaître tel qu’en lui-même : un petit cœur et une petite âme. Il venait de refuser d’être le timonier du dernier recours et de prendre une place dans l’Histoire autrement que par l’intrigue ou le complot.
Il venait de prouver, au moment de l’épreuve, que, longtemps caché sous les pans d’un ample burnous, il n’avait semblé grand que dans l’ombre du Grand. qu’importe, nous étions là, mes compagnons et moi, sur le même radeau livré à la miséricorde de Dieu, gardiens de ce qui restait de la République, mais avec pour viatique une inébranlable espérance.
“Allez dormir un peu. Demain aussi, il fera jour !”, ai-je dit à mes compagnons, sans plus amples commentaires. Je me rendis le lendemain à la réunion du Haut comité d’État. La fuite de Abdelaziz Bouteflika ne nous laissait qu’une seule option : Liamine Zéroual.
Liamine Zéroual, conforté par la confiance de ses compagnons, se fit violence. Il accepta, par devoir, de devenir chef de l’État.
Depuis ce jour, je n’ai croisé le chemin de M. Bouteflika qu’à deux reprises. La première fois, tout à fait par hasard, au cours d’une réception à laquelle nous assistions tous les deux. Il vint vers moi, tout sourire comme à son habitude, et me dit qu’il savait que j’avais tenu des propos sévères sur lui. “Tiens, pensais-je, in petto, il a continué à s’informer de mes sentiments à son égard ?” “Avant de me juger, vous auriez dû m’entendre”, me dit-il. J’étais estomaqué.
L’entendre ? Tous les responsables n’avaient fait que ça, lorsqu’il avait demandé à les voir les uns après les autres. (…)”

Il sort Aujourd’hui
Le Livre Qui Fait trembler Bouteflika

“On a vite l’impression que Abdelaziz Bouteflika considère sa présence à la tête de l’État (…) comme une réappropriation d’un bien légitime…”, affirme le général à la retraite.

Le dernier ouvrage du général à la retraite Khaled Nezzar, Bouteflika, l’homme et son bilan, a finalement vu le jour aux éditions Apic, après avoir subi des blocages avérés selon l’auteur. Un de ses proches nous a confirmé que deux maisons d’édition ont donné leur accord pour éditer le manuscrit, puis se sont ravisées. Ont-elles fait l’objet de pressions ? Probablement, si on prend en compte la révélation d’une source crédible qui affirme que Mustapha Bouteflika a rencontré Khaled Nezzar afin de le dissuader d’accabler le chef de l’État dans l’interview qu’il devait accorder au Soir d’Algérie.
Le livre du général Nezzar ne montre pas, il est vrai, le président de la République sous son meilleur jour. L’auteur prend davantage le soin de dépeindre la personnalité ambiguë de Bouteflika qu’à mettre en lumière le versant caché des sphères du pouvoir. Une approche qui lui permet de présenter un mandat présidentiel dominé par une gestion chaotique des affaires de l’État et particulièrement par un sens aigu du culte de la personnalité. “On a vite l’impression que Abdelaziz Bouteflika considère sa présence à la tête de l’État (…) comme une réappropriation d’un bien légitime que des “indus occupants” ont longtemps squatté”. Toute la problématique “Bouteflika” est résumée dans cette phrase. Le reste ne viendra qu’en appui à cette thèse.
Le chapitre le plus fourni en détails relate les circonstances réelles de la mise à la tête du pays du général Liamine Zéroual. Nezzar remonte donc à l’année 1994, date qui marque les prémices de la fin de mission pour le Haut conseil de l’État (HCE). “Le nom de Abdelaziz Bouteflika fut proposé au plus haut niveau de la hiérarchie militaire (…). Nous conclûmes que malgré certains handicaps, il pourrait être l’homme de la situation.” Dès que la proposition lui eut été faite, Abdelaziz Bouteflika a posé le préalable “d’être seul à la tête de l’État”, ce qui lui fut concédé sans détours, selon les propos du général Nezzar. Contre toute attente, Bouteflika refusa, au bout d’un mois, l’offre qu’il avait dûment acceptée. “La fuite de Abdelaziz Bouteflika ne nous laissait qu’une seule option : Liamine Zéroual”. Son retour fracassant au devant de la scène publique, en 1999, en sa qualité de candidat du consensus, a supplanté sa dérobade, cinq ans auparavant, à l’appel du devoir dans l’esprit des décideurs. “L’histoire procure à ses protagonistes chanceux d’extraordinaires revanches”, commente-t-il à la fin du passage consacré à la cérémonie d’investiture du nouveau Président élu.
Dès lors, le général Nezzar énumère les dérapages de Bouteflika. Il parle de sa condescendance face à ses collaborateurs et de ses innombrables voyages à l’étranger. Cette “vadrouille présidentielle” est motivée par un besoin d’être protégé, selon l’auteur. Contre qui ? “L’état-major n’a jamais désiré qu’une chose : le voir réussir”, insiste-t-il. Ainsi, il dédouane l’ANP des dérives de Bouteflika. Khaled Nezzar rapporte, ensuite, que la concorde civile est un projet élaboré du temps de Zeroual. Il précise que le devoir de justice était garanti par les concepteurs de la loi y afférent. “Avec l’article 41, non prévu dans la mouture originelle et qu’il rédigera de sa propre main, Bouteflika franchit un premier pas vers l’inconnu, en dénaturant et en déviant de son objectif sécuritaire le texte original de la loi.” Cet article permit au président de la République de décréter la grâce amnistiante, “une anomalie hors normes juridiques et hors normes constitutionnelles”. Une démarche non consentie par l’armée.
Nezzar estime que Bouteflika détruit, tel un bulldozer, la carrière de tous ceux qui se mettent au travers de son chemin ou qui lui font juste de l’ombre. “Saïd, l’alter ego (…), sera le maître d’œuvre de la grande casse des hommes, des appareils, des partis et des institutions…” A contrario, ceux qui servent les intérêts du chef de l’État sont bien récompensés. Celui “qui a finalisé le dossier de cession, au profit de Bouteflika, de la somptueuse villa Dar-Ali-Chérif est récompensé par un poste de conseiller à la présidence…”. À partir de là, Khaled Nezzar rebondit sur l’affaire Khalifa : “Je ne serai pas de ceux qui accuseront, sans preuves, Bouteflika d’avoir personnellement et directement profité des largesses de Rafik Khalifa, mais il y a eu trop d’éléments évidents et irréfutables qui démontrent que sa responsabilité politique est entière.” Aujourd’hui, à l’orée de l’élection présidentielle, le chef de l’État “culmine la stratégie du double discours (…) désireux de décrocher un second mandat”. Pourtant, “le gel des réformes, le marasme économique, la discorde en Kabylie, le rebond de terrorisme… sont un bilan dont ne peut se prévaloir un candidat à la présidence de la République”, conclut le général Nezzar.

Souhila H.

Document
Le Pouvoir entre les Mains de la famille
“Saïd, I’alter ego, le clone de son aîné, le président-bis, devenu un machiniste émérite, tire, à grands renforts de poulies bien “graissées”, les chaînes, les cordes et les ficelles. Saïd fait fonction de directeur de cabinet, de factotum, de responsable de la sécurité et de grand manipulateur de médias.
Il diligente, régente, oriente, invective, menace ou récompense, selon son bon plaisir. Il est le numéro deux de droit divin et se prend au jeu. Il sera le maître d’œuvre de la grande casse des hommes, des appareils, des partis et des institutions qui refuseront son usurpation. Tel officier chargé de la sécurité sera “remis à disposition” pour avoir courageusement posé la question de confiance : “Mais enfin, qui est le président ?” Cet officier gagnera au change, puisqu’il respire, depuis, un air moins délétère dans de grands espaces.
La revanche, pour être complète, doit procurer la satiété. Mordre à pleines dents dans le fromage. S’imbiber, se saturer de palais, de meubles précieux, de luxe, de fric et tant qu’à faire, avec toute la famille, les frères en premier. Satisfaire ses fantasmes, ses fixations sur les fastes entrevues d’lfrane et de Rabat, reprendre là où elle a été arrêtée en 78 sa saga personnelle, c’est, désormais, le seul programme du nouveau président.
Il installe sa mère dans la résidence d’état où était logé Liamine Zéroual. Chacun de ses frères hérite d’un autre palais. Lui, conserve son appartement de l’avenue Cheikh-Bachir El-Ibrahimi pour la “commodité” et surtout pour le faire semblant de l’homme modeste dans ses goûts et économe des sous de l’État !
Sur les dizaines de “conseillers” à la présidence de la République, combien n’y ont jamais mis les pieds ? Quels liens familiaux ou personnels ces derniers ont-ils avec le président ? Dans les pays qui se respectent, de hauts responsables sont mis en examen pour avoir ordonné ou couvert un emploi factice. La législation de ces pays assimile l’emploi factice à une malversation.
L’esprit “sultan revenu d’exil” se révèle très vite dans les gestes récompensateurs. Tel, qui a finalisé le dossier de cession, au profit de Bouteflika, de la somptueuse villa “Dar-Ali-Chérif”, est récompensé par un poste de conseiller à la présidence où il pourra immédiatement solder ses propres comptes personnels.
Les opérations de toutes sortes menées dans les coulisses pour asseoir et pérenniser le pouvoir du grand frère nécessitent beaucoup d’argent.
Les filons sont vite trouvés.”

Kabylie : Quand Il les Traitait de Nains
Abdelaziz Bouteflika, par le simple fait d’avoir hésité à se rendre en Kabylie dès les premiers jours, par ses provocations verbales, par ses silences scandaleux et par ses calculs politiciens, a installé la discorde dans le pays.

“Les évènements de Kabylie son le pic d’iceberg et le condensé des immenses problèmes que vit l’Algérie. Les jeunes Kabyles manifestent pour les mêmes raisons que celles qui font hurler les foules à Khenchela, à Mila ou à Laghouat, tant les effets de la crise sont ressentis pareillement partout à travers le territoire national.
Les outrances verbales, les attitudes arrogantes et les actes provocateurs de Abdelaziz Bouteflika agissent comme de la braise sur le mécontentement populaire en Kabylie et jettent dans la rue de nouveaux protestataires : “De loin, je vous voyais très grands, mais... Vous n’êtes que des nains”... “Jamais tamazight ne sera langue nationale !” Ou bien lorsque le jeune Guermah est traité de voyou sans qu’il n’éprouve le besoin, lui, d’atténuer par une parole de sympathie les dérapages de son porte-parole et ministre de l’Intérieur Zerhouni. Au moment où les évènements s’accélèrent, son départ pour assister à une conférence sur le sida est ressenti comme “plutôt parler du sida que de vos problèmes”. Son discours dans une ville du Sud déconsidère et rabaisse outrageusement “les gens du Nord”.
La dénonciation de la “main étrangère” est une diversion insultante. Quelle est donc cette “main étrangère” assez puissante pour mettre en branle ces innombrables foules ?
Lorsqu’il s’écrie : “Je ne capitulerai pas”, il accuse ses “ennemis” d’avoir créé de toutes pièces la situation que connaît la Kabylie — et chacun aura vite compris qui il vise. Le terme “capituler” est évocateur. Il suggère que sa place forte est assaillie par un certain cercle. Son incommensurable ego l’empêche de voir les réalités quotidiennes qu’affronte la population, qui la rendent folle de rage et qui poussent un certain nombre de jeunes à se défouler sur les forces de sécurité qui n’en peuvent, mais… Il réussira une première diversion en canalisant la colère populaire sur les gendarmes. Il y aura des morts, trop de morts, hélas.
Bouteflika fera l’unanimité contre lui, y compris chez les moudjahidine, lorsque l’ancien président Ahmed Ben Bella s’attaque, sur le plateau d’El-Djazira, au Congrès de la Soummam et à Abane Ramdane, sans que le chef de l’État, gardien des symboles de la nation, n’émette la moindre protestation. Le Congrès de la Soummam a été le créateur de l’armé algérienne moderne, il a donné au Front de libération nationale sa deuxième substance charnelle. Qu’importe les récriminations de toutes sortes et de tous bords, qu’elles soient justes ou fausses, pour les moudjahidine, celui qui a été l’artisan infatigable de cette renfondation et de ce rebond de la Révolution a été Abane Ramdane, n’en déplaise à tous les aigris et à tous les révisionnistes d’Algérie. Le Congrès de la Soummam a été une extraordinaire avancée d’ordre qualitatif et quantitatif des instances nationales du FLN, il permettra l’émergence d’une direction : le CCE (Comité de coordination et d’exécution). Le sigle condense le programme : “La coordination” qui est la condition primordiale du succès et “l’exécution”, sans laquelle un mouvement s’édulcore et périclite. Le CCE sera le coordinateur efficace et l’exécutif décidé qui mettra inexorablement en œuvre les nombreuses décisions du congrès !
La Kabylie qui a payé le prix fort pour la libération du pays ressent une légitime fierté de ce que le Congrès de la Soummam se soit tenu en terre de Kabylie. Les dénominateurs communs d’un peuple sont sa religion, ses mythes, ses héros, ses symboles, ses cimetières indivis, tout cela crée un soubassement de sentiments diffus et forts en même temps.
De ces territoires de l’émotion, émergent des figures totémiques où s’ancre l’imaginaire. Laisser une personnalité de la dimension d’Ahmed Ben Bella s’attaquer au Congrès de la Soummam et à Abane, sans lui répondre, au moment où l’Algérie avait besoin de réaffirmer sa cohésion autour de ses symboles, est — avant d’être une insulte à l’histoire — un attentat gravissime contre l’unité nationale.
Les révisionnistes qui ont touché aux acquis historiques de la Révolution ont fait le même mal à la cohésion nationale que celui que les intégristes lui ont fait en dénaturant l’islam.
Dans le bilan de Bouteflika, il restera une tache indélébile : celle d’avoir laissé la calomnie atteindre nos symboles.
On commence à comprendre où il veut en venir quand il tourne le dos à toute idée de dialogue. Le “laisser-faire” désarçonne ceux qui sont pour un contact immédiat, un tour de table, en associant tous les hommes de bonne volonté. On devine qu’il est à un tournant. Un tournant identique à celui qui a transformé la concorde civile en machin au service d’une ambition. Il a désormais choisi la politique du pourrissement. Cette démarche n’est pas fortuite. Elle est consciente et délibérée. Elle veut aboutir à liguer contre la Kabylie le reste de l’Algérie. La Kabylie, en proie aux désordres et repliée sur elle-même, c’est, d’abord, un adversaire neutralisé. Le calcul arithmétique est cyniquement mis au service de l’ambition personnelle.
Abdelaziz Bouteflika, par le simple fait d’avoir hésité à se rendre en Kabylie dès les premiers jours, par ses provocations verbales, par ses silences scandaleux et par ses calculs politiciens, a installé la discorde dans le pays. À aucun moment, le danger de voir les terroristes du GSPC retirer des dividendes du mécontentement populaire et les voir renforcer leurs rangs n’a effleuré l’esprit de Bouteflika. Le patriotisme et la maturité de l’immense majorité de la population éviteront cet aboutissement catastrophique pour le pays.
Sous l’aiguillon de la nécessité (horizon 2004) et jugeant qu’il a atteint son objectif : remplir partout la coupe anti-Kabyle, Bouteflika vient de lancer un appel au dialogue afin d’apparaître “fédérateur” à peu de frais et bénéficiaire du vote de cette région de l’Algérie.
Mais, au-delà de cet opportunisme et de ces bas calculs, il demeure une évidence malgré tout, le combat du mouvement citoyen en Kabylie a arraché l’essentiel : la reconnaissance de tamazight et le respect de ceux qui campent sur des principes clairs et refusent la compromission.”

Khalifa, La Belle Affaire !
“L’affaire Khalifa, qui a coûté cher à l’État, à des organismes publics et privés et à d’innombrables citoyens, est de son entière responsabilité politique. Je ne serai pas de ceux qui accuseront, sans preuves, Bouteflika d’avoir, personnellement et directement, profité des largesses de Rafik Khalifa (dit Moumen), mais il y a eu trop d’éléments évidents et irréfutables qui démontrent que sa responsabilité politique est entière.
La présence de Abdelghani, frère du président et conseiller juridique auprès du staff de direction du groupe, les bons mots du chef de l’État à l’égard du jeune Moumen et ses apparitions à ses côtés dans des réceptions ont tétanisé les services de contrôle. Personne n’osera toucher à ce qui apparaît comme une chasse gardée. Les mafiosi qui ont utilisé la banque Khalifa pour détrousser l’Algérie et les Algériens ont vite compris qu’ils pouvaient piller à l’aise, assurés de l’impunité parce qu’ils avaient gagné, en les “mouillant”, la faveur de ceux qui avaient les moyens de les protéger. L’opinion publique attend la liste des bénéficiaires des largesses de Moumen Khalifa.
Et les aura tôt ou tard ! L’opinion publique algérienne attend de savoir où sont passés les 100 milliards de dinars (Je dis bien cent milliards de dinars) qui n’ont pas été retrouvés dans les écritures par les experts chargés de l’audit des opérations de cette “banque”. 100 milliards de dinars, en plus des autres 100 milliards de dinars qui ont été dilapidés (pièces écrites en main). Moumen Khalifa et ses complices devront tôt ou tard parler.
Moumen Khalifa est un personnage qui ne valait pas tant de bruit. Les circonstances, beaucoup d’aveuglement et surtout la rapacité de l’entourage du Président en feront l’escroc du siècle.
Pourquoi Habibi est-il toujours sénateur alors qu’il a défrayé la chronique par sa boulimie de terrains agricoles et fonciers ? Bouteflika le protège, car il fut celui qui le défendit fougueusement dans le journal El Khabar, le jour où j’ai donné mon jugement sur le candidat à la plus haute fonction de la République, avis qui s’est confirmé, hélas, par la suite… Ma petite enquête détermina que cet article-réponse, qui mit en émoi les frères Bouteflika (ils firent tout pour me prouver que le futur président n’y était pour rien), a été écrit et publié à l’instigation de Moussa Mourad.
Les initiatives pour trouver des partenaires économiques entrent en droite ligne dans les prérogatives de tout chef d’État, cependant, celle concernant Orascom est venue jeter une suspicion légitime. Le président de la République est accusé publiquement d’avoir détourné de l’argent pour s’acheter un appartement à Paris (182, rue du Faubourg Saint-Honoré). Bouteflika peut-il donner le change par le silence et le mépris ?
Qui ne dit mot consent. Aussi, par égard pour ceux qui sont allés aux urnes pour voter pour lui, il doit s’expliquer et sévir s’il a été faussement accusé. S’il se tait, il donne du crédit à ceux qui l’accusent d’avoir utilisé sa fonction pour s’enrichir personnellement.
Si la tactique est d’attendre le moment favorable, c’est-à-dire une éventuelle réélection pour agir, I’opinion publique le comprendrait comme la vengeance du coupable exercée contre son dénonciateur à partir d’une position de force. Ce sera terrible pour l’État et pour l’Algérie !”

Un Président Voyageur
“Qu’est-ce qui le fait courir de Paris à New York et de Moscou à Caracas ? Les deux grands dossiers où tant de volontarisme aurait dû s’investir, c’était, en bonne logique, des appuis à l’Algérie dans sa guerre contre le terrorisme intégriste et le rebond économique par, entre autres, le traitement de la dette. (L’effacement de tout ou partie de la dette pouvait constituer la révérence du monde à l’égard de l’Algérie pour sa résistance au fascisme vert).
Le terrorisme d’origine intégriste, il le nie ou l’occulte, et pour cause, la concorde civile ! Les investissements ? Ses œillères orientées vers quelques affairistes du Golfe lui cachent la planète.
Les déboires rencontrés à Alger, face à la vigilance de l’administration, par des Émiratis aux dents longues, l’incitent à se désintéresser de “l’intendance”.
Une force intérieure irrépressible semble pousser Bouteflika à quitter sa place, à bouger sans cesse. Le marathon autour du monde, qui a occasionné au prestige de l’État et à sa cassette des dégâts considérables, a-t-il d’autres raisons en dehors du désir d’être reconnu — et accessoirement, protégé. (Mais protégé contre qui ? L’état-major n’a jamais désiré qu’une chose : le voir réussir. Les militaires ne l’ont jamais limité, ou contraint, ou fourvoyé malgré lui là où il ne voulait pas s’engager).
Comment expliquer la périodicité quasiment métronomique de ces voyages ?
Cette “bougeotte” aiguë est-elle à mettre sur le compte d’un sentiment de frustration d’une personne longtemps sous les feux de la rampe, brutalement renvoyée dans l’ombre, contrainte au silence, sevrée “d’honneurs” et de discours pompeux et qui absorbe, par tous ses pores et toutes ses muqueuses, le nectar incomparable de la gloire retrouvée ?
Cette course autour du monde, boulimie de flonflons et d’ambassades, est-ce simplement le visage de Narcisse reflété, multiplié à l’infini, entre les miroirs parallèles d’augustes galeries des glaces ? Est-ce une fuite perpétuelle face aux problèmes qui se posent et qu’il ne peut régler car il manque et de compétence et de volonté ? Ou bien — et il faut hélas se poser la question — plus tragiquement encore, un trouble profond, le fameux syndrome de Sissi, cette impératrice d’Autriche qui usa des wagons de l’Orient-Express comme d’un gardénal ?
Le mythe du diplomate émérite s’est vite effondré. Il ne reste plus que la réalité désolante d’un président errant, déconnecté de la réalité de son pays et incapable de comprendre que le président de la République, surtout dans le système politique algérien, est une présence et une prestance. L’institution présidentielle est devenue une abstraction et l’État algérien, fragilisé par l’absence perpétuelle de son premier magistrat, est à présent la risée des chancelleries (...).
Abdelaziz Bouteflika, incapable de résister à ses pulsions, a banalisé la fonction présidentielle et gravement touché à sa dignité.
Abdelaziz Bouteflika a effectué une moyenne de 20 voyages par an. Chaque voyage a duré entre 3 et 4 jours. La suite présidentielle compte plusieurs dizaines de personnes à chaque fois. Le coût de chaque déplacement dépasse les 10 millions de francs. Le manque de transparence qui entoure la gestion de ces fonds peut prêter à spéculation concernant le retour en Algérie des éventuels reliquats.
Les futurs compétiteurs de Bouteflika dans la course à la présidentielle seraient en droit de demander un audit sérieux quant à l’origine, aux montants exacts et à la destination finale des sommes affectées à ces déplacements, d’autant que ces fonds n’ont jamais été soumis au contrôle de l’Assemblée nationale.
Le ballet diplomatique a, depuis quelque temps, un autre but : mobiliser l’étranger et l’impliquer dans la future campagne présidentielle.
Lorsque nous savons que les relations entre les États sont basées sur l’intérêt, on peut se demander quel est le prix que payera l’Algérie pour que Abdelaziz Bouteflika soit réélu ! L’UGTA a déjà posé les bonnes questions à Chakib Khelil.”

Le Moins Mauvais des Candidats

“En mon for intérieur, je n’étais pas convaincu, mais je souhaitais, plus que tout au monde, m’être trompé dans mon jugement. J’ai, dans l’intérêt de mon pays, décidé de payer encore une fois de ma personne. J’ai accepté donc, pour ne pas casser l’unanimité autour de moi et par raison d’État, de “rectifier le tir”, encourant l’ironie des uns et le courroux des autres.”

“Lorsque Zéroual exprime sa volonté d’abandonner le pouvoir avant la fin de son mandat pour des raisons qui lui sont personnelles, c’est la surprise. L’Algérie est encore au milieu du gué. Le terrorisme intégriste a été contraint au repli et à la défensive, mais il n’a pas été éradiqué. Il s’apprête, comme une bête blessée, à faire encore terriblement mal. Les institutions sont en place, mais la classe politique moderniste n’est pas encore suffisamment forte pour encadrer et orienter la population. La surenchère bête et méchante des opposants professionnels fait des ravages. Les problèmes subsistent donc, même s’ils n’ont rien avoir avec les immenses défis des années précédentes.
Un lobby, un de ces lobbies qui sont en perpétuelle orbite, revenant au périgée quand on les croit à l’apogée, faisant des rentrées discrètes dans l’atmosphère, le parachute des amitiés déployé et le train d’atterrissage à l’épreuve des aspérités, et qui ont une énorme expérience du fardage, se met en place pour convaincre que Bouteflika est à présent preneur.
Ce lobby, composé d’amis personnels de Bouteflika, rappelle au bon souvenir de tout ce que comporte l’Algérie comme responsables militaires et politiques, le nom de l’ancien ministre des Affaires étrangères de Houari Boumediene. Ces partisans de Bouteflika, très bien introduits, rencontrent une attention bienveillante chez les personnes concernées directement par la stabilité du pays. Il faut dire que la décision de Liamine Zéroual a mis toutes les institutions dans l’obligation d’improviser dans l’urgence. Je suis convaincu, pour ma part, que ce qui a plaidé en faveur de Bouteflika, aux yeux de beaucoup de responsables, c’est — paradoxalement —, sa dérobade de 1994. Il a pu apparaître comme un non-ambitieux, qui a refusé le pouvoir alors qu’il était à la portée de sa main. Son rejet de “l’éradication” (dont d’ailleurs il n’a jamais été question) rencontrait l’approche des sages de l’ANP.
Lorsque le nom de Bouteflika a commencé à circuler, je n’étais pas à Alger, je n’avais donc pas la possibilité d’écouter, de consulter ou de m’enquérir. J’ai été — c’est le moins qu’on puisse dire — surpris. Les compagnons qui ont été échaudés par sa dérobade de 1994 ont-ils à ce point la mémoire courte pour ne pas s’exprimer, d’une façon ou d’une autre, sur la candidature d’un homme qui a fait preuve de faiblesse et de versatilité ? me suis-je demandé.
Je sais, pour ma part, que les situations sont vues différemment lorsqu’on est en charge de responsabilités. La crainte que le sentiment n’altère la réflexion inspire à celui dont la décision peut faire la différence de ne prendre en compte que des éléments objectifs. Au plan des capacités personnelles (il a présidé l’assemblée générale de l’ONU), de l’expérience (il a été aux affaires pendant vingt ans), de la distanciation par rapport à ce qui a été perpétré dans le pays depuis 1980 et de l’absence chez lui d’une “tare” partisane réductrice, Bouteflika était assurément “le moins mauvais” des candidats. “Le moins mauvais”, exprimé, même par ceux qui l’ont grandement aidé, signifie : “Nous connaissons les pages pas très nettes de son passé, mais nous n’avions pas le choix et nous restons attentifs.” Le parti pris en faveur de Bouteflika n’a été inspiré que par le souci de voir l’institution présidentielle, qui est l’âme de l’édifice politique et administratif du pays, reprise en mains d’une façon ferme, responsable et compétente.
Sous le coup de la surprise, j’ai exprimé une opinion qui a paru dans la presse et qui, si j’ai bonne mémoire, a fait quelques effets.
Des amis bien intentionnés ne manqueront pas de me faire grief de ma sévérité : Hadj Mohammed Zerguini, que j’ai toujours respecté, quand il a pris connaissance de mes propos, m’avait appelé pour me faire part de sa “peine”, c’est son mot. Ils furent si nombreux à me parler ainsi que je me suis dit que je ne pouvais pas avoir, seul, raison contre tout le monde.
J’étais face à un dilemme : me dédire, et apparaître ainsi emporté et irréfléchi, ou voir le futur président commencer son mandat avec une marque à l’épaule apposée par l’ancien chef de l’armée, le principal artisan du sauvetage de la République. En mon for intérieur, je n’étais pas convaincu, mais je souhaitais, plus que tout au monde, m’être trompé dans mon jugement. J’ai, dans l’intérêt de mon pays, décidé de payer encore une fois de ma personne. J’ai accepté donc, pour ne pas casser l’unanimité autour de moi et par raison d’État, de “rectifier le tir”, encourant l’ironie des uns et le courroux des autres.
À l’approche de l’élection présidentielle de 1999, tout de suite après que j’aie “rectifié le tir”, il demanda à un ami commun, qui habitait le même immeuble que lui, de me faire savoir qu’il souhaitait me rendre visite. J’ai répondu évidemment par l’affirmative.
Le jour convenu, mon ami lui téléphona pour lui dire qu’il était prêt ! Il fut surpris de s’entendre inviter à monter, alors qu’il était plus simple, pour le futur président, de descendre les deux étages qui séparaient leurs deux appartements ! Bouteflika n’était pas seul chez lui. Il était avec Abdelkader Hadjar. Au moment de partir, Bouteflika s’adressa à ce dernier en ces termes : “Je vais rendre visite à Khaled Nezzar !” L’homme qui devait l’accompagner chez moi, intrigué, me raconta la chose en se demandant pourquoi Bouteflika avait eu besoin de dire qu’il se rendait chez moi. Je répondis que c’était, sans doute, une précaution pour le cas où…
“Quel cas ?”, s’étonna l’ingénu. Je partis d’un grand rire et lui expliquai : il a fait comme le petit Poucet qui a jalonné sa route. Mon ami, qui a le sacro-saint respect des voisins et des amis, fit semblant de ne pas comprendre.
Je raconterai par la suite le but exact — édifiant — de la visite chez moi de Bouteflika.”

Concorde : Le Coup de Poignard dans le Dos
“(…) Abdelaziz Bouteflika avait accepté le passif et l’actif de son prédécesseur. Dans un des lots, il y avait la nécessité de trouver un habillage pour assumer en droit les problèmes juridiques, administratifs et sociaux que posait le retour sur terre des “égarés”. On aurait pu donner à la loi le nom de : “loi de gestion sécuritaire”, Abdelaziz Bouteflika a été l’inventeur de ce concept de “concorde civile” lequel, selon ses propres déclarations, “allait permettre le retour à la paix”. (...)
La loi portant “concorde civile” explicite dans ses dispositions, clairement, que ne sont concernées que les personnes ayant manifesté volontairement l’intention de cesser toute activité terroriste et qui ne se sont pas rendues coupables de mort d’hommes, d’utilisation d’explosifs ou de viols.
A contrario, ceux qui sont impliqués dans de tels crimes ne peuvent en aucun cas bénéficier des mesures d’exonération des poursuites, d’atténuation de peines ou de mise sous probation. Cela est tellement vrai que l’article 7 de la loi sus-visée en son alinéa 2 dispose clairement : “Sont exclues du bénéfice des dispositions du présent article les personnes ayant commis ou participé à la commission de crimes ayant entraîné mort d’hommes, à des massacres collectifs, à des attentats à l’explosif en des lieux publics ou fréquentés par le public, ou à des viols.” (...) Et c’est précisément parce que le devoir de justice était garanti que les citoyens — y compris des familles de victimes du terrorisme — y ont répondu positivement et l’ont adoptée. Avec l’article 41, non prévu dans “la mouture” originelle et qu’il rédigera de sa propre main, Bouteflika franchit un premier pas vers l’inconnu en dénaturant et en déviant de son objectif sécuritaire le texte original de la loi. Ce rajout inattendu va gommer la portée morale de la concorde entre les citoyens. (…) Abdelaziz Bouteflika efface la responsabilité de ceux qui ont commis d’innombrables crimes et laisse la porte ouverte à ceux qui, dans le futur, manifesteraient la volonté de retourner au bercail. En terme de crédibilité de l’État et de gestion sécuritaire du phénomène terroriste, c’est un désastre. Les irréductibles du terrorisme deviennent un parti adverse, un belligérant face à un État ébranlé, nullement sûr de son bon droit, et qui tente d’obtenir la paix par de pitoyables appels à la raison.
En accordant la grâce à ceux qui n’avaient jamais été condamnés — et qui ne le seront plus —, Bouteflika a définitivement absous les terroristes. Ainsi, sans être ni jugés ni condamnés, les mis en cause se voient effacer leurs infractions et disposer d’un casier judiciaire vierge.
L’amnistie a pour effet d’effacer le passé et de donner naissance à une nouvelle vie. L’amnistie est une prérogative du Parlement et non du président de la République (article 122 alinéa 7 de la Constitution). La grâce amnistiante a permis aux terroristes islamistes, sans distinction aucune, d’être totalement et irréversiblement disculpés sans même avoir demandé pardon.
Il est généralement difficile, même en cas de changement politique, de rouvrir des dossiers de criminels amnistiés, sauf si le législateur algérien introduit dans le code pénal la notion de crimes contre l’humanité, imprescriptibles. Pour ceux des groupes armés qui étaient encore dans les maquis et dont on espérait qu’ils saisiraient la planche de salut qui leur était offerte, un délai de six mois leur était accordé pour se repentir et livrer leurs armes. La date butoir était le 13 janvier 2000. Après quoi, Abdelaziz Bouteflika avait promis d’utiliser “Seïf El-Hadjadj”, c’est-à-dire d’éradiquer le terrorisme islamiste sans état d’âme.
Tous ceux qui refuseraient de se rendre encourraient la colère de l’État exprimée, sans complexes, avec tout l’arsenal répressif dont il dispose. Les gouvernements, les opinions publiques et les médias étrangers n’auraient, cette fois-ci, rien à redire puisque l’Algérie aurait fait la preuve qu’elle était désormais en état de légitime défense. (...)”

Le Revanchard de l’ALN
“Quelques jours après avoir été élu, il apparaît sous un autre visage. Le propos est cassant. Le ton est péremptoire. Le geste est sec. Il vient de muer. Il n’a pas été demandeur. Ce sont “les autres” qui ont eu besoin de lui. Il le fait déjà sentir : “Je ne veux pas être un trois quarts de président”… “Sinon je rentre chez moi”… “Ces quinze petits chats ne font pas peur !”… Il revient constamment à la charge, avec un mot malsonnant ou un “lapsus” évocateur “…quand eux [les généraux] n’avaient pas de grades, j’étais commandant de l’ALN”. Ces petites phrases, concises et lapidaires, qui montraient d’un mouvement mussolinien du menton une certaine direction, étaient destinées à laisser croire que des “décideurs” cachés lui délimitaient, avec un cercle rouge à ne pas franchir, une étroite surface de réparation, lui qui était venu avec une clef miraculeuse. Empruntant avec arrogance l’attitude de l’homme providentiel, il tient d’emblée à marquer son territoire. Nul n’y empiétera. Avec l’étrange incident de la dépêche de l’agence Reuters, reprise par l’APS (une sorte de dribble solitaire sous le soleil qui fait pouffer de rire), il fait savoir, en prenant l’opinion publique à témoin, qu’“on” veut le contraindre à faire ce qu’il ne veut pas faire et qu’il peut aller plus loin encore dans la dénonciation. Ceux qui l’observent se demandent déjà avec inquiétude si ces sorties saugrenues ne sont pas des signes extérieurs, une “traçabilité” des symptômes d’une immense et profonde frustration.
Tant que les outrances verbales et les actes provocateurs n’étaient que l’expression visible d’une inquiétude profonde ou d’un complexe inavoué, elles ne prêtaient pas à conséquences. Tout au plus conclut-on, peut-être sévèrement, que les réalités jadis vécues par les hommes de l’ALN, qui ont résorbé chez eux les réflexes primaires et leur ont inculqué la modestie, n’ont pas joué chez lui.
Après les paroles de l’ironie ou de la dérision, il a soudain des comportements qui viennent vite démontrer que les choses sont beaucoup plus graves que cela. L’homme, d’une façon provocatrice et ostensible, commence à montrer qu’il veut “mater” l’armée.
Reçu aux Tagarins en pleine canicule, il contraint ceux qui lui ont déroulé le tapis rouge et qui l’ont accueilli avec tous les égards dus à sa fonction à l’écouter debout pendant des heures entières afin que la caméra immortalise la posture : une sorte de garde-à-vous inconfortable devant sa grandeur. Qu’est-ce à dire ? L’homme a-t-il des revanches à prendre ? À qui veut-il se mesurer ? Pour qui se prend-il ? On se regarde perplexe. On s’interroge, mais on garde toujours le silence par discipline et parce qu’il n’y a rien d’autre à faire qu’à garder le silence et… à laisser venir.
Dans la cour d’honneur du ministère de la Défense, le jour où il est l’hôte du commandement, au moment où il passe en revue le rang des hauts dignitaires, il s’arrête soudain : l’officier qui le salue les talons joints et l’avant-bras rigide est une veille connaissance. Ce colonel a été, dans les années 1980, procureur des armées près la première Région militaire. L’homme est gêné et un peu décontenancé par le regard insistant du président. La scène s’éternise. Bouteflika, un sourire goguenard aux lèvres, l’interpelle : “Alors, vous, comment va la justice militaire ?” Et l’autre de répondre : “Bien, Monsieur le Président.”
Ce colonel, que le président vient d’interpeller de cette façon et qu’il va limoger tout de suite après, est le magistrat qui a requis dans une affaire qui a concerné un ami personnel de Abdelaziz Bouteflika…
Cette première “hogra” de Bouteflika indispose beaucoup de responsables et leur fait voir différemment le “cavalier” pour lequel ils ont massivement voté (…).
Les outrances qui ciblent, pêle-mêle, membres de la haute hiérarchie militaire, ministres, responsables divers, partenaires étrangers et journalistes — journalistes surtout — sont le fait d’un esprit appréhendant faussement son environnement. L’Algérie attendait un président mature et expérimenté, connaissant le sens des mots et en mesurant la portée, elle se découvre dirigée par un homme emporté et colérique, ne sachant faire que dans la dérision ou l’insulte. Il emprunte avec tant de fatuité et d’arrogance l’attitude de l’homme providentiel, du messie “supplié deux fois pour sauver le pays du déluge”, que l’idée s’impose qu’il n’avait pas suffisamment de personnalité, de “poids spécifique”, de robustesse psychique, et que ce tragique déficit avait fait tituber son équilibre quand il a subi le choc de son élection à la magistrature suprême.
On le découvre. Les “on-vous-l’a-bien-dit” ricanent. Ceux qui lui ont mis le pied à l’étrier grimacent jaune. Le peuple, ce grand sceptique, se bidonne douloureusement. (…)”




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