Algérie

Enjeux et contraintes du secteur privé Céder son entreprise



Rien n'est joué. Avoir trouvé l'acquéreur et avoir convenu du prix de cession de son entreprise ne garantit en rien la réussite de l'opération.
Le sujet est d'actualité en Algérie avec de nombreuses entreprises patrimoniales privées qui ne se sont pas forcément converties en entreprises familiales, avec celles cédées à des groupes internationaux ou encore pour les entreprises familiales à restructurer en vue de la préparation d'une succession.
La préparation de la cession ou de la transmission est cruciale
Le postulat de la réussite est qu'une fois les dès jetés et le pion placé sur la case 'Départ', le chef d'entreprise doit avoir préparé minutieusement le déploiement de la cession ou de la transmission.
Que les acquéreurs soient des tiers, hors du cercle familial, ou des membres de la famille, un plan de cession ou de transmission, selon le cas, doit être préparé. La préparation concerne autant les aspects techniques de l'évaluation que ceux de l'acte de cession, avec en amont un état esprit favorable au projet de cession. Ce dernier élément manque très souvent, d'autant que les situations qui conduisent à la décision de cession peuvent survenir de manière inattendue, telle une faillite, des difficultés financières ou une volonté de partage de patrimoine hâtive. La transmission d'entreprise est un acte social non seulement au sens du contrat de société, mais également au sens du maintien de l'activité avec ses conséquences sur l'environnement et notamment sur l'emploi. Les responsabilités, sociale et d'action sociale, sont encore plus présentes au moment où la décision de cession est prise. Le dirigeant a tout intérêt à prendre le recul nécessaire sur les tenants et les aboutissants d'une telle décision. La réalisation du 'pactole' de la cession ne doit pas être le seul centre d'attention, car il ne peut y avoir de cession réussie sans avoir intégré, dans le plan de cession, les aspects sociaux, juridiques, fiscaux et de ressources humaines.
Le cédant, souvent fondateur de l'entreprise doit, avant tout, s'être préparé psychologiquement pour isoler, des paramètres de la cession, la 'valeur affective' de l'entreprise.
Un raisonnement centré sur l'aspect sentimental, construit au gré des efforts et sacrifices, peut constituer un frein sérieux à la réalisation de la transaction, car à la table de négociation, l'acquéreur n'a pas cette dimension dans son schéma d'acquisition. Il peut la comprendre, mais il n'est pas disposé à en payer le prix. Le délestage du sentiment doit également être combiné à la projection de ce qui sera fait, une fois la cession réalisée. Dans ce cas, il s'agit de prendre des décisions sur des actions de placement ou d'investissement.
Le chef d'entreprise cédant ne doit pas négliger son accompagnement nécessaire par des professionnels comme les avocats, les notaires et les experts-comptables.
Encore faut-il être bien accompagné
En effet, la compétence et le talent des différents professionnels ne sont pas les seuls garants d'un accompagnement efficace. La confiance est un facteur clé, car la pratique montre hélas ! qu'il s'agisse de grands ou moins grands cabinets, que les expertises en matière de cession d'entreprises sont trop souvent alignées avec un parti pris pour le mandant avec, dans certains cas, une atteinte flagrante à l'indépendance.
Ainsi, ceux travaillant pour le cédant auront tendance à développer les arguments d'un prix de cession élevé et ceux mandatés par les acquéreurs à identifier le maximum de points réducteurs de la valeur de l'entreprise. La situation est encore plus délicate lorsque le professionnel expert est choisi pour accompagner les deux parties : l'acheteur et le vendeur.
La recherche d'une transaction efficace est souvent à l'origine de ce choix, mais la moralité de l'évaluateur et des autres professionnels est fondamentale.
Les exemples en Algérie ne manquent pas où des évaluateurs se sont mis sur les rangs d'un mandant, notamment les acquéreurs membres de groupes multinationaux assistés de cabinets internationaux, sacrifiant tout principe d'éthique pour l'éviction d'une 'cible' et l'accaparement d'un marché.
La récente obligation d'un actionnariat résident majoritaire est un élément protecteur, mais qui n'aura pas empêché, avant son institution, des marques internationales de bousculer des enseignes locales ou encore d'aider à la conclusion de cessions avec des valeurs bien en deçà de ce que le bon sens d'un chef d'entreprise aurait accepté en 'bon père de famille'.
Le chef d'entreprise a tout intérêt à avoir la meilleure maîtrise des variables du prix de cession ou des composants de la transmission à ses successeurs ou acquéreurs.
Le Chef d'Entreprise doit optimiser la valeur de son entreprise
Il ne s'agit pas d'amener la valeur à la hausse, par l'attache sentimentale ou par la simple volonté d'une spéculation, mais plutôt de prévoir tous les éléments garantissant la viabilité de l'entreprise et sa profitabilité.
Si des restructurations doivent être entreprises autant qu'elles soient conduites avant la cession, surtout si elles sont de nature à améliorer la profitabilité ou à réduire le risque de perte, sans pour autant qu'elles ne constituent un frein de développement pour le futur acquéreur.
Ces actions doivent notamment porter sur la gestion de la marque et de sa protection, la qualité des équipements, la maîtrise des process de fabrication, la qualité des créances et l'aptitude de l'entreprise à avoir une capacité de financement utile.
D'une manière générale, le Chef d'Entreprise cédant devra optimiser chacun des facteurs, en rapport avec les méthodes d'évaluation les plus courantes.
Ainsi dans le cadre de la méthode de l'actif net corrigé, le Chef d'Entreprise s'attachera à identifier les éléments réducteurs de valeur et à agir sur leur amélioration, voire à constater les provisions de pertes de valeurs.
Pour les méthodes qui composent des aspects prévisionnels, comme dans le cas des flux de trésorerie prévisionnels, il devra s'attacher à s'assurer que les hypothèses de développement et de performance futurs sont réalistes et qu'elles ont déjà des prémisses dans les réalisations passées et dans les caractéristiques environnementales de l'entreprise.
Pour les méthodes qui intègrent le résultat, telles que l'évaluation par un multiple de résultat, le chef d'entreprise cédant aura tout intérêt à avoir la mesure la plus fiable du résultat et de sa comparaison logique avec les entreprises du même secteur.
Idéalement, le chef d'entreprise cédant devrait avoir une entité avec une organisation juridique adéquate, sans litige avec les associés existants, un historique et un plan d'investissement matériellement vérifiables, du personnel compétent maitrisant les process et une liquidité suffisante.
Le chef d'entreprise cédant est in fine responsable de la valeur
Dans la démarche de ce qui sera avancé en matière de justification de la valeur d'entreprise, le Chef d'Entreprise doit être capable de garantir la valeur attribuée à la transaction, surtout lorsqu'il d'agit d'une cession partielle ou totale à un tiers externe à la famille.
Cette garantie est souvent reprise dans le protocole d'accord qui formalise la volonté des parties de conclure la cession. Outre que le protocole précise les conditions de la cession et son calendrier, il intègre souvent la garantie d'actif et de passif.
Dans le cas des actifs, la garantie concerne la possible surévaluation des éléments d'actif ou la simple déclaration d'existence de biens qui s'avéreraient non disponibles lors de la prise de possession par l'acquéreur.
La garantie de passif traite des dettes non recensées qui pourraient se faire connaître après la conclusion de la cession. Le cas le plus courant est celui du passif fiscal lié aux redressements, issus de contrôles potentiels, pour les années non prescrites et dont le résultat imposable relève de la responsabilité du cédant. Le protocole doit préciser les bénéficiaires de la garantie. Dans la pratique le bénéfice de l'exécution des garanties peut revenir à l'acquéreur ou comme c'est souvent le cas à la société, objet de la transaction.
La durée de la garantie est forcément définie par libre convention entre les parties, car le cédant ne saurait être tenu responsable et solidaire indéfiniment. Dans la pratique la garantie porte sur les années non couvertes par la prescription fiscale avec un montant de garantie plafonné aux risques estimés.
Pour la matérialisation de la garantie, les parties conviennent généralement de loger en compte séquestre la contrevaleur de la garantie, retenue à partir du prix de la transaction, mais rien n'empêche que la garantie se mette en place au moyen de cautions bancaires.
Selon le cas, le chef d'entreprise cédant peut être amené à s'impliquer sur une période transitoire, ce qui renforce d'autant les garanties mises en place. La présence du chef d'entreprise en post-transaction est souhaitable dans les cas où le repreneur a besoin d'assistance, dans la maitrise de l'industrie et du marché, voire dans la recherche ou le maintien de financements. Cette situation se présentera souvent lorsque la crédibilité du cédant est de nature à garantir la pérennité d'affaires en raison de sa personnalité.
La location-gérance peut être une bonne formule en période transitoire de cession ou de transmission avec une gestion de l'exploitation assurée par le futur acquéreur, le cédant restant propriétaire de son entreprise, avec une cession adossée à une promesse de vente.
La cession conclue et réalisée, une nouvelle vie peut commencer
Rien n'est gagné, sauf à avoir dument prévu de ce qui sera fait du produit de la vente. Selon l'âge du chef d'entreprise cédant, les intentions de placement ou d'investissement seront différentes. Le produit net de la vente dépendra fortement des risques liés à la valeur de cession, notamment ceux qui peuvent grever les garanties, mais aussi de la fiscalité liée à la cession de valeurs mobilières. Idéalement le produit net de la cession devrait être suffisant pour permettre le lancement d'une nouvelle activité, avec un chef d'entreprise fort d'une ou de plusieurs réussites en entreprise.
En cas de transmission d'entreprise, par voie de donation à ses héritiers, le fondateur chef d'entreprise aura tout intérêt à s'assurer que la gestion de l'entreprise sera distincte de la gestion du patrimoine familial pour que l'entreprise familiale soit pérenne et à l'abri des conflits de famille présents ou futurs.
La cession ou la transmission d'entreprise n'est pas un exercice simple, ni un jeu. Elle peut aboutir à de lourdes conséquences, voire des pertes considérables de patrimoine.
Autant retenir la règle : s'y préparer, être bien accompagné, évaluer et être responsable. C'est l'effort supplémentaire avant une bonne retraite.

Samir Hadj-Ali. Expert-comptable


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