Il y a quelques
jours, j'ai retrouvé des photos de l'Hôtel du Parc de la ville d'Evian prises
le 26 avril 2008 lors d'une visite effectuée avec un couple d'amis venus
d'Alger. C'était un dimanche. Nous étions impatients de retrouver cet important
lieu et repère de notre Histoire et mémoire. Au bout d'une heure, après avoir
consulté une dizaine de personnes, pour arriver à destination, nous pûmes enfin
localiser «l'hôtel des Accords d'Évian» alors que nous nous trouvions à
quelques centaines de mètres à peine. La plupart des personnes rencontrées, y
compris des locataires de la résidence, ignoraient totalement les évènements
abrités par cet hôtel, et jusqu'à son existence même. Ce fut notre première
surprise.
Emotions, mais
aussi tristesse et désillusion à notre arrivée sur les lieux: pas la moindre
trace de ce qui fût, entre le 20 mai 1961 et le 18 mars 1962, le théâtre du
terrible bras de fer qui opposa négociateurs Algériens et Français. Une
dimension insécable de notre Histoire, mais tout autant, et pour cause, de
l'Histoire de France, élaguée, gommée.
Situé avenue de
la Grotte, l'Hôtel du Parc avait été reconverti en résidence d'habitation
intégrée dans un cadre architectural dit «Complexe du Châtelet». Pas la moindre
empreinte des «Accords d'Évian», pas même une petite plaque, indication ou
trace sur la façade pour fixer ce lieu de mémoire nationale, et d'une Histoire
commune aux deux nations. Symboliquement radiée de sa dimension historique,
cette grande et belle bâtisse qui a cristallisé l'épilogue de 132 ans de
résistance à l'occupation, de combats pour la libération, d'une guerre
impitoyable et déshonorante menée contre le peuple Algérien pendant près de
huit ans. Guerre qui n'en portait pas encore le nom pour la partie française.
Totalement «enseveli», enfin, ce lieu de mémoire et d'histoire qui abrita un
moment fondateur, celui de l'indépendance de l'Algérie et de l'émergence dans
le concert des nations d'un peuple de citoyens jusque là traités comme des
sous-hommes. Qu'est-ce cela sinon une faute à l'égard des Algériens et un
manquement à la mémoire historique. Faut-il parler de faute et de manquement de
la France à l'égard de son Histoire et de sa mémoire lorsque des historiens de
l'Hexagone se demandent si «l'amnésie nationale est une spécificité française»?
Dissimuler,
occulter, minorer ou travestir des pans entiers de son passé c'est chercher
vainement à ruser avec l'histoire. A Évian, l'hôtel du Par et les «Accord»
n'ont pas complètement disparu. Deux plaques commémoratives y font allusion -
l'une à la mairie, l'autre à l'hôpital. Elles rappellent l'assassinat du maire
de la ville perpétré le 31 mars 1961, moins de deux mois avant «Évian 1», en
ces termes :
«A la mémoire de
Camille Blanc, maire d'Evian, victime d'un attentat de l'O.A.S. le 31 mars 1961
alors que le gouvernement français entreprenait des pourparlers de paix avec le
Gouvernement Provisoire de la République Algérienne à l'hôtel du Parc. Un an
plus tard, le 18 mars 1962, les accords d'Evian mettaient un terme à la guerre
d'Algérie».
Il reste que
l'hôtel du Parc», ne figure ni dans le patrimoine historique de la ville, ni
dans ses annuaires touristiques. Est-ce là une vision sélective de l'Histoire
et des lieux de mémoire. Cette bâtisse devrait être pourtant un lieu hautement
historique pour la France et il est étrange que l'État français, si prompt au
classement, à la préservation, et à la réhabilitation historique de son patrimoine
industriel et architectural — mines, forges, usines, et jusqu'aux écuries
royales - n'ait pas songé à le faire pour ce lieu de mémoire fondateur d'une
nouvelle histoire, celle du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et d'une
nouvelle relation entre deux peuples et deux États souverains. Cette situation
traduit-elle une volonté délibérée d'effacer, d'enfouir un passé peu glorieux
pour le prestige français? Découle-t-elle d'un «devoir de l'amnésie»? Nous
aimerions en douter, puisque l'Etat français n'a pas hésité, se grandissant
ainsi, sur le tard il est vrai, à mettre en visibilité et protéger les lieux de
mémoire de ses forfaitures (Drancy, Vel'd'Hiv, Mont Valérien, etc.), comme
Jacques Chirac l'a solennellement reconnu le 16 juillet 1996, lors de la
commémoration de la rafle du Vel'd'Hiv. Or les accords d'Evian participent d'un
processus éminemment positif dans l'histoire des peuples anciennement
colonisés.
Cette censure -
outre l'injure et l'affront faits aux négociateurs Algériens, et par ricochet
aux Français, et à l'Histoire universelle - mutile les générations présentes et
futures des deux pays d'une dimension de leur identité nationale. Mutilation
également pour ces jeunes générations nées et vivants en France, avec
l'immigration en héritage, victimes de la violence symbolique de l'impératif
d'intégration, sans cesse répété, sans cesse récusé. Des jeunes qui tentent de
recoudre leur mémoire déchirée, de restituer le destin du père et du grand
père, en un mot d'inscrire et de reconstruire une filiation et une identité,
sur les modèles de la société où ils vivent, en pleine connaissance de leur
histoire. Comme cet hôtel du Parc en déshérence, d'autres lieux de mémoire pour
cette jeunesse ont disparu. Contentons-nous de citer les lieux de passage et de
séjour imposés à leurs parents tel le camp Lyautey (Marseille) ou étaient
cantonnés-contenus les travailleurs Algériens au lendemain de la guerre
1914-1918. Mais aussi les lieux de triage comme l'île du Frioul, où, par vague
de 300, étaient mis en quarantaine les travailleurs coloniaux avant d'être
débarqués à Marseille. Trois jours sur l'île pour être vaccinés et
«désinfectés», en fait pour un épouillage et une douche. Détruite également la
gare maritime de Marseille avec le projet Euro Méditerranée. Plus de traces pas
même une plaque de ce lieu toujours présent dans la mémoire de l'immigration.
S'agissant d'Évian, ne cachons pas que durant les premières années de
l'Indépendance le contenu des Accords a prêté en Algérie à débats, controverses
et affrontements - jusqu'à les mettre sous le boisseau- entre les dirigeants
Algériens et nombre d'acteurs de la guerre de libération nationale.
Aujourd'hui, alors que ressentiments et haines s'apaisent et que l'écriture de
l'Histoire est une disposition constitutionnelle, aucune parcelle de celle-ci
ne doit et ne peut-être occultée, car elle est constitutive, dans sa totalité,
d'un socle commun, qui est au fondement et à la pérennité de l'Algérie en tant
qu'État nation. Fêté depuis plusieurs années comme le jour de la victoire -
Youm Ennasr - le 19 mars unit plus qu'il ne divise aujourd'hui.
On peut regretter
que l'Algérie n'ait pas acquis cet hôtel pour en faire une «Fondation des
Accords d'Évian», un musée ou encore une annexe du Centre culturel algérien de
Paris par exemple. Mais qui peut le plus peut le moins et il est encore temps
de faire le minimum dans la perspective de la célébration du Cinquantenaire de
l'Indépendance de notre pays: apposer sur l'ex-hôtel du Parc une plaque
commémorative et explicative de l'importance et de la portée de ce moment
historique pour l'Algérie, mais également pour la France, et donner, en commun,
à l'avenue de la Grotte ou à l'esplanade - où atterrissaient les hélicoptères
transportant les négociateurs algériens - le nom des «Accords d'Evian».
Oui, c'est bien
là le minimum dans un climat politique ou «l'éloge de la colonisation est de
retour» et ou se banalise l'érection de monuments et de stèles en hommage aux
tueurs de l'OAS et «aux combattants tombés pour que vive l'Algérie française».
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Posté Le : 21/04/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Youcef Hadj Ali
Source : www.lequotidien-oran.com