Algérie

Enfance



Enfance
«On est de son enfance comme on est d'un pays.» Antoine de Saint-ExupéryC'est toujours avec beaucoup d'émotion que l'on retrouve «le pays où l'on n'arrive jamais», c'est-à-dire le décor où a fleuri sa tendre enfance. Je veux parler du village natal. C'était vraiment un petit village de montagne comme il en existe un peu partout dans le monde, bâti à flanc de colline, il était dominé par une imposante montagne qui lui portait ombrage, lui dispensait une fraîcheur et une humidité apaisantes par les chaudes journées d'été, quand tout le monde se terre chez soi à l'abri des rayons brûlants du soleil.La montagne, rocheuse par endroits et herbue sur la majeure partie de ses pentes abruptes, servait de repaire aux corbeaux.Ceux-ci sortaient, dès le matin, et se dirigeaient vers la plaine où serpente mollement une rivière capricieuse, à la recherche de quelque charogne.Le soir, presque au coucher du soleil qui éclairait de sa lumière rougeoyante les parois rocheuses de la montagne, les corbeaux effectuaient dans le ciel un ballet compliqué ponctué par des croassements disgracieux. Mais la montagne, véritable château d'eau, offrait au village, niché à ses pieds, un trésor inestimable qui faisait sa renommée dans toute la région et même au-delà, une réputation méritée de village aux cent sources tant l'eau jaillissait à profusion là où on se donnait la peine d'y gratter un petit peu.Une multitude de sources aux noms traditionnels servaient de repères aux autochtones pour nommer les divers lieux. D'ailleurs, les autochtones, ceux qui connaissent un peu l'histoire de leur famille, ne revendiquaient jamais une origine locale: ils venaient tous de l'Est, de l'Ouest, du Sud, par-delà les montagnes, ou du Nord, du littoral. Tous étaient venus chercher un refuge dans ce cul-de-sac qui ne menait nulle part. Ils s'étaient arrêtés là, y avaient trouvé l'eau, denrée précieuse ailleurs, avaient bâti de modestes demeures en pisé ou en branchages autour des fontaines principales. Ils avaient trouvé la paix et les moyens de vivre. D'ailleurs, tous les écrits, toutes les archives l'attestent, ce village prodiguait un niveau de vie supérieur à tous ceux de la région. Des champs d'oliviers, de figuiers, des jardins potagers délimités par des haies de grenadiers ou de sureaux formaient un nid touffu à ces maisons aux tuiles romaines.Une petite place publique dominée par un immense frêne séculaire limitait le village à sa partie supérieure.Le frêne plongeait ses puissantes racines dans les filets d'eau qui se dispersaient à travers les environs. Son exubérance atteste de l'abondance du précieux liquide: d'ailleurs, les Romains avaient construit leur fort, dernier rempart du «limes», un peu plus haut et avaient capté les cours d'eau souterrains, dévié le cours du torrent qui dévale au pied de la montagne, pour faire tourner les moulins à eau édifiés à même le torrent.C'est une preuve que les cultures céréalières étaient abondantes car les moulins à eau étaient nombreux.Cette richesse était attestée aussi par l'existence de mausolées de nombreux marabouts qui avaient trouvé là un terrain fertile pour exercer leur sacerdoce: celui-ci était réputé pour avoir mis un terme, en qualité d'arbitre, à une sanglante vendetta entre deux familles qui se disputaient la suprématie sur le village.C'est le marabout le plus présent puisqu'il est situé sur la place du village, et c'est le moins visité, car il n'a accompli le miracle de la paix que deux fois dans sa longue existence faite de sagesse.C'est le moins sollicité et le moins visité car il est toujours là, témoin incontournable, à l'ombre du frêne tutélaire, des nombreux événements qui avaient secoué ce village paisible endormi au flanc de la montagne aux corbeaux. L'immense frêne a aujourd'hui perdu ses branches, une partie de son tronc est crevassée et la place qui jadis paraissait immense pour nos yeux d'enfants est devenue exiguë, ridicule. On quitte alors le village avec la satisfaction d'avoir retrouvé les amis d'enfance, mais surtout avec le sentiment que ce cul-de-sac n'est plus le nombril du monde.




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