Ambassade du Bahreïn à Paris pour bien souligner le caractère de tirs
groupés, mise au point tonitruante, débarquement
d'alliés. Il ne manquait plus, hier, en réponse à l'indignation du chroniqueur,
qu'un bataillon du «bouclier de la péninsule» envoyé par les Saoudiens. L'ambassade
y confirme qu'une poétesse Bahreïni a été arrêtée parce qu'elle a dit un poème
contre la monarchie et Yasmina Khadra ajoute qu'elle
a présenté ses excuses à la télé du Roi (sachant ce que valent les excuses
télévisées sous les dictatures). Pour les autres morts de la place de la Perle, et bien ils sont
morts. On aurait pu s'arrêter au comique de la situation d'un écrivain de
talent qui explique qu'il va au Royaume des Al Khalifa pour faire ce qu'il ne
fait pas dans son pays : libérer des prisonniers, enquêter sur des atteintes
aux droits de l'homme, rétablir la vérité et demander des grâces. Sauf que la
lecture de la réponse Khadra est intéressante du
point de vue de la psychologie : s'y confirme cet étrange paradoxe entre un
écrivain doué et un personnage qui bascule sans effort dans la paranoïa devenue
naturelle. Tout ce que vous pouvez dire de Khadra à Khadra, il le prendra pour une attaque personnelle, une
traîtrise et une jalousie. Le vocable de ses réponses aux «détracteurs»
ressemble d'ailleurs aux pires paroliers des chanteurs Raï : on y retrouve le
mauvais Å“il, la dénonciation des «jaloux», la plainte et la solitude de
l'incompris.
Khadra croit que l'amitié est une forme d'allégeance et croit que toute
critique de son Å“uvre est la preuve qu'on le jalouse. En Algérie, comme
ailleurs, le personnage reste admiré pour son talent mais fait rire à propos de
ses croisades de ventilateurs. On aime le lire mais sa course à la
reconnaissance est devenue agaçante. Il est devenu impossible de parler de cet
homme et de son Å“uvre sans qu'il vous charge et vous pend haut et court. Dans
les milieux de presse ou du monde de l'édition, rares sont ceux qui n'ont pas
eu droit à «sa réponse» systématique, dénonçant la jalousie et l'Å“il des
envieux. Khadra entend des coups de feu partout, voit
bouger les buissons comme à l'époque de la guerre et soupçonne de traîtrise
tout ceux qui disent non à son délire. C'est une guerre de libération
personnelle contre un ennemi qui n'a jamais existé.
Pour la réponse d'hier, le chroniqueur est encore étonné par sa violence
et sa grossièreté et sa méchanceté disproportionnée. On y est presque forcé de
croire que Khadra répond à un cauchemar personnel, un
ennemi intime et pas à une critique. Les mots y sont grossiers, les
explications oiseuses et le procès du chroniqueur d'une rare violence. L'exercice
de liberté est donc impensable dans l'univers de cet écrivain : on y a droit à
deux postures : le garde-à-vous ou le procès. Dire ce que l'on pense dans sa
proximité est le signe d'une trahison. Ecrire que cet homme a tort est la
preuve d'une embuscade. L'attitude de cet homme fait rire en Algérie mais peu
osent le lui dire en face. C'est ce qu'a fait le chroniqueur au nom d'une
ancienne amitié qui ne doit pas être confondue avec basse allégeance. Le
chroniqueur ne croit pas à l'immunité qu'impose le copinage. Il s'est donné
cette liberté de parler du pays et des siens sans recourir à l'insulte, à la
haine ou au compromis. Une liberté que Khadra
n'arrive pas à concevoir, ni à admettre, ni à imaginer : enfant d'une sévérité
mutilante, il continue de confondre guérilla et critique, livres et victoires
militaires, médailles et talent. Le chroniqueur, dans son indignation à propos
de cet écrivain, a essayé de garder la mesure et les bonnes manières et
d'expliquer qu'il s'agit d'un devoir que d'attirer le regard d'un homme sur le
risque du comique de sa posture. Le chroniqueur a usé de la phrase la plus
neutre et de la mesure la plus proche de la justesse pour parler de cet homme, sachant
qu'il allait se heurter à une susceptibilité légendaire et à une violence
habituelle chez cet homme qui ne conçoit ni la liberté des autres, ni leur
libre critique, ni leur indépendance en dehors de son univers ou contre son
univers. Cela n'a servi à rien. Si vous dites du bien de Khadra,
Yasmina en sera jaloux. C'est un univers clos. On ne remerciera peut-être
jamais les divinités d'avoir fait en sorte que les personnages de Khadra sont meilleurs que sa personne. Si tous lui
ressemblaient, on aurait eu droit à quelques bons «livres verts» à lire sous la
menace et pas à de bons romans. Mais passons. Il faut remercier aussi le destin
: avec un président pareil, le chroniqueur aurait pourri dans les prisons du
pays pour une seule chronique.
Monsieur Khadra, réveillez-vous donc : arrêtez
de courir après les prix, arrêtez de croire que personne ne vous aime, arrêtez
de promener cette haine de soi par le biais de la méfiance envers vos
compatriotes. Acceptez la liberté des autres, leurs efforts et leurs
différences. Essayez de ne pas être le centre du monde et votre monde deviendra
plus grand. Le chroniqueur dit ce qu'il pense et l'écrit. Sur vous, vos
employeurs ou vos «maîtres», pour reprendre votre lexique féodal. Cette liberté,
ce n'est pas vous qui la lui enlèverez : il n'y a pas de dictature en
littérature, pas de casernes. Ce bout de papier, comme vous écrivez, est un
bout du pays. Et cessez, enfin, de vous plaindre : vous excellez tellement dans
les chagrins imaginaires que peut-être vous devriez vous intéresser à écrire
des chansons d'amours passables. Vos explications sur votre voyage au Bahreïn
ne tiennent pas la route, et vous le savez. Vous vous battez pour la vérité au
Bahreïn ? Revenez donc au pays et faites-le ici où il y a des harcelés, des
immolés et des battus : on cotisera tous, peuples et pauvres pour vous offrir un
prix. Vous les aimez tant ! Pour le reste, le chroniqueur refuse toutes les
dictatures militaires ou pas. Le pays est libre, l'armée ne fait plus de
politique officiellement. Elle ne fait donc pas de la littérature. Vous êtes un
civil depuis des années Monsieur Khadra, détendez-vous.
Pour le reste, prenez un peu de la hauteur : l'histoire des pays arabes est en
train d'être faite par des gens qui meurent, des sacrifiés, des jeunes et des
hommes de courage. Choisissez votre camp et surtout votre mesure : c'est un
Royaume pour les humbles et pas pour les vaniteux. Allez au Bahreïn des Al khalifa, nous, on attendra de le visiter quand il n'y aura
plus d'apartheid.
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Posté Le : 29/06/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Kamel Daoud
Source : www.lequotidien-oran.com