Algérie

Encerclés par le silence



Il y a d'abord l'horreur des faits : un étudiant qui tue àcoups de couteau son enseignant dans l'enceinte universitaire. Mostaganem auraeu l'atroce privilège d'avoir inauguré le recours à l'acte extrême, celui quijusqu'ici semblait impensable. Pourquoi l'assassin présumé a-t-il versé dansune telle extrémité, cela est désormais une affaire de police et de justice.

Il reste, au-delà du geste malade et criminel, às'interroger sur l'état et le devenir d'une université où le nombre desétudiants, claironné comme une victoire, peine à masquer une dégradationvertigineuse des moeurs universitaires. Le respect de la vie humaine, cetabsolu, ayant été bafoué, est-il possible de continuer à taire ce que lesenseignants, les étudiants, les parents et l'administration savent ?

L'université ne se distingue plus de la rue, ni de la cohuegénéralisée. Elle ne se situe plus dans les hauteurs de l'excellence, elle estparfaitement insérée dans le désordre ambiant. Dans une violence ordinaire, banalisée...On s'y livre aux trafics, les notes se vendent, des enseignants sont menacés, agressés...L'université n'est plus un territoire balisé par les normes les plus élevées, parla hiérarchie du savoir. L'enceinte de la connaissance est ainsi une arèneparmi d'autres, le lieu d'un bras de fer permanent.

On reproche parfois à l'université d'être en dehors de laréalité quotidienne, on découvre qu'elle y est totalement immergée. De la moinsbonne des manières. Comme au dehors, quand les choses ne s'achètent pas, ellesse prennent, par la force éventuellement, par l'agression et la violence.

Tous les étudiants ne sont pas violents, tous lesenseignants ne sont pas des magouilleurs, mais il se passe à l'université, cequi se déroule hors de ses murs, une fatidique lassitude, un « à quoi bon » quia favorisé la dégradation. Ce qui prévaut est cette détestable logique d'omertaoù l'éthique élémentaire est enterrée. Un enseignant universitaire, pourtantloin de Mostaganem, nous faisait part hier de son sentiment d'être un peupartie prenante de ce drame.

« On connaît tous des choses peu acceptables sur despratiques de certains de nos pairs, sur la violence des étudiants, surl'administration, mais on se tait en croyant que c'est le moins mauvais deschoix. Mais quand un enseignant est tué par un étudiant, on comprend que setaire est justement le pire des choix, on comprend qu'il faut hurler, quitte àle faire tout seul ». Le problème est là. Le silence est le choix par défaut. Lesétudiants ne disent rien, les enseignants se taisent, les administrations nesont soucieuses que d'éviter les « problèmes » et plus prosaïquement d'empêchertoute information défavorable. Pas de vagues, messieurs, tout va bien !

Ainsi, tout le monde est encerclé par le silence, tous endeviennent victimes après en avoir été les auteurs passifs. Jusqu'à ce qu'ungeste dément vienne dévoiler que sous le silence général, des digues se sontrompues et que plus personne n'est protégé. L'université est malade du silencequ'elle s'est imposé et qu'on lui impose.

Non, pour son malheur, l'université ne se situe plus dansles hauteurs émérites où l'on songe au savoir, à la manière de l'acquérir ou dele transmettre... On a donné la mort à un homme dans l'enceinte de la science. Peut-onencore après cela continuer à faire silence sur la mort éthique et académiquede l'université ?




Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)