En mémoire de Jean El-Mouhoub Amrouche
« (…) Je ne suis pas un politique professionnel mais un intellectuel, perverti, fantaisiste, irresponsable et déchiré. C’est mon lot, ma part dans cette lutte. J’ai accepté une fois pour toutes d’être ce que je suis ; un témoin parmi d’autres qui a résolu de se soumettre à la loi de son état : dire ce qu’il croit vrai, le plus clairement possible, à tout prix, même si ce prix devait être le plus cruel : être dénoncé et rejeté par mes frères de souffrance et d’espoir. Je ne renierai jamais une culture et un langage qui sont profondément incorporés à moi-même pas plus que je ne renierai l’héritage de mes ancêtres.
Ma condition est celle d’un suspect : je le sais depuis que j’ai conscience d’exister. Si je combats, avec mes armes, pour l’indépendance du peuple algérien, pour que chaque Algérien ait une patrie en ce monde, ce n’est pas en dilettante, mais ce n’est pas non plus pour me tailler une place dans cette patrie.
J’ai toujours pensé qu’on le savait. Car, je l’ai dit. On ne m’a pas cru, on n’a pas voulu me comprendre. C’est dans la règle. Je n’en suis pas surpris. Cela ajoute seulement une note de tristesse à un déchirement fondamental qui peut bien faire sourire la belle jeunesse qui l’ignore. Ce déchirement, je ne m’en fais pas gloire. Il est en moi. Il est moi. Et sans doute est-il partagé par des milliers d’hommes coupés en deux, et qui se savent voués à un éternel exil.
Un mot pour finir : accepté dans la fraternité des miens ou rejeté, je ne déposerai pas mes armes, la parole d’un homme libre, tant que le peuple algérien n’aura pas conquis sa souveraineté ».
Jean El-Mouhouv Amrouche, mise au point adressée au directeur du journal l’Action (Tunis, 1958) / Photo d’illustration, Jean Amrouche avec Habib Bourguiba (assis), à Tunis, vers 1961.
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Posté Le : 20/03/2022
Posté par : imekhlef
Ecrit par : rachid imekhlef
Source : journal l’Action (Tunis, 1958)