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En ligne - Un classique éclaire le présent: Quand l’intime et l’actu s’entrechoquent sur Instagram


En ligne - Un classique éclaire le présent: Quand l’intime et l’actu s’entrechoquent sur Instagram

du mercredi 13 avril au mercredi 27 avril En ligne



Instagram est l’endroit parfait pour raconter une « histoire » en images.

La parole au philosophe !

Un classique éclaire le présent

Quand l’intime et l’actu s’entrechoquent sur Instagram



Instagram est l’endroit parfait pour raconter une « histoire » en images.



C’est le principe même d’une « story » : une fonctionnalité permettant de partager quotidiennement des fragments de vie sous forme de petits films ou de photographies. On pourrait donc penser que sur cette plateforme, « ma story », c’est « mon histoire à moi ». Pourtant, outre des publicités (que les utilisateurs du réseau ont entretemps l’habitude d’immédiatement identifier), il est devenu fréquent de voir des photographies de presse se mêler à des clichés strictement privés. Cela peut déboussoler : notamment lorsque la photo d’un ami les pieds en éventail sur une plage est précédée d’une image des taliban prenant l’Afghanistan, postée dans une seule et même « story » quelques heures plus tôt.



Quelles sont les conséquences de ce genre de télescopages ?

Le troisième réseau social le plus utilisé au monde doit-il se contenter d’être une vitrine de notre vie privée, ou peut-il être aussi et en même temps une fenêtre sur l’actualité ?

Roland Barthes nous éclaire depuis sa Chambre claire (1980).



Un lien entre moi et le monde.

En tant que gigantesque banque d’images, Instagram a certainement contribué à démocratiser encore plus avant l’information. En effet, le mélange entre le privé et le public que la plateforme opère à une échelle inédite permet à chacun de se sentir concerné aussi bien par ce qu’il se passe dans son cercle proche qu’en dehors de celui-ci. Dans La Chambre claire, Barthes expliquait justement à propos de la photographie (qui est au cœur du fonctionnement de ce réseau) qu’elle possède le pouvoir particulier de faire exister ce qui est loin de nous. « D’un corps réel qui était là, sont parties des radiations qui viennent me toucher moi qui suis ici », écrit-il pour saisir l’impression que suscite une photographie. Sur Instagram, où des clichés de l’autre bout du monde se mêlent à des photos de nos vies privées, nous pouvons voir concrètement que nous formons un réseau interconnecté. Comme le formule poétiquement le sémiologue, les photographies nous touchent donc personnellement, « comme les rayons différés d’une étoile ».



Une forme d’indécence.

Mais ce réseau de partage d’images renforce un autre pouvoir inhérent à la photographie, lui aussi souligné par Barthes : celui de « force(r) le regard ». Pour ce dernier, une photographie est un « certificat de présence », qui impose à chacun d’accepter le réel avec toute la violence qu’il peut charrier. Sauf que sur Instagram, des enchaînements pour le moins malencontreux peuvent se produire – comme par exemple lorsque des images de la crise sanitaire outre-mer se retrouvent intercalées entre deux photos de mojitos postées quelques heures plus tôt… Ces maladresses ne sont pas imputables aux utilisateurs mais au format même d’une « story », qui met toutes les images postées la même journée sur le même plan. Bien souvent, le réseau social, par son fonctionnement même d’indiscrimination du contenu (si ce n’est celle des algorithmes de visibilité, dont le secret du fonctionnement reste un enjeu commercial majeur pour la plateforme appartenant aujourd’hui à Facebook), expose la violence tout en frôlant l’indécence.



Le risque du mensonge.

Pour Barthes – qui ne connaissait pas les logiciels de retouche d’images – une photo « n’invente rien » et permet donc « l’authentification » d’un instant donné. « L’essence de la photographie » est donc selon lui « de ratifier ce qu’elle représente », de prouver que quelque chose a bien eu lieu. Mais pour que ce rôle de preuve soit effectif, encore faut-il que le contexte de la photographie soit indiqué, et que celle-ci ne soit pas déformée… Ce qui n’est pas toujours le cas sur un réseau où chacun peut relayer une image retouchée ou sortie de son contexte. Instagram renforce ainsi ce que Barthes appelle « la nature tendancieuse » des photographies qui peuvent mentir sur « le sens de(s) chose(s) ».



Une vitrine de soi ou une fenêtre sur le monde ?

Ce n’est pas un scoop : Instagram Instagram est l’endroit parfait pour raconter une « histoire » en images. C’est le principe même d’une « story » : une fonctionnalité permettant de partager quotidiennement des fragments de vie sous forme de petits films ou de photographies. On pourrait donc penser que sur cette plateforme, « ma story », c’est « mon histoire à moi ». Pourtant, outre des publicités (que les utilisateurs du réseau ont entretemps l’habitude d’immédiatement identifier), il est devenu fréquent de voir des photographies de presse se mêler à des clichés strictement privés. Cela peut déboussoler : notamment lorsque la photo d’un ami les pieds en éventail sur une plage est précédée d’une image des taliban prenant l’Afghanistan, postée dans une seule et même « story » quelques heures plus tôt.

Quelles sont les conséquences de ce genre de télescopages ?

Le troisième réseau social le plus utilisé au monde doit-il se contenter d’être une vitrine de notre vie privée, ou peut-il être aussi et en même temps une fenêtre sur l’actualité ?

Roland Barthes nous éclaire depuis sa Chambre claire (1980).



Un lien entre moi et le monde.

En tant que gigantesque banque d’images, Instagram a certainement contribué à démocratiser encore plus avant l’information. En effet, le mélange entre le privé et le public que la plateforme opère à une échelle inédite permet à chacun de se sentir concerné aussi bien par ce qu’il se passe dans son cercle proche qu’en dehors de celui-ci. Dans La Chambre claire, Barthes expliquait justement à propos de la photographie (qui est au cœur du fonctionnement de ce réseau) qu’elle possède le pouvoir particulier de faire exister ce qui est loin de nous. « D’un corps réel qui était là, sont parties des radiations qui viennent me toucher moi qui suis ici », écrit-il pour saisir l’impression que suscite une photographie. Sur Instagram, où des clichés de l’autre bout du monde se mêlent à des photos de nos vies privées, nous pouvons voir concrètement que nous formons un réseau interconnecté. Comme le formule poétiquement le sémiologue, les photographies nous touchent donc personnellement, « comme les rayons différés d’une étoile ».



Une forme d’indécence.

Mais ce réseau de partage d’images renforce un autre pouvoir inhérent à la photographie, lui aussi souligné par Barthes : celui de « force(r) le regard ». Pour ce dernier, une photographie est un « certificat de présence », qui impose à chacun d’accepter le réel avec toute la violence qu’il peut charrier. Sauf que sur Instagram, des enchaînements pour le moins malencontreux peuvent se produire – comme par exemple lorsque des images de la crise sanitaire outre-mer se retrouvent intercalées entre deux photos de mojitos postées quelques heures plus tôt… Ces maladresses ne sont pas imputables aux utilisateurs mais au format même d’une « story », qui met toutes les images postées la même journée sur le même plan. Bien souvent, le réseau social, par son fonctionnement même d’indiscrimination du contenu (si ce n’est celle des algorithmes de visibilité, dont le secret du fonctionnement reste un enjeu commercial majeur pour la plateforme appartenant aujourd’hui à Facebook), expose la violence tout en frôlant l’indécence.



Le risque du mensonge.

Pour Barthes – qui ne connaissait pas les logiciels de retouche d’images – une photo « n’invente rien » et permet donc « l’authentification » d’un instant donné. « L’essence de la photographie » est donc selon lui « de ratifier ce qu’elle représente », de prouver que quelque chose a bien eu lieu. Mais pour que ce rôle de preuve soit effectif, encore faut-il que le contexte de la photographie soit indiqué, et que celle-ci ne soit pas déformée… Ce qui n’est pas toujours le cas sur un réseau où chacun peut relayer une image retouchée ou sortie de son contexte. Instagram renforce ainsi ce que Barthes appelle « la nature tendancieuse » des photographies qui peuvent mentir sur « le sens de(s) chose(s) ».



Une vitrine de soi ou une fenêtre sur le monde ?

Ce n’est pas un scoop : Instagram est une façon de mettre notre propre vie en scène. Or en photographie, nous dit Barthes, « le pouvoir d’identification » doit primer sur « le pouvoir de la représentation ». Par là, comprendre que la photo doit être la capture fidèle d’un instant passé, non une mise en scène orchestrée pour faire passer un message. Avec Instagram, c’est précisément l’inverse qui se produit. La réalité nue compte souvent moins que l’opinion que nous formulons sous l’image. Dès lors, la photographie n’est plus un « certificat de présence », la preuve d’une réalité extérieure à nous, mais une manière de clamer haut et fort notre avis et notre existence. Le temps d’un post, nous devenons de petites stars : mais pour reprendre les mots de Barthes, c’est seulement notre propre étoile que nous voulons faire briller.

par Clara Degiovanni, Philosophie Magazine



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