du vendredi 30 juillet au mardi 17 août En ligne
Gallimard publie la correspondance entre les deux écrivains. On y découvre un respect mutuel et le rôle joué par André Malraux dans la finalisation de L'Étranger.
Nous sommes en mai 1941. André Malraux est au faîte de sa gloire. En 1933, il a déjà obtenu le Goncourt pour la Condition humaine, récit humaniste sur la lutte des communistes chinois contre Tchang Kaï-Chek. Avec André Gide, il est la grande figure de l'antifascisme français. Sa participation à la guerre d'Espagne aux côtés des Républicains et son engagement dans la résistance à partir de 1940 consolident son image d'intellectuel engagé.
Encore peu connu, le jeune Albert Camus est alors journaliste à l'Alger Républicain, puis à Paris Soir. Il admire énormément Malraux, le «maître de sa jeunesse» dont il a déjà adapté au théâtre le roman Le Temps du mépris. Sous l'égide de leur ami commun, Pascal Pia, les deux hommes se rencontrent une première fois en 1940. Une estime réciproque naît entre eux et se déploie peu à peu dans une correspondance qu'ils initient en mai 1941. Ces échanges épistolaires passionnants, la maison Gallimard les restitue dans un ouvrage à paraître ce mercredi 13 octobre.
«La scène du meurtre n'est pas aussi convaincante que l'ensemble du livre»
On y découvre notamment qu'au moment de la rédaction de l'Étranger, Malraux prodigue au jeune écrivain les précieux conseils qui lui permettront d'accoucher d'un chef-d'œuvre. Enthousiasmé par le travail de Camus, l'auteur de la Condition Humaine lui suggère toutefois d'atténuer les effets de cette «écriture blanche», évoqué plus tard par Roland Barthes dans Le degré zéro de l'écriture. «La phrase est un peu trop systématiquement: sujet, verbe complément, point. Par moments, ça tourne au procédé. Très facile à arranger en modifiant parfois la ponctuation», écrit ainsi Malraux qui demande également à l'écrivain de «travailler encore la scène avec l'aumônier» car, estime-t-il «ce n'est pas clair».
Il affirme encore que la fameuse scène du meurtre de l'arabe, acmé dramatique du roman d'Albert Camus, «n'est pas aussi convaincante que l'ensemble du livre.» (!).
«Je n'essaie pas de vous dire des choses intelligentes, ni du genre pénétrant, j'essaie de vous dire des choses utiles», insiste Malraux en reconnaissant qu'il pourrait avoir l'air d'un «pion». En novembre 1941, Camus répond directement au «cher Malraux». «Vous êtes parmi ceux dont j'ai souhaité l'approbation», écrit-il. Non seulement, il suivra les conseils de Malraux mais, en mars 1942, après la publication de son roman, il écrira à son ami Jean Grenier: «J'ai été servi par la chance et par mes amis ; Pia et Malraux ont tout fait.»
Il faut dire que l'écrivain a joué un rôle déterminant dans la publication de l'Étranger. C'est lui qui, le premier, attire l'attention de Gaston Gallimard sur la qualité exceptionnelle du roman. «Attention, ce sera un écrivain important», écrit-il ainsi, plein de flair, au pape de l'édition. Il conseille également à «Gaston» de rassembler l'Étranger et le Mythe de Sisyphe dans un ouvrage commun pour leur publication.
De l'estime réciproque plutôt que de l'amitié
Au fil du temps, les lettres nous montrent que les deux hommes passent «d'une amitié teintée de respect et d'admiration» à «une fidélité fondée sur l'estime», fait remarquer à l'AFP l'universitaire Sophie Doudet, spécialiste de l'œuvre de Malraux et de Camus. «Jamais leur correspondance n'atteint l'intimité, la complicité ni la chaleur que l'on décèle dans les lettres que Camus envoie à Louis Guilloux ou à René Char" rappelle Sophie Doudet qui note que «le ton est toujours cordial et le vouvoiement de rigueur». La faute probablement au gaullisme de Malraux et aux remous de la décolonisation, qui ne favorisent guère le rapprochement des deux écrivains.
En compétition pour le Nobel de littérature, qu'il obtiendra face à son ancien mentor en 1957, Albert Camus s'exclamera tout de même: «C'est Malraux qui aurait dû l'avoir!». L'élève avait dépassé le maître, mais savait se montrer reconnaissant.
Par Elena Scappaticci, Le Particulier et AFP agence
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Posté Le : 07/08/2021
Posté par : litteraturealgerie