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En ligne "Pourquoi il faut lire Rousseau aujourd'hui"


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du samedi 31 juillet au mardi 17 août En ligne



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Rousseau, il faut le lire aujourd'hui pour mieux comprendre le ferment politique qui gronde sur les ronds-points, et se méfier des discours qui valorisent les inégalités dites naturelles via le talent ou le mérite. Explications par deux philosophes spécialistes du Rousseau politique.



Voici au moins deux bonnes raisons de lire Jean-Jacques Rousseau aujourd'hui : mieux comprendre le ferment politique qui se joue sur les ronds-points, et se méfier des discours du "talent" ou du "mérite" qui approfondissent les inégalités.



Pour mieux comprendre le ferment politique des ronds-points



Bruno Bernardi, philosophe, spécialiste de l’histoire conceptuelle de la modernité politique et de la philosophie de J.-J. Rousseau : "Avec les lunettes de Rousseau, on voit quelque chose mieux quand on regarde les ronds-points. Il s’y restaure du commun sur la base d’un débat d’idées.



C’est intéressant, parce que ce ne sont pas des gens qui se retrouvent car ils vivent la même vie, ou qu’ils ont les mêmes intérêts. Ils viennent là pour échanger.



Il y a là comme un terreau, ou un point de départ, de ce qui peut être politique, dans un souci non pas de défendre un point de vue déjà fait, mais de constituer quelque chose qui est commun.



Il y a une analogie un peu osée que je prendrais : à son époque, il y a de grandes discussions à Genève où les bienpensants – à l’époque les bienpensants politiques, une aristocratie élective qui gouverne Genève, et bienpensants "moraux", religieux, les pasteurs genevois, qui s’insurgent contre la prolifération des cercles, c’est-à-dire de groupes privés où les gens se réunissaient. Ils disaient « ce sont des lieux d’inconduite. Ils boivent trop. Les femmes causent trop. » Ce sont donc des lieux d’immoralité, et de mise en cause, disaient les politiques, de l’autorité.



Et Rousseau leur répond : "oui, bien sûr, ils boivent un peu trop. Et alors ? Oui, les femmes parlent un peu trop. Et alors ? Qu’est-ce qu’on peut voir de mal à des gens, qui dit-il d’une formule extraordinaire "mettent leur misère en commun", et qui échangent dessus ?"



Au fond, ce qui s’exprime là, c’est le peuple au sens de ceux à qui on ne donne jamais la parole, là qui la prennent entre eux.



Et ce regard positif, je crois qu’il est constitutif du rapport que Rousseau entretient avec la société, et avec le fond de la politique."



Pour se méfier des discours inégalitaires



Céline Spector, philosophe, professeure à l’URF de Philosophie de Sorbonne Université : "Il faut vraiment lire Rousseau parce que c’est un grand penseur de la justice et de la justice sociale. Grâce à lui, nous savons que les privilèges de nos sociétés doivent toujours être démystifiés.



Aujourd’hui, les inégalités sont très développées, et à certains égards elles s’accroissent constamment. De ce point de vue, Rousseau nous permet de démystifier un certain type de discours naturaliste qui consiste à dire que les inégalités sociales répondent ou coïncident avec des inégalités naturelles. Que les hiérarchies sociales répondent à la hiérarchie des talents, ou à la hiérarchie du mérite. Et Rousseau nous apprend à être méfiant.



Je crois à la cordée. Il y a des femmes et des hommes qui réussissent dans la société, parce qu’ils ont des talents. Emmanuel Macron, 2017



C’est un discours qui a aussi été très important dans le cadre du libéralisme économique, avec l’idée selon laquelle si les inégalités se développent, tout le monde en profitera, le bien-être général augmentera. Et l’idée corrélative selon laquelle ce sont les meilleurs talents qui vont émerger et qui pourront permettre par leur mérite de profiter à tous.



L’impôt sur la fortune est une contribution de solidarité, pas une revanche contre les riches. Michel Rocard, 1988



Rousseau avait déjà cette idée selon laquelle le riche, parce qu’il naît dans une société qui protège sa propriété, parce que tout individu profite des acquis sociaux des générations précédentes, doit à la société quelque chose qu’il lui doit en retour le produit de sa dette.



Dans l’Emile, au livre IV, Rousseau évoque ce concept de dette sociale qui aura toute une postérité dans ce qu’on appelle la tradition solidariste en France, en particulier à la fin du XIXe siècle, une tradition très importante puisqu’elle est à l’origine de la loi sur l’impôt sur le revenu, l’impôt progressif sur le revenu. Et de ce point de vue, Rousseau est très important."



Par Camille Renard, france culture



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