Publié le 03.09.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
MERIEM GUEMACHE
A la mort du Prophète Mohammed le 8 juin 632, la course au pouvoir commence. Deux groupes se déchirent pour la succession : les Emigrants conduits par Abû Bakr et Umar et les Ansârs sous la houlette de Sa’d Ibn Ubâda.
Dans son livre intitulé Les Califes maudits. La déchirure, paru aux Editions Koukou, Hela Ouardi propose aux lecteurs de replonger dans les jours et les semaines ayant suivi la disparition du Prophète. Dans le préambule, l’écrivaine avertit : «Que le lecteur ne s’y trompe pas : récit ne veut pas dire fiction. Rien, absolument rien dans ce livre n’est inventé (...) Tout ce que j’ai trouvé existe bel et bien dans les sources les plus vénérées, mais est négligé par la mémoire collective. Les faits, les dialogues, tous les détails, jusqu’au portrait physique des protagonistes, sont exclusivement tirés de la littérature musulmane traditionnelle et canonique...».
A la saquîfa, les Ansârs sont en réunion pour désigner un nouveau chef. Le Prophète n’a laissé aucune consigne quant à sa succession, alors c’est le bras de fer entre les deux communautés : les Ansârs et les Emigrants issus de la tribu de Quraysh. «Les membres de la famille du Prophète, Ali notamment, se sont enfermés dans la chambre pour accomplir la toilette mortuaire et préparer les obsèques ; ils ne peuvent pas prendre part aux pourparlers politiques car pour eux, la priorité est aux funérailles.»
Après de nombreuses tractations et une ambiance très tendue, S’ad est écarté de la succession au profit d’Abû Bakr. «La rupture qui se manifeste dans le spectacle désolant de la saqîfa aurait pu dégénérer très vite en guerre civile n’eut été l’arrivée d’une nouvelle main de fer : celle, gantée de velours, du premier calife Abû Bakr, qui bientôt exportera la violence interne en la transformant en combat énergétique contre les ‘mécréants’ et autres apostats. Mais le spectre de la déchirure n’a jamais été conjuré ; il reste là tapi, à l’état larvaire. Il grandira d’une manière souterraine et éclatera vingt-quatre années plus tard dans une guerre qui divisera irréversiblement les musulmans entre sunnites et shî’ites.» Les musulmans prêtent allégeance à Abû Bakr. «Il s’agit là de ce que les rédacteurs de la Tradition appellent la ‘baya’a publique destinée à confirmer la bay’a improvisée — et plutôt chaotique — de la saquifa.
La candidature de Abu Bakr ne fait pas l’unanimité. Même son propre père Abû est étonné de ce choix. Quelques jours après l’investiture de Abu Bakr, de nombreux Ansâr expriment leur soutien à Ali, le cousin et gendre du Prophète.
Le richissime Abû Sufyân du clan des Umayyade, qui s’est converti tardivement à l’islam, réfute cette candidature. «Quand il apprend la nouvelle de la nomination d’Abû Bakr, Abû Sufyan est outré de voir celui qu’il surnomme par mépris ‘Abû Fassîl’ hériter d’une place qui devait revenir de droit aux clans les plus prestigieux de Quraysh (...) Le pouvoir doit rester dans le clan des Abd Manâf.»
Abû Bakr entame ses nouvelles fonctions avec appréhension. Il ne se sent pas en sécurité à Médine. «Durant les six premiers mois de son ‘‘règne’’, il n’y dort pas alors qu’il possède une maison mitoyenne à la mosquée. Il préfère se réfugier dans sa maison de Sunh. Il se rend à Médine à pied ou à cheval, y demeure toute la journée avant de repartir une fois terminée la prière du soir.»
Abû Bakr entre en conflit avec Fâtima, la fille du Prophète et épouse de Ali. Elle réclame l’héritage de son père, un domaine appelé Fadak, mais Abû Bakr lui oppose un non catégorique. «C’est ainsi qu’en ma qualité de successeur du Prophète, j’ai décidé que ses biens seraient désormais la propriété de tous les musulmans.»
L’héritage de la fille du Prophète est confisqué. «Il ne déshérite pas seulement Fâtima : les veuves du Prophète subissent le même sort. Quand elles lui envoient Uthmân ibn Affân pour réclamer leurs parts de l’héritage, le calife refuse, toujours au motif que ‘‘les prophètes ne laissent pas d’héritage’’.» Fâtima lancera une terrible malédiction aux futurs successeurs de son père.
La santé de Fâtima se dégrade. Alitée, elle trouve la mort, à 29 ans, quelques semaines après la mort de son père . Elle ne lui survivra pas, laissant derrière elle deux enfants : Hassan et Hussayn, les petits-fils du Prophète Mohammed.
Deux ans plus tard, le calife trépasse à son tour. Sa fille recueillera ses regrets aux derniers instants de sa vie. «Jusqu’à sa mort deux ans plus tard, Abû Bakr gardera secret ce lourd fardeau qui lui comprime la poitrine. Ce n’est qu’au moment de son agonie qu’il confiera à Â’icha les remords qui le rongent : ‘‘Je le regrette, ma fille, je le regrette. Je n’aurais jamais dû traiter Fâtima de la sorte’’.»
Cet ouvrage fait partie d’une trilogie. Trois volumes intitulés : Les derniers jours de Muhammad, Les Califes maudits. La déchirure, et les Califes maudits : A l’ombre des sabres, tous disponibles chez Koukou éditions.
Hela Ouardi est professeur de littérature et de civilisation française à l’université Manouba de Tunis, et chercheuse associée du Laboratoire d’études sur les monothéismes du CNRS à Paris.
Meriem Guemache
Les Califes maudits. La déchirure. Hela Ouardi. éditions Koukou. 2019. 233 p.1 200 DA.
MERIEM GUEMACHE
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Posté Le : 05/09/2024
Posté par : rachids