Algérie

En librairie POURQUOI LE PRINTEMPS ALGERIEN TARDE À VENIR, DE NACER DJABIOu comment décrypter un pouvoir sourd et une contestation muette



Et dire que l'Algérie aurait pu avoir droit, elle aussi, aux floraisons du Printemps arabe. En janvier 2011, quelques graines semées avaient germé. Aussitôt mort-nées. La déception est grande pour les jardiniers occidentaux et otaniens, eux qui sont passés maîtres dans l'art de la manipulation et de la publicité mensongère...
S'ensuit alors la question obsédante : mais pourquoi la greffe n'a pas pris ' Comment expliquer que la bouture n'a pu produire la nouvelle plante tant attendue par tous ces horticulteurs et primeuristes désireux d'une récolte précoce ' Parmi les intellectuels et chercheurs qui ont planché sur «l'exception algérienne», l'universitaire Nacer Djabi. Dans son dernier ouvrage en langue arabe, qui vient de paraître sous le titre Limadha taakhara errabie el-djazaïri(qu'on pourrait traduire par Pourquoi le printemps algérien tarde à venir), il propose certaines réponses aux interrogations des uns et des autres. Pour cela, il prend le soin de disséquer le corps social en développement en utilisant les instruments d'analyse de la sociologie politique. Globalement, ce sont les cinquante années de l'Algérie indépendante qui sont passées au scanner, sous divers aspects. Le livre est ainsi structuré en plusieurs chapitres contenant une série d'études consacrées notamment à la place des générations, l'exercice du pouvoir politique, le fonctionnement et le rôle des partis, la condition féminine, les élites, les mouvements sociaux, etc. L'ensemble permet, après lecture, de saisir véritablement le sens du titre de l'ouvrage (qui, du reste, peut prêter à équivoque) et surtout de mieux comprendre pourquoi, dans l'Algérie d'aujoud'hui, les choses ne se passent pas comme prévu et pourquoi le «système» est si rétif au changement, en particulier depuis le processus d'accélération induit par le Printemps arabe. Pour le sociologue, les premiers éléments de réponse sont à chercher du côté des générations d'Algériens post-indépendance et de l'alternance au pouvoir. Cela pourrait déjà donner un meilleur éclairage à «ce qui rend toute tentative de changement politique en Algérie si chèrement payée et n'aboutissant à rien en fin de compte, ou alors étant très loin des espérances et des résultats escomptés». Nacer Djabi propose donc un premier chapitre consacré à l'alternance (une délicate succession qu'il qualifie d'impasse) en relation avec trois générations d'Algériens bien distinctes. Il y a d'abord celle de la gérontocratie (les «tab j'nanou»), qui a pris le pouvoir à l'indépendance. Depuis, cette minorité s'accroche au pouvoir, refusant de passer le témoin à la deuxième génération, celle née juste avant ou après 1962 et qui est « la génération de l'indépendance et de l'édification nationale». Or, estime le sociologue, la génération aux commandes du pays devrait organiser son départ au profit de celle plus jeune, et ce, de manière pacifique et à moindres frais. Autrement, il y a risque d'affrontement avec la troisième génération (celle qu'il appelle «la génération des mouvements sociaux et des protestations»). Dans ce dernier cas, le processus peut déboucher sur une violente rupture générationnelle et avec des conséquences imprévisibles. Bien sûr, ce n'est là que l'un des scénarios envisagés par l'auteur qui, pour mieux établir son diagnostic sur l'état de santé du patient (l'Algérie en tant que pouvoir politique et société), n'hésite pas à anticiper son évolution future. A l'évidence, la situation de pourrissement actuelle et l'impasse devant laquelle s'est retrouvé le système politique exposent à des périls, quand bien même la culture politique algérienne, née de la colonisation, diffère de celle des pays arabes. Alors, imaginons un moment que la génération de ceux, plus nombreux et qui contestent tout, passe à l'action... Pour dire que l'Algérie n'est nullement à l'abri d'un «printemps» à venir (ce n'est pas une fatalité), la génération issue de l'échec de l'Etat-nation étant tellement complexe et imprévisible. Nacer Djabi construit et argumente ces scénarios d'évolution dans les études contenues dans les chapitres suivants, selon des angles d'approche et d'analyse variés. Il décortique la «singularité» algérienne dans nombre de domaines, notamment au niveau politique, et ce fameux centre de décision que constitue «le noyau militaro-sécuritaire» non comptable politiquement de ses actes. «La question de l'élaboration et de la prise de décision dans le système politique algérien explique d'ailleurs beaucoup de choses quant aux difficultés de changement», souligne le sociologue. Et de passer en revue (parfois au crible) la primauté du militaire sur le civil, la faiblesse de certaines institutions comme le Parlement, le gouvernement, les partis et les élites déficientes, la rente, la corruption, les élections «à la manière algérienne», etc. Il en ressort que, depuis cinquante ans, le noyau militarosécuritaire tire les ficelles comme un marionnettiste chevronné. Dans pareil théâtre d'ombres, les intellectuels, les partis et les syndicats sont parfaitement neutralisés. Quant aux difficultés d'émergence d'une élite féminine, malgré tous les progrès enregistrés par ailleurs, «cela est dû à la faiblesse des mouvements politiques et sociaux modernistes». En parallèle, relève Nacer Djabi, il y a le développement de la pensée et des pratiques conservatrices et religieuses. Cela n'empêche pas la femme algérienne, au demeurant réaliste et pragmatique, de vouloir étudier ou travailler, y compris lorsqu'on lui impose le hidjab. Dans la dernière partie du livre, celle consacrée aux mouvements sociaux, l'auteur souligne que les mouvements de contestation tous azimuts «se sont transformés en une sorte de sport national et sans qu'ils atteignent ou aboutissent à des revendications politiques». Ce qui lui fait remarquer non sans ironie : «A chaque fois nous sommes en face d'un mouvement muet en opposition à un système politique sourd.» Ces mouvements sont-ils l'expression de revendications socioéconomiques de jeunes chômeurs marginalisés, ou alors sont-ce les prémices d'un prochain mouvement politique pas encore identifié clairement, a fortiori non structué ni organisé de sorte à exprimer un programme politique intelligible ' Pour l'heure, c'est comme un volcan qui sommeille, l'énorme déficit en communication en direction des jeunes en mal de perspectives d'avenir ne faisant que creuser le fossé entre le petit monde des sourds et l'univers des muets.
Hocine T.
Nacer Djabi, Pourquoi le Printemps algérien tarde à venir, éditions Chihab, juillet 2012, 242 pages, 650 DA


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