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En librairie LE SUD-OUEST, BECHAR, D'AHMED LAGRAALa Saoura, une fois levé le couvercle...



Dans la conclusion de son ouvrage consacré à Béchar et sa région, Ahmed Lagraa rapporte cette anecdote. Plutôt un mot d'ordre scandé par des chômeurs qui manifestaient à Ouargla : «La vache est au sud mais le lait est au nord».
Et de rappeler, au début du livre, que Ouargla a le deuxième taux de chômage le plus élevé en Algérie. En la matière, c'est l'autre ville du Sud, Béchar, qui trône au sommet de ce triste hit-parade. Selon l'auteur, il serait alors plus juste d'appeler «Béchariens» ces oubliés de l'histoire et du développement. Cela fait d'ailleurs belle lurette que les Bécharis ne rient plus ! Une telle pointe d'humour sarcastique dit bien le désenchantement, les désillusions et l'inquiétude du lendemain. La problématique et la trame de l'ouvrage sont, on ne peut mieux, éclairés et mis en relief par ce trait satirique. Car Ahmed Lagraa ne se limite pas à revisiter l'histoire (ancienne et contemporaine), la géographie, l'ethnographie, la culture et la civilisation du Sud-Ouest algérien, il veut surtout donner à lire un travail de recherche aussi honnête et objectif que possible. Pour cela, il n'hésite pas à introduire des éléments d'information inédits, à dire certaines vérités qui choquent ou qui dérangent et à jalonner son récit de repères très utiles à la réflexion. Parfois, lorsqu'il dénonce certaines aberrations ou tire la sonnette d'alarme, c'est une autre façon de se projeter vers le futur. Sombre et orageux est d'ailleurs le sous-titre de son livre : «Du tumultueux passé au misérable avenir». Et c'est un enfant de Béchar qui apporte ici son témoignage, en tant qu'acteur de l'histoire, tout en invitant le lecteur à mieux connaître une ville et sa région comme frappées d'ostracisme. Pour cela, Ahmed Lagraa présente un solide CV : moudjahid, universitaire, ancien diplomate, pionnier de l'administration publique et auteur d'un précédent ouvrage dédié à Si Abdelkamel, chef de l'OCFLN, l'oublié de Béchar(c'est le titre) de ce livre édité à compte d'auteur). Par devoir de mémoire et pour combattre l'amnésie qui entoure le nom de Si Abdelkamel (son compagnon de lutte et une figure importante de la Révolution), il revient sur son parcours dans le présent ouvrage. Il n'oublie pas, non plus de rendre hommage à d'autre frères de combat qui, eux aussi, avait porté haut le flambeau de la révolution dans la région de Béchar. Mais il n'y a pas que cela dans Le Sud-Ouest, Béchar. De nombreuses et précieuses informations, une multitude de rappels et de repères historiques, géographiques, religieux, etc., sont proposées à la lecture et à la réflexion. C'est une monographie très détaillée, une véritable carte d'identité du Sud-Ouest et qui permet de beaucoup mieux comprendre le passé (et le présent) de la région. A commencer par cette évidence : la position stratégique de Béchar, qui explique la forte concentration d'effectifs militaires (y compris l'armée algérienne après l'indépendance) et le rôle important dévolu au chemin de fer durant la colonisation, les cheminots de l'OCFLN ayant eux-mêmes contribué à acheminer le courrier et l'argent. Il est utile de rappeler que Béchar n'a été occupée par les troupes coloniales que le 12 novembre 1903, alors que Tindouf n'est tombée que le 31 mars 1934. L'auteur souligne également combien Béchar a été de tout temps un carrefour de communications, un passage obligé des caravaniers et un lieu d'échanges commerciaux. Dans cette région de la Saoura se sont installées «différentes peuplades (...) de races différentes», dont Ahmed Lagraa livre une approche historique et sociologique très pertinente. Et ce, «pour bien comprendre certains événements qui se sont déroulés durant la lutte de Libération nationale ; comportements gênants, mettant mal à l'aise certains habitants du Sud- Ouest...» Il y a là les Berbères autochtones (amazigh et chleuhs), les tribus arabes, la population noire ou harratines et les juifs. Mais loin de former un véritable melting-pot, les différentes parties en présence restent divisées. Cela est dû essentiellement aux rivalités et antagonismes des tribus arabes (les Doui Menii, Ouled Djerir et Chéraga entre autres). Aujourd'hui encore, relève l'auteur, «cet antagonisme tribal étouffe la partie berbère autochtone et empêche la région d'entamer un processus de décollage économique», voire un essor aux plans social et culturel. Résultat, «dans le champ politique, les Berbères se sont pratiquement versés dans les partis dits islamiques, avec une poignée de Noirs, et les Arabes occupent totalement le terrain dans les partis dits démocratiques » (notamment le FLN et le RND). L'évocation des particularismes locaux, de l'histoire des uns et des autres, des us et coutumes, etc., aide ici à mieux comprendre le présent, mais surtout le passé récent, et ce, depuis la résistance au colonialisme (la révolte des Ouled Sid Cheikh, cheikh Bouamama...) jusqu'à la guerre d'indépendance, en passant par les étapes du mouvement nationaliste. Malgré la somme considérable d'informations qu'il nous donne à lire, l'auteur ne perd jamais le «nord», ce fameux fil conducteur qui le rattache à une écriture de l'histoire réellement objective. Quitte à aborder certains sujets qui fâchent ou considérés comme tabous. Par exemple lorsqu'il rappelle la position de certaines tribus (ou de leurs membres) favorables aux thèses marocaines avant le déclenchement du combat libérateur. Ou encore, «cet ostracisme qui a marqué profondément toute une génération de militants sincères et dévoués à la cause nationale et qui demeure jusqu'à présent mal vécu dans la région, s'agissant de la décision de l'ALN de faire éloigner des membres de l'ALN des maquis de la région en les mutant à l'intérieur du pays». Il y a aussi «le culte du secret» durant la guerre de Libération, dont les conséquences postindépendance sont désastreuses. Hélas, la médaille a son revers : «De nos jours, on ne sait plus qui a collaboré avec le colonialisme et qui a participé d'une manière réelle et constante à la libération de ce pays.» Et c'est un moudjahid qui parle ! A propos de l'indépendance confisquée, Ahmed Lagraa constate, amer et désabusé : «En mon âme et conscience, 50 ans après l'indépendance, j'observe que les moudjahidine sont plus nombreux actuellement que les simples cotisants durant la lutte de Libération nationale.» Ce qui explique, peut-être, que «personne n'a pensé à rapatrier la dépouille de feu cheikh Bouamama». Plus généralement, c'est même le Sud dans son ensemble qui est «oublié» depuis l'indépendance, souligne l'auteur à la fin de son ouvrage. Dans ce monde qui bouge, avertit-il, «le politique algérien a intérêt à se pencher sur les problèmes socioéconomiques qui se posent au Sud». Mieux vaut prévenir... Ne pas «attendre une agression extérieure qui mettrait en péril l'intégrité territoriale» de l'Algérie pour que nos dirigeants prennent enfin conscience des enjeux et des dangers.
Hocine T.
Ahmed Lagraa, Le Sud-Ouest, Béchar. Du tumultueux passé au misérable avenir, éditions Phenix-com 2011, 238 pages


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