Algérie

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Le dernier ouvrage d'Ahmed Lagraâ, Un idéal brisé, ou l'illusion paradisiaque de l'exil, raconte le vécu d'une famille algérienne émigrée. Cette fois encore, il s'agit d'une histoire vraie, basée sur des faits réels.Ahmed Lagraâ est un auteur discret et réservé, au style sobre. Son écriture dépouillée d'affection dénote de la mesure, de la simplicité. Il écrit court, ce qui exige de l'attention et de la rigueur, et cela donne des livres où la non-fiction est reine. Rapporter fidèlement des faits authentiques — son domaine de prédilection — ne lui laisse pas envisager l'écriture d'un roman par exemple. Mais peut-être attend-il le moment opportun ' L'autre particularité d'Ahmed Lagraâ, c'est de toujours éditer ses ouvrages à compte d'auteur. La formule a ses inconvénients aux plans de la conception formelle du produit, de l'impact sur le public... Il est certain, en tout cas, qu'un bon éditeur rendrait plus visible le travail méritoire de ce natif de Béchar, moudjahid, universitaire et ancien diplomate. Pour rappel, Ahmed Lagraâ a déjà publié six ouvrages : L'émigration algérienne en Belgique, aspects et considérations (essai) ; Si Abdelkamel, chef de l'OCFLN, l'oublié de Béchar ( il était le secrétaire du chef politique de Béchar durant la guerre de Libération nationale) ; Le Sud-Ouest, Béchar, du tumultueux passé au misérable avenir (essai) ; Quand l'ignorance gère l'intelligence ; Le destin tragique de Fatna ; Le défi de l'amour. L'exemple des trois derniers livres cités, Un idéal brisé, ou l'illusion paradisiaque de l'exil est un opuscule d'une centaine de pages, en format de poche. Dès l'avant-propos, le lecteur qui découvre pour la première fois Ahmed Lagraâ comprend combien l'histoire qui va suivre ne peut être qu'authentique. Un témoignage sur une famille émigrée que l'auteur a personnellement connue. Voici ce qui est écrit dans l'avant-propos : «Lors de mes séjours professionnels en Belgique, France, Maroc et Tunisie, l'essentiel de mon travail était focalisé sur le plan social. J'ai été amené à traiter, mais aussi à approfondir les âpres difficultés auxquelles était confrontée notre émigration. Il m'a été donné d'être tantôt le conseiller, tantôt le juge, l'arbitre, le représentant de la loi. Je me suis profondément attaché à cette émigration. Je l'ai servie avec amour, abnégation et sincérité. Preuve en est ; en France, dans le 93, Seine-Saint-Denis, j'ai habité la cité des Quatre mille à la Courneuve, au milieu des miens. Je n'ai jamais ressenti le moindre malaise ou regret. Mon véhicule neuf, de marque Audi, était stationné toutes les nuits au parking de la cité. Il n'a jamais fait l'objet d'une quelconque agression. Je fus et je reste l'unique agent de l'état, de rang de diplomate à avoir résidé parmi les siens. J'en suis très fier !» Autant dire que l'auteur connaît parfaitement l'environnement dans lequel il vit et fait évoluer ses personnages. En fin observateur, il accorde toute son attention au décor physique, au milieu social pour mieux saisir et comprendre leurs effets sur l'homme. A fortiori lorsqu'il s'agit de raconter l'exil, le déracinement, les problèmes d'identité et de culture, les conflits générationnels, les inévitables brassages, la situation complexe des binationaux, la condition de la femme et son évolution, le combat que chacun mène pour s'en sortir ou pour échapper au ghetto devenu étouffant... En procédant à un élagage maximum — grâce à des phrases courtes, à des mots simples et concrets et à l'intérêt humain qu'il privilégie dans le texte (un maximum de personnages différents et agissant chacun selon ses motivations) —, Ahmed Lagraâ donne à lire un récit dynamique, avec beaucoup de moments de crise et d'événements qui vont bouleverser la vie des personnages. Dans un tel resserrement dramatique, ce sont des événements banals en apparence, mais qui, par la suite, s'avèrent des tournants de la vie. Aussi, Un idéal brisé, ou l'illusion paradisiaque de l'exil décrit, en accéléré, l'évolution d'une famille entre une situation de départ et une situation d'arrivée. Après l'avant-propos, le lecteur entre vite et bien dans le récit, grâce à l'effet de réel. Cette histoire vraie s'ouvre sur la description d'une situation résumée en quelques lignes. Une situation bien curieuse et qui peut changer la vie d'au moins un des personnages : «Une famille algérienne, résidente à Nanterre, en région parisienne, a confié sa fille, âgée d'àpeine deux ans, à une Belge d'origine flamande. Celle-ci, accompagnée de son mari, a rencontré Hachemi inopinément à Paris, lors de son séjour. C'est un samedi après-midi.» Et comme pour souligner que ce n'est pas une blague belge, l'auteur (qui connaît bien le pays des Flamands et des Wallons) rappelle, aussitôt après, des éléments d'histoire, de géographie, de sociologie, notamment en ce qui concerne les caractéristiques des communautés d'origine étrangère établies en Belgique, dont les Marocains et les Algériens. Dans le court chapitre suivant, le lecteur apprend à se familiariser avec ce couple de Flamands «mariés depuis une trentaine d'années», sans enfant et mis au chômage suite à la délocalisation de l'usine où ils travaillaient comme ouvriers. Quant à Hachemi, il est «chef d'une famille nombreuse, installée en France durant la lutte de libération du pays. Il est uni à sa cousine du côté maternel. Son épouse n'a jamais travaillé. Elle baragouine la langue de Molière, apprise au contact de l'entourage et du voisinage français. Lui est allé à l'école jusqu'à la fin du primaire. Il a deux garçons et quatre filles. Sa femme est enceinte, pratiquement sur le point d'accoucher. Enfin, il est au chômage depuis presque une année. Il attend avec impatience sa mise à la retraite pour retourner à Biskra.» Hachemi invite le couple chez lui, à Nanterre. Les Flamands découvrent l'hospitalité algérienne, un mode de vie différent, une autre culture. Ils débarquent dans une autre planète, apparemment. C'est le début de relations suivies. La Belge est aux petits soins pour la dernière-née de la fratrie, Zaher- El-Belle, âgée de deux ans et qu'«elle surnomme sans difficulté, Isabelle». Elle propose de recueillir la petite chez elle, en Flandre, et de l'élever. Hachemi et sa femme Fatima acceptent l'offre de Christine, d'autant que rien n'est officialisé... En l'absence de dialogues, la lecture est encore plus rapide. Les personnages se révèlent par leurs actions et par leur réalité modeste, leur décor de vie au quotidien. Maintenant, ce sont «les circonstances de l'exil de Hachemi » qui participent au mouvement de l'intrigue. Retour sur sa naissance à Biskra, son départ pour la France à l'âge de 22 ans, en pleine guerre, son retour en Algérie «en septembre 1963 pour quinze jours de congé pour se marier avec Fatima, parente du côté maternel». Hachemi rentre en France avec sa femme ; il voit sa famille s'agrandir : naissance de Meriem, puis de Hayat, Nadia, Mohamed, Faà?çal, Samia, Isabelle et maintenant Djamila. La famille vit dans un appartement F5. Zoom sur le parcours de chacun des enfants. Mohamed a été exclu du collège, il a effectué son service militaire en Algérie où il a décidé de rester. Il travaille dans une société nationale, se marie, «achôte un terrain à Biskra et débute la construction» d'une maison. Hayat est étudiante, Nadia prépare son bac et Meriem se marie en Algérie à un cousin... Tous sont détenteurs de documents français. Les événements se précipitent. Faà?çal «effectue son service militaire en Allemagne dans le cadre de l'OTAN pour neuf mois seulement». Il a choisi la France car «l'Algérie est en pleine décennie rouge». La destabilisation familiale commença «àpartir de cette année-là , comme si le destin changea de trajectoire ». Ahmed Lagraâ exprime en profondeur cette évolution rapide. «Les coups durs (qui) commencent à pleuvoir sur la famille» : à cause du chômage, Faà?çal est parti en Algérie rejoindre les groupes terroristes ! Hayat prépare un troisième cycle, mais elle découche et finit par quitter le foyer familial... Et comme un malheur ne vient jamais seul ! Dans les dernières pages du livre, on retrouve Isabelle. Elle étudie à l'université flamande, vit en concubinage avec Lucien, un ouvrier avec qui elle aura un enfant prénommé Vincent. La conclusion («Retrouvailles familiales») est susceptible d'interprétations multiples, à plusieurs niveaux autour du mystère de la nature humaine. Le lecteur a toute liberté d'y réfléchir longuement.Hocine Tamou .....................Ahmed Lagraâ, Un idéal brisé, ou l'illusionparadisiaque de l'exil, récit édité àcompte d'auteur, année 2015, 110 pages
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