Installé en Italie depuis quinze ans, le réalisateur-producteur algérien, Ahmine Lemnaouer, nous parle des harragas sur lesquels il a tourné un documentaire diffusé dernièrement sur la chaîne italienne RAI 3.Liberté : Votre documentaire les Harragas de Annaba a été diffusé par la RAI 3 en février dernier. Quels échos avez-vous eus du côté italien ?
Ahmine Lemnaouer : Bien avant, ils étaient curieux d’en savoir plus sur ce qui se passe du côté algérien. Ce documentaire de 30 minutes est venu à point nommé pour eux. Ils conçoivent ce phénomène d’immigration clandestine comme une menace. Une de plus, dirai-je. Avant, la Sardaigne et ses harragas venant d’Annaba, il y avait l’île de Lampdusa qui était envahie régulièrement par ceux en provenance de Libye. Même les Algériens, en plus des Marocains et des Tunisiens, utilisaient cette filière. Annaba-la Sardaigne a surtout cassé les prix, et c’est ce qui fait encore plus peur aux gens du Nord.De quels prix parlez-vous ?
Tout simplement ce que coûte un voyage d’Annaba vers la Sardaigne sur une embarcation. Les 186 kilomètres de distance valent pour un harraga environ 10 millions de centimes. C’est carrément du low cost. Un tarif bien en dessous de celui pratiqué du côté libyen qui atteint jusqu’à 10 000 euros, soit 100 millions de centimes. C’est dire la différence. Avec ces prix et l’anarchie qui régnait au début, les Italiens devenaient de plus en plus craintifs. Lorsqu’il ne s’agissait que de la Libye, ils géraient plus ou moins bien la situation. Aussi, au cours de mes investigations, j’avais remarqué que ceux qui étaient arrêtés en Italie se présentaient souvent en tant qu’Algériens, même s’ils ne l’étaient pas. Ce sont surtout les Tunisiens et les Marocains qui le faisaient. Pourquoi ?
Parce que l’Algérie n’avait pas d’accord d’extradition avec l’Italie. Cependant, depuis la visite de Bouteflika en septembre 2007, tout a changé. Un accord a été signé entre les deux pays. Les harragas algériens arrêtés donnent, depuis, de fausses identités et surtout une fausse nationalité, dans l’espoir de ne pas être reconduits au pays. Vous avez rencontré des harragas en Algérie avant leur départ et aussi en Sardaigne après leur arrivée. Qu’est-ce qui vous a marqué en eux ?
À Annaba, certains me disaient “j’irai mendier et je sais qu’après je pourrai m’offrir une voiture”. C’est dire le degré d’idéalisation qu’ils avaient. Toutefois, je dois avouer qu’il y avait certains parmi eux qui avaient des arguments loin d’être farfelus. Tel ce jeune de Bab El-Oued qui m’a donné un véritable cours d’économie avec une simplicité déconcertante. Je l’ai rencontré en Sardaigne après qu’il eut embarqué d’Annaba, quelques semaines auparavant. Il m’a ainsi déclaré, sûr de lui, qu’avec un petit job en Sardaigne, il peut payer son loyer avec seulement trois jours de paie. Mais il ne faut pas oublier que beaucoup sont déçus. Malgré cela, ils ne veulent pas entendre parler d’un retour au pays. Ils recherchent encore leurs rêves qui, pour eux, ne peuvent se réaliser en Algérie. Le rêve continue pour eux, et c’est en France ou en Angleterre. Et comment vivent-ils en Italie ?
Ils sont mal vus, exploités et maltraités par certains Italiens. Il y a aussi l’islamophobie qui prend de grandes proportions là-bas. Pour eux, ces harragas sont des inconnus et ils n’hésitent pas à s’imaginer qu’il y a parmi eux des terroristes. L’aspect sécuritaire est loin d’être négligeable. Toutefois, je dois avouer que je suis surpris par la ténacité de ces jeunes. Beaucoup sont déçus, mais ils ne veulent plus retourner au pays. Pour eux, le rêve continue. Si ce n’est pas en Italie, c’est ailleurs en Europe ; en tout cas pas en Algérie.
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Posté Le : 01/06/2008
Posté par : sofiane
Ecrit par : SALIM KOUDIL
Source : www.liberte-algerie.com