A la fin du XIXe
siècle, les élites musulmanes avaient entrepris des réformes de la société, qui
se sont soldés par un échec général. Ils n'ont réussi qu'à faire passer la
société d'une organisation traditionnelle structurée autour du patriarcat, vers
une société néo-patriarcale, plutôt inévitablement subie que délibérément
choisie, car, tellement la pression de la modernité était exercée directement à
travers la pénétration coloniale.
Aujourd'hui,
c'est par la base que s'exprime la demande du changement, dans une rébellion
populaire radicale et sans précédent dans l'histoire du monde arabo musulman. Cette base populaire et à majorité jeune,
en ayant déjà intériorisé le multiculturalisme cosmopolitique dans une
confrontation indirecte, à travers son expérience des mondialisations en cours,
saura-t-elle donner une issue plus significative à cette transition ? Que celle
de ses aînés, qui s'annonce très compliquée à priori, tellement la société est
conservatrice.
Contexte général
: Marché mondial et consensus cosmopolitique
La mondialisation
économique est démocratique et se présente sous une forme de légalité
objective. Elle est indépendante et son enjeu, c'est la liberté, puisque son
territoire, c'est le monde. Ce mode de légitimation se base sur une
objectivité, l'indépendance des individus et des groupes qui doit être
respectée. C'est une légitimation à la généralisation du néo-libéralisme.
L'État lui-même devient de plus en plus néolibéral, c'est-à-dire il se
restreint lui-même pour montrer qu'il est le seul défenseur des libertés et en
même temps qu'il n'est plus celui qui impose ses dictâtes à l'évolution
économique. Ceci implique la fin du dirigisme et des responsabilités de l'État
providence de satisfaire les droits économiques en répondant aux besoins de
formation, de logements, de retraite et de soins de santé, etc. C'est cet État
néolibéral qui s'ajuste à un phénomène qui le dépasse et qui se légitime
lui-même à partir de cet état de choses qui le dépasse. Ce n'est plus
simplement le néolibéralisme national, américain du Nord par exemple, mais une
situation mondiale de faite qui se légitime elle-même et qui permet aux états
de légitimer leur désengagement à l'égard de la défense des conditions de vie,
parce qu'ils respectent la liberté des peuples et des individus d'y participer.
Il y a par conséquent un appauvrissement et des exclusions sociales. C'est le
risque du respect de la liberté. L'autre risque, c'est pire, c'est vouloir
empiéter sur les libertés.
La démocratie républicaine européenne ne tient
pas le coup dans ces conditions, elle est absorbée par cette mondialisation et
sa légitimation. Elle se légitime à son tour, en présentant toute régulation
sociale comme la conséquence logique des progrès d'homogénéisation du marché
mondiale et elle fait apparaître toute régulation sociale comme aussi objective
que le progrès scientifique et technique lui-même. L'expérimentation de l'homme
pour produire la meilleure relation sociale en la faisant apparaître comme
aussi objective que le progrès scientifique et technique. Mais en même temps
cette forme de régulation sociale est la conséquence logique des progrès
d'homogénéisation du marché mondial, qui apparaît comme le plus démocratique
possible, puisque tous les peuples ont le même droit d'accès au marché mondial
et, les régulations sociales sont des conséquences de cette homogénéisation du
marché, c'est-à-dire de cette privatisation monopolisation du monde.
Dans ce cas l'humanité des individus est
réduite à son harmonisation avec cette liberté négative de tous à l'égard de
tous, au sens ou l'emploi Jacques Poulain, avec tous les bénéfices que peut
donner le marché.
Cette idéologie
de l'émancipation, en tant que liberté négative va accompagner l'objectivité
des adaptations sociales bonnes ou mauvaises, ce qui est important, est
qu'elles se justifient technocratiquement,
c'est-à-dire reproduire une organisation qui ressemble aux organisations
mondialisées mais en même temps, on détruit les structures des équipements
sociales comme on eût détruit la scientificité des universités. La politique
scientifique devient une affaire d'administration, c'est l'entreprise
universitaire qui règle la politique scientifique. Toutes les institutions sont
adaptées positivement ou négativement à ce processus, y compris celles de la
culture. Tout ce qui peut arriver comme meilleur ou
pire, toute autre initiative sociale est un ajustement à ce processus et ce
sera un ajustement à un phénomène objectif qui est la mondialisation économique.
Le marché est présumé suivre les lois de
production du consensus parce que ce sont les offres qui répondent à une
demande, donc, c'est un processus de communication, et qui se valide en
s'établissant par la production des conditions de son existence. C'est une
interaction entre les formations économiques, les formations discursives et les
formations de production. Une interaction qui n'est réglée par personne, qui se
règle d'elle-même objectivement, exactement comme cela eût été l'intuition interprétative
de Michel Foucault.
Cette mondialisation donne au marché mondial
et au consensus cosmopolitique le rôle d'instances infaillibles, et cela malgré
les crises financières qui rythment régulièrement les crédits banquiers, et
bien que l'on joigne deux instances apparemment séparées que sont le marché et
le consensus.
La jointure dans cette instance, de celles du
marché et du consensus, fait régresser l'humanité par son aboutissement à cette
forme de liberté négative, bien que ça soit valorisée, et bien qu'elle soit
pensée comme incontournable. Elle fait régresser l'humanité dans la mesure où
ça revient à une forme d'institution en deçà de la forme d'institution
politique qui a été forgée dans l'idée de l'État providence et de souveraineté
à distribuer les droits, les devoirs et les biens. Jacques Poulain compare la
régulation sociale par l'État providence à celle de l'esprit des dieux
souverains organisant l'ordre du monde et l'ordre social qui fait suite à la
première crise de conscience de la puissance sociale sur la vie grâce à la
parole. Il inscrit cette évolution par rapport à la situation d'avant, où
dit-il, il y avait le totémisme pour empêcher l'inceste et bien avant encore,
il y avait les premières institutions que sont les rites de figuration, comme
les peintures et les sculptures rupestres du Tassili ou des grottes telles que
celle de Lascot, afin d'empêcher le meurtre
anthropophagique,
Avec la mondialisation aujourd'hui, on revient
au marché et au consensus sous l'aspect de la rationalité la plus établie. Ce
marché et ce consensus reviennent dans leur forme à ces rites de prédation liés
aux rites de figuration, et ça produit des sociétés très fragilisées, puisque
ont dissous l'institution de l'État, et l'on remet les relations les plus simples
à l'origine et au rôle d'instance de régulation.
La spéculation bancaire et les effets pervers
du néolibéralisme, en falsifiant cette « sacralisation » du consensus et du
marché, avec les crises financières à répétition, avec la mondialisation de
l'exclusion et de la paupérisation, ont amené les conditions à une prise de
conscience généralisée favorisant le réveil des « sans parts », au sens où
l'utilise Jacques Rancière dans sa traduction
philosophique de la crise sociale par la part des sans part. Cette situation de
crise crée les conditions pour qu'une opinion internationale et collective se réunissent sous la bannière d'un refus de ce néolibéralisme
cosmopolitique. Il n'existe nulle part des sociétés où se trouvent des indus
individus ou citoyens inutiles, les perdants ont partout une voix et les
populations arabes perdantes, celles de la Grèce, de l'Espagne, du Sénégal et de bien
d'autres pays encore, en sont l'expression directe, ils s'en ont servi contre
leurs autorités pour réclamer ce qui leur est naturellement dû.
Parmi les circonstances généralement évoquées
pour expliquer l'aggravation de cette falsification et les dérives du
néolibéralisme, celles, qui sont évoquées par Fernand Braudel, font l'objet
d'un large consensus autour d'elles. Fernand Braudel interprète l'histoire de
l'économie à l'aide d'une grille tripartite : à l'étage inférieur, une zone
au-dessous du marché ou « zone épaisse, au ras du sol ». À ce moment ! la production et les échanges n'entrent pas dans des
rapports marchands, plutôt dans une infra économie faite de trocs et d'échanges
informels de services. Un échange sans trace souvent sans facturation.
L'économie de marché au sens propre se situe à l'étage supérieur. C'est la
seule partie visible de l'économie, où s'opèrent les échanges marchands, fondé
sur des réalitées claires et transparentes. Au sommet
de la hiérarchie tripartite Fernand Braudel situe la partie qu'il considère
comme le « capitalisme » ou le « contre-marché », il
l'appelle aussi le « marché B », une autre zone d'opacité, située cette fois-ci
à l'étage supérieur, et bien distincte de l'économie de marché, par opposition
au « marché A » qu'il identifie à l'économie de marché. Les obscurs circuits du
« marché B » sont réservés à l'élite de la hiérarchie sociale « qui fausse
l'échange à leur profit, bousculent l'ordre établi (…), elles créent des
anomalies, des turbulences et conduisent leurs affaires par des voies très
particulières », c'est donc, un cercle restreint qui maîtrise le marché et le
manipule à son profit. C'est aussi ce que l'on qualifie généralement de noyau
dure de la corruption mondiale, et qui articule autour de son centre toutes les
corruptions locales. Voir à ce propos les conclusions de l'enquête sur le
sujet, par le juriste et spécialiste du blanchiment d'argent dans les rouages
des mondialisations Jean De Maillard dans Le rapport
censuré publié en 2004.
Deux diversions constantes sont mises à
l'Å“uvre par les élites dominantes pour manipuler les populations, la
concurrence étrangère, qui est un argument économiquement faux, et la
stigmatisation des populations étrangères établie dans le cadre d'une
immigration de travail. D'où une xénophobie qui se répond et se généralise à
tout bout de champ.
La guerre demeure la soupape la plus
vraisemblable lorsque les conflits sociaux deviennent insupportables. Sous
forme de guerres civiles contre des minorités ethniques ou des régions à qui on
attribue à tort la trahison de la nation.
Dans toute situation de crise non maîtrisable
de cette ampleur, la politique s'est toujours vue doublée par une autre
instance. Quand ce n'est pas l'économie, c'est le militaire, et quand c'est ni
l'un, ni l'autre, c'est la religion. Rétablir dans notre cas isolé, le primat
de la politique sur l'économie, sur le militaire et sur la religion, s'avère
être une solution des plus souhaitables.
Préjugés et
dialogue interculturel :
Le transculturel
L'évolution du
progrès technique et scientifique donne cette mondialisation ou il n'y a plus
qu'une instance qui fait consensus, puisque c'est une démocratisation qui
traverse tous les peuples. C'est dans cette situation de mondialisation
économique qu'est naît et s'est propagé le multiculturalisme comme
multiculturalisme cosmopolitique, qui est différent du multiculturalisme lié à
une nation particulière. Cette évolution introduit de ce faite, en tant que
support à la réalisation de cette mondialisation, cette autre instance
incontournable, le multiculturalisme cosmopolitique.
Le multiculturalisme cosmopolitique a
fonctionné jusqu'à ce jour sous la forme d'une ghettoïsation culturelle, ou
c'est la valorisation des cultures qui garantit apparemment l'autarcie des
individus et des peuples. C'est dans ce contexte de généralisation de cette
façon de ghettoïser le culturel dans un espace économique
que se propage le multiculturalisme respectueux de toutes les cultures quelles
qu'elles soient, du seul faite qu'elles existent comme incarnation de consensus
nationaux ou minoritaires, comme jugements sociaux et communautaires validés
par ces consensus. En somme des préjugés qui fond
consensus dans une communauté. Ces cultures imposent le respect parce qu'elles
existent quelque soit ce qu'elles affirment comme principe de vie. Elles sont
liées à une neutralisation du jugement en même temps que cette ghettoïsation du
jugement se fait par l'adoption des consensus nationaux et minoritaires. Ces
cultures sont pourtant aussi impuissantes que ces consensus à assurer la
maîtrise tellement désirée de l'homme par lui-même ainsi que la jouissance de
cette maîtrise comme bonheur culturel. Puisque l'on veut chercher une maîtrise
de l'homme, comme on voulût la maîtrise de la nature visible la science et la
technique, qui nous ont donné un certain degré de maîtrise de l'environnement
visible. Ici, la reconnaissance des individus en ces cultures va apparaître
comme ce qui apparaît au niveau de la science, comme le phénomène de l'agnosie,
c'est-à-dire la coexistence des théories confirmées par les faits, mais qui
sont contradictoires entre elles. Ici, les cultures existent indépendamment les
unes des autres, mais aucune ne vaut, dans la mesurer ou on les respecte du
seul faite qu'elles sont des communautés existantes, mais qui ne réussissent
pas à assurer au niveau de la société et au niveau du psychisme la maîtrise de
l'homme par lui-même, comme les sciences et les techniques assurent la maîtrise
du monde. Ces cultures vivent concrètement et ponctuellement sur chaque point
d'existence, mais elles vivent leur impuissance à produire cette maîtrise.
Ce multiculturalisme se contente d'enregistrer
la pluralité des morales, la pluralité des systèmes juridiques et la pluralité
des systèmes politiques associés aux diverses cultures, et se contente
d'inviter à la compréhension des autres cultures comme si leur pure et simple
existence est justifiée d'elle-même. Ces rapports ont été décrits par Karl Marx
dans sa critique de la société comme la luxuriance naturelle, c'est-à-dire tout
ce qui était irrationnel et qui s'imposait sans avoir à se justifier. C'était
comme si ce fût la nature qui se déployait à profusion de façon non régulable, au même titre que la posture de ces cultures.
Elles sont là, et se justifient d'elles-mêmes. Elles sont réduites à des
productions et à des expressions des manifestations objectives de la nature. On
doit les respecter ainsi, et si on les respectait pas on ne respecte pas
l'humanité qui essaye de s'exprimer à travers leurs contenus. Ce respect est à
la fois moral et juridique.
Dans ce contexte,
l'expérimentation mutuelle aveugle des cultures a produit les catastrophes
mondiales qu'a connues l'histoire récente de l'humanité, et a fait plus que de
déclencher des guerres, puisqu'elle a mis en périls ces cultures elles-mêmes,
en leur substituant des pratiques barbares : la colonisation et le nationalisme
allemand avec les lieux de concentrations où l'on brûle et l'on enfume des
êtres humains, les violes dans la guerre de dissolution de l'ex-Yougoslavie,
dans les guerres inter ethniques en Afrique, le racisme aux États-Unis et tout
près de nous, la barbarie qui s'est abattue en Algérie durant la dernière
décennie, dans un affrontement généralisé de tous contre tous, où il était
considéré comme ennemi, tout ce qui ne faisait pas partie de la minorité à
laquelle on se sentait solidaire. Toutes ces manifestations sont des signes du
caractère aveugle de l'expérimentation culturelle.
Dans ces conditions il importe de discerner
les côtés positifs et négatifs d'une culture. Le côté positif de ces cultures,
c'est l'enregistrement dans les habitudes de pensée et d'action de groupes
humains d'un acquis irréversible des formes d'humanité, et donc de
stabilisation. Les cultures apparaissent dans ce cas comme des facteurs de
stabilisation des conditions nécessaires à la vie en commun.
D'un autre côté,
il faut discerner l'aspect par lequel les cultures gardent des habitudes
consensuelles, des habitudes ethniques, des habitudes locales et des habitudes
nationales de pensée et d'action qui empêchent tout rapport humain, et qui
neutralisent d'avance tout dialogue interculturel. Car, chaque culture à ses
préjugés qui permettent de diagnostiquer et de stigmatiser l'autre, comme
autre, et comme étant barbare, n'appartenant pas à notre culture, et, donc,
comme étant barbare sous tel et tel aspect dans cette condition de barbarie.
Suite en page 12
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Posté Le : 14/07/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Youcef Benzatat
Source : www.lequotidien-oran.com