Algérie

En compagnie de Mohamed Bouamari


En compagnie de Mohamed Bouamari
C'est donc en compagnie de Yacine et Bouamari que nous avions pris le chemin de Yakouren en juillet 1980 pour répondre à l'invitation des fougueux et courageux enfants du Djurdjura, animateurs du Printemps berbère de la même année et participer à leur séminaire. Après la brillante et convaincante intervention de l'écrivain poète (voir El Watan du 24 mai), c'était au tour du cinéaste poète de prendre la parole.
Mohamed, humble et émouvant, fort intimidé au départ, éprouva quelques difficultés à engager son propos. Il décida alors de se lever, et, comme par miracle, une fois debout, il retrouva toute sa verve et ses élans. Il rappela tout d'abord combien la ville de Tizi Ouzou et son ciné-club au cinéma le Mondial l'avaient marqué dès 1972. Il parla longtemps et avec beaucoup de détails du séminaire qu'avait organisé la Cinémathèque cette année-là en collaboration avec l'entreprenante équipe des Cahiers du cinéma, composée d'un trio de choc, Comolli, Daney et Baudri. Il confessa que ces rencontres lui avaient permis d'apprendre beaucoup, qu'il fallait lire un film par exemple, ou qu'il était essentiel de savoir qu'un film, c'est aussi son lieu de projection, que le hors-champ était aussi important que ce que l'on voyait sur l'écran.
La programmation était fort dense puisqu'on avait droit à des films de Godard, Straub, des frères Taviani, Zinet et Tolbi. Comment, s'exclama-t-il avec force, oublier la lecture plan par plan d'Intolérance de Griffith par Baudri, un chef-d uvre. Il était presque en colère lorsqu'il évoqua tous les blocages et les freins qu'opposèrent les autorités fantoches et décadentes de cette ville pour la création d'une salle de répertoire de la cinémathèque. Notre cinéaste avait développé aussi et c'était le c'ur de son intervention, comment, dans sa pratique d'auteur et de créateur, il avait toujours été gêné et handicapé par l'utilisation de la langue dans ses films. Il était bien sûr hors de question de tourner en français, même pour lui qui a vécu longtemps dans l'immigration à Lyon, Marseille et Paris. Comment, rejetant la langue arabe importée et imposée, étrangère à notre peuple, il s'était réfugié dans le silence pour la fabrication de ses films où le dialogue était presque absent.
Rappelons-nous comment les protagonistes du Charbonnier, de L'héritage, de Premier pas, balbutiaient maladroitement quelques mots et quelques phrases et ne s'exprimaient vraiment que grâce à leur gestuelle, leurs expressions et leurs images et par la magie du cinématographe. Cette intervention avait plu énormément aux participants, et le ton des rencontres se stabilisait à un haut niveau. Pour détendre l'atmosphère, Mohamed avait expliqué aussi, cette fois vraiment maladroitement, comment il pensait que sa tribu descendait de celle des Ath Maâmar des Aït Yenni, et si l'assistance ne l'avait pas subtilement corrigé, il aurait terminé en précisant qu'il était le cousin égaré de Da l'Mouloud. L'ambiance était devenue agréable, détendue et fraternelle.
Pour notre part, nous avions préféré conter l'histoire propre à l'un des nôtres, arrière-oncle maternel, Arezki L'vachir, ce bandit d'honneur de la fin du XIXe siècle que les colonisateurs guillotinèrent sauvagement en 1905, né à Ath Bouhouni, terre de nos ancêtres située à quelques pas de notre lieu de réunion. Nous expliquions que les prédateurs coloniaux, qui exploitaient et abimaient la magnifique forêt de chêne-liège de la région, avaient créé une école pour accueillir uniquement les enfants de leurs ressortissants. Le couple d'instituteurs français, qui avait pris en charge cette école, habitait dans un petit appartement situé au-dessus de l'unique classe. C'est en ce lieu qu'Arezki leur avait rendu visite une nuit bien tard. Nos deux enseignants l'avaient reconnu très vite, lui qui était déjà au maquis et recherché par toutes les polices. Ils avaient refusé de le recevoir dans un premier temps.
Ce sont les explications logiques de notre héros au sujet de l'école qui leur avaient donné confiance pour lui ouvrir enfin. Arezki était venu leur dire qu'il était fort mécontent de constater que seuls les enfants des Français et des autres Européens fréquentaient cette école, et que par contre, les nôtres étaient abandonnés à eux-mêmes. Les instituteurs, tranquillisés, lui demandèrent le pourquoi de cette revendication, et Arezki leur répondit tout simplement, pour des raisons de justice bien sûr et parce que lui même avait deux enfants en âge d'être scolarisés. Les descendants de Jules Ferry, c'est le cas de le dire, lui avaient alors répliqué que ses enfants et ceux du village étaient attendus à l'avenir. Une autre belle dimension de cette histoire était l'idylle amoureuse que vécurent l'institutrice et Arezki. Et le mot de la fin était revenu à Yacine qui s'écria : «L'amour est beau car il est libre, il ne connaît ni frontière, ni nationalité, ni religion, ni langue, ni couleur de peau.»


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