«Plus on rencontre des difficultés dans la vie, plus on a en soi de fierté et de contentement de soi-même.» Tristan Bernard
Ce qu'il y avait d'extraordinaire chez Aâmi Noureddine, c'est qu'il ne se plaignait de rien. Alors qu'il est le plus mal loti parmi le groupe de vieux retraités qui se retrouvaient chaque jour au pied du grand saule: pas de retraite en euros, pas de pension d'ancien moudjahid. Il se contentait d'une misérable retraite de vieux travailleur communal. Il acceptait ce que lui avait réservé la vie avec fatalisme. Il se contentait d'opiner du bonnet quand les autres se plaignaient de la vie chère. D'ailleurs, on ne le voyait jamais se presser de courir à la poste, chaque 22 du mois. Il semblait être à l'aise dans toutes les difficultés qui assaillaient les autres. Quand, je me rendis chez lui pour manger le couscous des noces de sa fille, je le trouvai assis parmi ses invités qui attendaient leur tour pour aller manger au premier étage. Entre eux entraient et sortaient des femmes accompagnées de leur nombreuse progéniture. Elles laissaient dans leur sillage les senteurs de parfums très forts. «Vois-tu, me dit-il à l'oreille, la vie en immeuble n'est pas pratique du tout. Je m'en voudrai toujours de ne pas avoir construit au pays. Je n'en ai jamais eu le temps ni les moyens. Là-bas, j'aurais eu au moins l'espace nécessaire pour accueillir tout le village....» Soudain des cris fusèrent: un homme était en train de sermonner des enfants qui taquinaient des moutons attachés dans une sorte d'enclos improvisé à l'angle de l'immeuble. Il tourna la tête et la hocha tristement. «Quelle éducation on donne à nos enfants! On ne leur apprend pas que le mouton n'est pas un jouet. Ces jeunes qui n'ont jamais vu ces bêtes dans leur environnement naturel se comportent très mal. On devrait interdire d'amener des bêtes dans ces immeubles où il n'y a pas déjà assez de place pour les humains. Dans une semaine cela va puer de partout et puis, il y a ces diables de gosses: ils excitent sans cesse des béliers qui peuvent devenir agressifs. Il y en a même qui organisent des combats entre les plus forts. Il faut voir çà! Les pauvres bêtes! Elles vont encore souffrir pendant une semaine! Au prix où est le mouton, il doit avoir plus de considération...» J'ai compati sincèrement à la douleur du vieil homme qui avait un respect pour des bêtes qu'il avait élevées dans sa jeunesse. Et puis, je comprenais qu'après une fête qui allait être ruineuse pour lui, il lui faudra sacrifier au rituel du mouton. Sans compter sur les prix des fruits et légumes qui ont commencé à grimper. Du jour au lendemain, sans crier gare, tous les produits, sans exception, ont été saisis d 'une fièvre de consommation. Il faut voir le mouvement des paniers s'accélérer vers les marchés où les billets neufs de 2000DA claquaient plus souvent que ceux de 1000 DA. La tomate à 100Da, de la courgette qui doit accompagner l'inévitable «douara» à 150 DA: il y a là de quoi ébranler les pères de famille comme Aâmi Noureddine. Pourtant, il a décidé d'égorger le mouton, coûte que coûte, de peur que ses voisins ne viennent taper à sa porte, le jour de l'Aïd et ne lui offrent, après les salutations d'usage, des morceaux de viande en guise de solidarité. Il préfère être victime de la spéculation qui s'est abattue sur les produits alimentaires que de sentir la pitié des autres. C'est que Aämi Noureddine a du nif à en revendre. D'ailleurs c'est tout ce qu'il a et il en est fier!
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Posté Le : 23/10/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Selim M'SILI
Source : www.lexpressiondz.com