Algérie

En attendant la retraite



En attendant la retraite
«Le Sénat n'est qu'une maison de retraite pour privilégiés de la politique.» Noël MamèreQuand mon téléphone portable se mit à émettre ces mystérieuses notes de musique concrète qui semblait venir d'une autre galaxie mais qui me ramenait toujours à la dure réalité de la vie quotidienne, je tressaillis en pressentant que j'allais vivre un moment désagréable. Ce ne fut pas le cas. C'était tout simplement mon ami Hassan qui m'envoyait de sa voix chaude un ultimatum: «Je n'ai pas d'argent à gaspiller en te retenant au téléphone. Mes unités sont précieuses et ce que j'ai à te dire ne se dit pas par téléphone. Cela exige une longue discussion les yeux dans les yeux et le nez au fond d'un bon verre!». C'était une véritable convocation à laquelle me soumettait cet ami qui fut longtemps mon inspirateur, mon guide, mon mentor. Je n'ai même pas eu le temps de lui dire que j'étais pris dans une opération de déménagement programmée depuis bien longtemps et que je ne pouvais remettre à plus tard en raison de la pluie tardive qui menaçait de durer. C'est donc la mort dans l'âme que je me rendis le lendemain à notre rendez-vous en sachant bien que ce n'était pas pour me féliciter qu'il m'invitait d'une manière aussi péremptoire. Je le retrouvai à sa place habituelle au fond du petit restaurant où nous avions l'habitude de confronter nos idées devant un plat de sardines grillées bien arrosées. Je serais plus honnête en disant qu'il m'imposait plus souvent son point de vue que moi le mien. Il a tout simplement une bonne décennie d'avance sur moi dans la vie et une somme considérable de lectures édifiantes, sans compter un caractère bien trempé par plusieurs années passées dans les camps de prisonniers de l'armée coloniale. Il avait à côté de lui une pile de journaux qu'il a eu largement le temps de compulser en attendant mon arrivée. Devant lui, une bouteille de bière attendait sagement son tour pour le sacrifice rituel qu'il faisait souvent en l'honneur de l'ami qu'il attendait et en hommage à Bacchus qui l'aidait à supporter les difficultés qu'une vieillesse inexorable imposait à tout commun des mortels. La douce lumière qu'il avait dans les yeux indiquait que la bouteille ne devait pas être la première victime de ses libations. Il leva vers moi un regard qui se voulait plein de reproches eu égard à mon inhabituel retard. «Ce n'est pas la peine de me regarder comme si j'avais commis un crime. Attends de savoir ce qui m'est arrivé et tu comprendras. Et je t'avertis, ne me ressors pas le coup du «bassement matérialiste» dont tu m'as honoré la dernière fois. Comme tu l'ignores, je dois déménager incessamment et comme tu le sais, un déménagement exige une mobilisation d'une forte somme d'argent que je n'ai pas. Donc, j'ai un vif besoin d'argent. Comme la rumeur a couru la semaine dernière que la retraite allait être virée une semaine à l'avance, je me suis empressé de consulter mon compte CCP comme je le fais habituellement à la veille de chaque retrait de fonds. La rumeur semblait fondée puisque je trouvai mon compte approvisionné à la somme exacte qui correspond à ma modeste retraite et qui doit certainement correspondre à ma part de rente pétrolière que les nombreux règlements m'ont attribuée.
Le samedi, je me rendis donc à la poste de mon immonde quartier où je survis depuis un quart de siècle: des vieux plus âgés que moi attendaient déjà sous le froid vif annonciateur d'une pluie imminente. Ils étaient déjà engagés dans une discussion au sujet de la rumeur portant sur le virement précoce de la retraite: je les rassurai en leur disant que j'avais consulté Internet et que mon compte était approvisionné. Ils firent une moue dubitative...»
(à suivre..)


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