Algérie

En attendant l'Aid



En attendant l'Aid
«L'artiste est un mouton qui se sépare du troupeau.» Witold GombrowiczC'était Méziane le clando qui m'avait mis en contact avec le courtier en immobilier. Comme tous ceux qui sont obligés de pratiquer ce difficile exercice qui consiste à présenter des produits immobiliers à une clientèle dans la détresse ou dans l'aisance, celui-ci était d'une sympathie exubérante: il avait le verbe facile et sa discussion ne tarissait jamais. Un flot ininterrompu de paroles à propos de tout et de rien, sortait de sa bouche pour meubler l'absence de relations sincères qui pouvaient exister entre un client préoccupé de trouver un toit correct et abordable et un propriétaire avide. Nous atterrîmes tous les trois après avoir slalomé dans un dédale d'immeubles, devant une tour de dix étages dont la peinture délavée s'écaillait, accentuant l'impression d'abondon dont souffrait tout l'environnement: dans le maigre espace vert qui était censé égayer l'entrée de ce triste immeuble, deux moutons affamés étaient attachés et achevaient de massacrer les dernières feuilles d'un rachitique troène qui avait survécu jusque-là à l'indifférence générale de locataires qui ont toujours la tête ailleurs. Le courtier sortit son téléphone portable, proféra quelques formules de politesse et aussitôt un bonhomme rond, à la figure rougeaude sortit du trou noir qui servait d'entrée. Il nous salua avec déférence et nous pria de le suivre pour une visite rapide des lieux. Dans le hall, l'état lamentable des boîtes aux lettres donnait une idée fidèle de l'état d'esprit des occupants de ces lieux: c'était un assemblage hétéroclite de boîtes en métal ou en bois et la plupart étaient éventrées. Une forte odeur d'étable s'exhalait de la cage d'immeuble, des brindilles de foin et des boules de crottin parsemaient l'itinéraire obligé qui menait vers les étages. Le propriétaire s'excusa en levant les bras au ciel: Ce n'est pas toujours comme çà! On ne peut pas échapper à l'Aïd!». L'état des murs lacérés et emplis de graffitis était là pout le démentir. Cet immeuble donnait l'impression d'avoir deux siècles alors qu'il avait été construit dans les années 1980. Après avoir grimpé quatre étages sur des marches d'escaliers qui n'avaient pas échappé au vandalisme ambiant, le propriétaire nous introduisit dans un luxueux appartement dont la propreté et la luminosité juraient avec l'état de l'extérieur. Après avoir fait le tour des diverses pièces, le propriétaire nous invita à passer dans le spacieux salon où trônait un grand téléviseur à écran plat. Il s'assit en s'épongeant le front et s'excusa encore une fois: «C'est l'Aïd! Et au lieu d'améliorer l'état de l'environnement pour que la fête soit plus belle, regardez dans quel état est toute la cité. Toute ma vie, j'ai dû supporter la présence du mouton! Quand je vivais à la campagne, mon grand-père qui possédait deux vaches et un âne élevait toujours un mouton pour l'Aïd. Dans le montagne, les troupeaux étaient principalement composés de chèvres. Chaque famille, par économie élevait un mouton pour le sacrifice rituel: elles achetaient un agnelet pour deux sous et le promenaient aux champs une année durant. C'était la grand-mère ou l'adolescent de service qui s'acquittait de cette tâche. Une année, mon grand-père acheta un mouton adulte et l'attacha dans un coin de l'écurie. Celui-ci était différent des autres: il n'avait pas de cornes et son nez bombé lui donnait une allure agressive qui m'amusait beaucoup. Un jour que j'étais occupé à partager avec lui un quignon de pain, il tapa furieusement de la patte. Comme je m'approchai de lui, il prit son élan et fonça vers moi, m'envoyant contre le mur de pierres. Je perdis connaissance et je me réveillai sous les cris des femmes qui avaient accouru pour me porter secours: on me fit une onction d'huile à l'endroit où j'ai reçu le coup et on me consola avec quelques friandises. Depuis, j'ai une sainte horreur des moutons.»


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