Algérie

Emploi, jeunes et politique sociale



L'emploi n'est pas une problématique qui concerne uniquement les jeunes, mais elle interroge sur ce qu'est la jeunesse. Pour beaucoup de spécialistes, il ne saurait y avoir de réponse spécifique à l'emploi des jeunes sans une politique globale de l'emploi : relance de l'économie, redistribution des richesses, réaffirmation des droits du travailleur, lutte contre le travail à temps partiel et les emplois précaires, politique industrielle... Surtout une politique de l'emploi qui favorise l'insertion dans un emploi durable, qui lutte contre les discriminations et le travail précaire: c'est une politique bénéfique aux jeunes comme à l'ensemble des actifs.

Dès lors se pose une question simple, est-ce que ces réponses globales suffisent à traiter le chômage particulièrement élevé que subissent les jeunes et la détérioration des conditions de travail ; ou, à l'inverse, y a t il des spécificités à l'emploi des jeunes, qui bien que nécessitant des réponses globales pour tout le salariat, nécessitent une réflexion et des réponses spécifiques ?

 Afin de répondre à cette question, il faut, tout d'abord, interroger le temps de vie qu'est la jeunesse par rapport à l'emploi afin d'appréhender les particularités de cette problématique pour les jeunes. Puis développer les mutations de la question de l'emploi et des jeunes lors des vingt dernières années, qui ont donné une acuité toute particulière à ces questionnements.

La jeunesse se définit-elle par rapport à l'emploi ?

La jeunesse n'est pas une classe sociale ni un groupe uniforme, elle est un temps de la vie entre l'enfance et la complète autonomie où l'on a un emploi stable, un logement propre et où l‘on peut former un ménage. Ce temps que constitue la jeunesse a donc profondément été modifié ces dernières années. Dans les années 1960 et 1970, la jeunesse se divisait en deux catégories. D'un côté, ceux qui faisaient des études courtes, jusqu'au certificat d'études, qui rentraient très vite sur le marché du travail ; celui-ci étant stable, en dépit de la pauvreté ils pouvaient très vite fonder une famille. De l'autre, les enfants des classes aisées et une petite minorité, qui à chaque génération réussissait à gagner ses rangs, faisaient des études plus longues et obtenaient dès lors leur autonomie totale, de façon plus tardive mais disposaient d'une éducation plus importante leur garantissant dans la majorité des cas d'être cadres.

 Aujourd'hui ce schéma traditionnel de sortie du système éducatif où se succèdent rapidement «emploi stable, logement, fondation d'un ménage» n'est plus la norme, même s'il reste prépondérant. Surtout, le temps pour réaliser ces trois étapes a augmenté. La diminution des emplois industriels et agricoles, l'allongement de la durée des études, et surtout le temps beaucoup plus long pour obtenir un emploi stable a considérablement allongé la période que constitue la jeunesse. De plus en plus de jeunes, même en emploi, doivent vivre chez leurs parents, ou dépendent de la solidarité familiale pour accéder à un logement. La jeunesse c'est donc le temps d'études et le temps de l'insertion dans l'emploi jusqu'à l'acquisition d'une situation stable permettant d'être pleinement autonome.

La détérioration des conditions d'entrée dans le salariat pour la jeunesse

L'entrée des jeunes dans l'emploi a été profondément bouleversée ces 20 dernières années. Pendant les années glorieuses, l'entrée dans l'emploi se faisait à un niveau de salaire relativement faible qui s'élevait avec les qualifications. L'écart de salaire entre les salariés plus âgés, mais disposant de moins de qualifications, était faible. Les augmentations répétées des salaires permettaient donc de valoriser, dans le même temps, ceux qui avaient de nouvelles qualifications, et ceux qui avaient l'expérience. Si le fait d'avoir une haute qualification, que cela soit le baccalauréat ou plus encore un diplôme universitaire, garantissait d'être cadre, près d'un cadre sur quatre n'avait toutefois pas de diplôme universitaire. Ce qui démontrait l'importante possibilité de pouvoir progresser dans la carrière même pour quelqu'un qui n'avait pas de diplôme. Depuis le début des années 1990 ce modèle s'est effondré. La fin de l'augmentation annuelle des salaires et l'augmentation du taux de chômage se sont opérées très fortement au détriment des nouveaux entrants. L'écart de salaire entre les moins de trente ans et les plus de cinquante ans s'est sensiblement accru et cela malgré la hausse massive du niveau de qualification et d'une maîtrise des nouvelles spécialités que n'avaient pas leurs aînés.

 La hausse globale du niveau de qualification a aussi profondément bouleversé la façon dont s'opère l'entrée dans l'emploi, ainsi que le déroulé de la carrière. Le diplôme est de loin la meilleure protection contre le chômage, mais ne permet pas forcément d'obtenir un emploi requérant le niveau de qualification que l'on a obtenu. Un double sentiment de déclassement s'opère. Tout d'abord ceux qui sortent du système éducatif sans qualification ont de plus en plus de mal à trouver un emploi non qualifié quand des diplômés se portent candidat sur de tels postes. Ensuite, un véritable sentiment de déclassement touche ceux qui pensaient obtenir une promotion sociale en étant les premiers de leur famille à atteindre le baccalauréat ou la licence et qui se retrouvent au même niveau que leurs parents. Certes dans ce cas, il n'y a pas de déclassement avéré, mais la promesse non-tenue de la promotion sociale par la réussite scolaire explique fortement cette frustration bien réelle.

 Pis encore, l'Algérie se caractérise aussi par une surdétermination du rôle du diplôme non seulement à l'embauche mais tout au long de la carrière, où quelles que soient les qualités démontrées dans l'emploi, toute promotion sera quasi impossible si l'on ne dispose pas du diplôme nécessaire. Cette donnée explique tant la férocité de la compétition scolaire que la frustration et la colère de ceux qui ont échoué dans celle-ci.

 Enfin, même le diplôme ne permet plus d'accéder à un contrat à durée indéterminé et à un niveau de salaire permettant d'être autonome et correspondant au niveau de qualification. Les contrats à durée déterminé, le temps partiel, la vacation sont principalement l'apanage des jeunes. Des lectures sociales précises sont à opérer. Si les jeunes en haut de la hiérarchie sociale voient une très forte harmonisation de leurs conditions de vie et d'emploi, les discriminations sont beaucoup plus fortes pour ceux qui ne sont pas sortis victorieux de la compétition sociale qui est organisée. L'apparence physique, l'origine géographique, le sexe peuvent constituer de très importantes discriminations face à l'emploi et dans l'emploi qui renforce ces tendances lourdes. Il est important d'éviter toute lecture simpliste : si les jeunes hommes non-qualifiés par exemple ont des taux de chômage relativement plus hauts que ceux des jeunes filles dans la même situation ; la réalité est, par exemple, plus grave dans les zones rurales, ce qui démontre de la spécificité des discriminations à caractère géographique.

 À bien des égards, tous ces éléments expliquent l'augmentation du taux de suicide chez les jeunes qui est l'une des caractéristiques les plus fortes des mutations que subit la jeunesse mais aussi autres phénomènes sociaux comme la harga.

Former et insérer durablement les jeunes dans l'emploi

• Développer les technicums accueillant l'ensemble des formations d'une même famille de métiers du CAP aux diplômes universitaires techniques en y intégrant les filières en apprentissage. Cela doit offrir une meilleure lisibilité de l'offre de formation, rompre avec l'idée que l'enseignement professionnel serait une filière courte, encourager le retour en formation.

• Systématiser l'alternance lors de l'année de sortie du système éducatif, tout particulièrement dans les spécialités professionnelles.

• Allonger la durée de scolarité à 18 ans pour tous les jeunes sans qualification. Tout en introduisant un dispositif d'une classe d'âge qualifiée, il s'agira de garantir une qualification pour chaque jeune, protectrice sur le marché du travail.

• Créer dans tous les lycées une cellule -école-insertion -qui assure le suivi de tous les anciens élèves dans les trois années qui suivent la sortie du système éducatif pour savoir où en est le jeune (Etude supérieur, emploi, chômage, contrats précaires) et favoriser le retour en formation pour ceux qui sont sortis sans qualification ou qui souhaiteraient reprendre une formation.

• L'orientation scolaire ne doit plus être différenciée. Il faut intégrer les études de genre dans les programmes scolaires pour permettre aux élèves de prendre conscience du rôle des femmes dans nos sociétés, des responsabilités qu'elles exercent à compétences égales que celles des hommes.

• Améliorer tout au long du parcours scolaire et universitaire l'information sur la création d'entreprise, en incluant systématiquement l'économie sociale.

• Renforcer significativement les moyens alloués à l'ensemble des acteurs de l'insertion sociale et professionnelle pour leur permettre de prendre en charge et d'accompagner les jeunes dans tous les aspects de leurs vies (insertion professionnelle).

• Créer un véritable partenariat entre les lycées et les centres de formation professionnelle, de manière à préparer l'insertion sur le marché de l'emploi des jeunes et encourager les retours en formation.

• L'accompagnement individuel des jeunes en situation de chômage et de précarité doit être considérablement renforcé dans le cadre du service public de l'emploi.

• Permettre à chacun d'accéder au plus haut niveau de qualification : cela passe par un statut social qui protège les étudiants, les lycéens majeurs ou émancipés sans qu'ils ne doivent choisir entre dépendance familiale et précarité du salariat afin de pouvoir étudier.

• Les jeunes en sortie du système éducatif ou universitaire doivent pouvoir bénéficier de cette même allocation en tant que travailleur en devenir et être accompagnés avec des dispositifs renforcés d'aide à la recherche du premier emploi afin de garantir un droit au premier emploi.

• Financer une formation à tous les jeunes sans qualifications et surtout les demandeurs d'emploi de longue durée et bénéficier dans le même temps d'une allocation qui les incitent à opter pour une formation.

L'insertion professionnelle comme temps de formation et non comme emploi déguisé

• Interdiction des stages de plus de six mois et limiter la durée totale des stages à 6 mois contre une prime conséquente assurant la dignité des jeunes.

• Garantir les mêmes droits qu'un contrat ordinaire.

• Intégrer les stages dans le code du travail, comptabiliser leur durée dans les tous droits.

• Etendre les missions de contrôles des inspecteurs du travail aux stages

Lutter contre les discriminations

• «Égaux devant l'adresse» Reconnaître par la loi la discrimination notamment pour la convocation aux concours ou à l'entretien d'embauche.

• Augmenter significativement le nombre d'inspecteurs du travail, et leurs moyens pour garantir l'effectivité de l'application des lois de la République.

• Créer un service public de lutte contre les discriminations à l'emploi qui permettra la collaboration des services de police, service public de l'emploi, des inspecteurs du travail et de la justice afin de détecter et sanctionner les employeurs qui refusent de rencontrer des candidats pour des motifs subjectifs.

• Donner comme mission à l'Agence Nationale de l'Emploi-ANEM- d'instaurer une base de données de CV anonyme pour les employeurs.

• L'Etat doit inviter les partenaires sociaux à une conférence tripartite pour revoir la question des discriminations, tout particulièrement à l'embauche, et garantir les moyens à l'application d'un accord plus souple et plus opérationnel.

• Les entreprises qui n'auront pas mis en place un plan pluriannuel de réduction des écarts de salaires devront être taxées pour casser le plafond de verre qui s'impose à tous les employés.

• Instaurer des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travails de branche sur un territoire ou un bassin d'activités afin que chaque salarié, bénéficie de cette protection quelle que soit la taille de son entreprise.

• Instaurer des comités d'entreprises de territoire pour que tous les salariés, même des petites entreprises puissent en bénéficier.

L'économie sociale : la démocratie comme mode d'organisation

• Encourager le développement social des entreprises par la mise en Å“uvres de mesures incitatives à l'encouragement de création de l'emploi «En réduisant les charges qui pèsent sur le travail, on libérera l'emploi.» Pour lutter contre le chômage, la possibilité pour chaque entreprise de créer deux emplois sans charges. A moyen terme, il est important de réfléchir au transfert des charges sociales vers d'autres bases que le travail.

 Quand il s'agit de définir des priorités en matière économique, tout le monde parle de croissance, d'emploi, et, évidemment, à juste titre. Mais la croissance et l'emploi sont des résultantes : ce qui fait l'emploi, c'est l'entreprise. L'esprit d'entreprise et l'entrepreneur. Or, si une entreprise, à production de richesse semblable, crée des emplois, elle paye le maximum de charges ; si elle n'en crée pas, elle paye très peu. Formidable injustice. Rien ne justifie que l'ensemble du financement de la protection sociale repose sur le travail, sur l'emploi.

• Faciliter le rachat d'entreprises en situations financières difficiles par les salariés en adoptant un statut d'entreprise sociale grâce à l'accès aux crédits publics.

• Développer la reprise d‘activité en milieu rural notamment grâce à l'accès à des fonds publics et des dispositifs d'accompagnements spécifiques. Les formes coopératives doivent être favorisées notamment pour faciliter la participation de tous les bénéficiaires pour la création de l'activité économique en milieu rural.

• L'Etat doit accorder à chaque salarié un chèque syndical afin de favoriser la syndicalisation et lutter contre les discriminations syndicales en généralisant le syndicalisme.

Faire du CDI la norme : taxer l'emploi précaire

• Conditionner tout contrat précaire pour cause d'augmentation temporaire d'activité à l'accord soit du délégué

du personnel soit de l'inspecteur du travail.

• Introduire une surcote progressive des cotisations patronales sur les emplois précaires. Un premier niveau sur les emplois en contrats à durée déterminé à temps complet, un deuxième niveau plus élevé pour les temps partiels, ainsi qu'une surcote progressive en fonction du pourcentage d'emplois précaires dans l'entreprise.

Augmenter les salaires et garantir la reconnaissance salariale des qualifications

• L'Etat doit avoir une politique volontariste d'augmentation du SMI C et des salaires afin que les salariés disposent d'une plus grande part de la richesse qu'ils contribuent à produire.

• Conditionner toutes les exonérations de cotisations sociales à la signature d'accords dans les branches et entreprises sur les salaires et à la définition d'une grille de salaire où le SMI C est appliqué aux seuls emplois sans qualification puis une augmentation en fonction des qualifications dans les conventions collectives.

• Garantir qu'aucun salaire minimum de branche ne soit inférieur au SMI C pour permettre l'augmentation annuelle des salaires.

• Transférer une partie des cotisations sociales sur la valeur ajoutée afin de favoriser l'emploi et faire cotiser de façon plus importante les entreprises à forte création de richesses mais à faible main-d'oeuvre. !








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