Algérie

Éloge de la haine, de Khaled Khalifa



Il est l’auteur de nombreux scenarii pour le cinéma et la télévision et de trois romans dont L’Éloge de la haine, paru en 2006 dans une petite maison d’édition syrienne et aussitôt interdit, puis réédité en 2008 à Beyrouth chez Dar Al Adâb et sélectionné pour le prestigieux prix Booker arabe. Rares sont les écrivains syriens qui, à ce jour, ont cherché à éclairer les événements dramatiques des «années de braises» ayant ravagé la Syrie dans les années 1980. Le roman de Khaled Khalifa, Éloge de la haine, aborde cette période particulièrement violente de l’histoire de la Syrie contemporaine, celle qui opposa les islamistes au régime militaire au pouvoir. Les haines confessionnelles s’exacerbent entre une classe dominante, mais minoritaire, et l’autre classe, conservatrice et majoritaire, exclue du pouvoir. Chaque partie cherche à éliminer totalement l’autre, d’où l’éloge de la haine, sentiment fait de ressentiment, de fermeture, d’endurcissement. Ayant cru un moment à leur victoire imminente, les islamistes voient leur révolution noyée dans le sang. L’affaiblissement du mouvement djihadiste affecte les réseaux islamistes, particulièrement actifs au Yémen et en Afghanistan. Le roman est construit sur la mémoire, celle de l’auteur qui a grandi à Alep à l’ombre de cette période tragique et exceptionnelle de l’histoire de la ville et qui n’a cessé de porter en lui les événements tragiques dont les vents putrides sont venus remplacer les parfums secrets et intimes de la proverbiale joie de vivre des Aleppins. L’univers intimiste construit par l’auteur est celui d’une famille bourgeoise, et la narratrice qui relate avec minutie les histoires de sa famille qui s’entremêlent, s’emboîtent et se succèdent. Subissant l’influence dévote de ses oncles et tantes,elle enregistre leurs histoires avec force détails gorgées de frustration, de haine et de sang. Elle découvre dans l’univers magique de la maison de son grand-père, où elle vit, la signification du parfum, d’abord dans le vieil album de photos qui constituera sa clef pour raconter son histoire qui se tisse avec celle,violente et anarchique, de la ville, puis dans les vieilles armoires et enfin dans la prison où elle est incarcérée, inculpée d’appartenir à l’Organisation des Frères musulmans, interdite au pays. Il y a d’abord Mariam, l’aînée, la gardienne du renom de la famille, celle qui enseigne à sa nièce que le corps est un tabou et un péché, elle finit par dormir dans un cercueil placé dans sa chambre. Marwa, celle qui collectionne les papillons et qui se décide en fin de compte à épouser un officier des Brigades de la mort , chargée d’écraser les Frères musulmans. Il y a aussi l’autre tante, Safa’, la libérale qui croquait la vie à pleines dents et qui finit par se recroqueviller sur elle-même sous sa burqa après son mariage avec Abdallah le Yéménite, devenu un moudjahid à Kandahar, ancien combattant communiste avant que «la lumière divine» ne touche son cœur. Et il y a surtout les trois oncles, Bakr le leader clandestin, Omar le libertin et Salim le soufi, si opposés du point de vue idéologique et comportemental. Il y a surtout Radwân, l’aveugle, recueilli par le grand-père, devenu membre de la famille et qui passe son temps à fabriquer des parfums. En prison, la narratrice nouera des amitiés solides, découvrant auprès de ses compagnes d’infortune, venues d’horizons opposés, la douceur et la douleur qui enveloppent l’âme humaine. A sa libération, sept années plus tard, la haine, qui s’est entièrement désagrégée dans son cœur, lui permet de remettre de l’ordre dans sa vie et de faire petit à petit l’apprentissage de l’amitié et de l’amour. Apaisée, elle achèvera ses études et se retrouvera en fin de compte médecin stagiaire dans un hôpital de Londres. Les personnages de ce roman sont vivants, ils s’intègrent dans un espace-temps bien délimité et chacun d’eux possède son propre langage, ils parviennent même à séduire leur propre créateur. Troublés par leurs questionnements intérieurs et par leurs obsessions, ils nous semblent familiers, proches de notre vie et de nos préoccupations quotidiennes. La haine et les passions qui réunissent cette mosaïque de personnages si opposés dans leur foi, leur appartenance idéologique et politique participent paradoxalement au développement du roman de manière spontanée et naturelle. Les personnages de Khalifa contribuent grandement à esquisser une fresque panoramique et ô combien juste, de la société syrienne à l’orée du XXIe siècle.
 


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